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Le samedi 23 avril 2022

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Lecture : Krugman et Stiglitz contre les ‘austériens’ et les rigoristes

Les deux recensions qui suivent sont de Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint au magazine Alternatives Economiques.

Sortez-nous de cette crise… maintenant !, par Paul Krugman, Flammarion, 2012, 272 p., 19 euros.

Pour l’économiste et chroniqueur américain Paul Krugman, les difficultés des États-Unis et de l’Europe n’ont rien d’original ; nous avons connu les mêmes après l’effondrement de 1929 et on a alors compris que l’austérité généralisée n’était pas la bonne réponse. Pourtant, nous réitérons les mêmes erreurs. Krugman part donc en guerre contre les « austériens », une tribu de gens très sérieux, à la tête de nombreux pays, de banques centrales et de départements d’économie, qui affirment qu’une austérité généralisée est le remède qu’il nous faut. Faux, reprend l’auteur.

Panne technique

Aujourd’hui, avec l’austérité, ce sont des économies qui tournent largement en dessous de leur potentiel, ce qui se traduit par des emplois perdus et des vies brisées. Pourtant, comme le disait Keynes, souvent cité dans le livre, nos économies n’ont pas un problème fondamental. Pas besoin de changer le moteur, selon l’économiste américain : il est capable de produire des richesses. C’est juste une panne technique qui a pour nom une insuffisance généralisée de la demande.

Or, la politique monétaire ne peut pas nous aider à nous en sortir : les taux d’intérêt sont quasiment à zéro des deux côtés de l’Atlantique et les banques centrales ont déjà déversé des tombereaux de liquidités dans l’économie. Sans effet. Car nous sommes dans une situation de « trappe à liquidités », où la disponibilité de celles-ci ne relance pas la machine, faute d’offre et de demande de crédits suffisantes.

Le salut par la dépense

Dans ces conditions, il ne reste qu’une solution : « Ce qu’il nous faut pour sortir de la dépression actuelle, c’est une nouvelle vague de dépenses publiques. » Pourquoi ? A cause du principe de base : « Tes dépenses sont mes revenus. » Si les ménages, en plein désendettement et/ou au chômage, ne dépensent plus ; si les entreprises, de ce fait, n’investissent plus et que, dans le même temps, l’État réduit la voilure, il n’y a alors plus personne pour dépenser. Donc, moins de revenus et des économies atones.

Krugman anticipe les hauts cris des austériens : « Vous allez relancer l’inflation ! » Il démontre que nous en sommes loin. « Les marchés vont faire monter les taux d’intérêt ! » Alors, pourquoi les États-Unis ou le Royaume-Uni, avec des déficits budgétaires de l’ordre de 8 % du produit intérieur brut (PIB), empruntent-ils autour de 1,5 % quand l’Italie, avec ses 3-4 % de déficits, emprunte à plus de 6 % ? Les pays qui s’en sortent sont ceux qui maîtrisent leur monnaie, argumente Krugman. En fait, seuls les pays où les banques centrales ont compris qu’acheter les dettes publiques contribuait à la stabilité financière et à empêcher la déflation – deux objectifs qui sont dans leur mandat – bénéficient de taux d’intérêt faibles sur leurs dettes publiques. La solution à la crise européenne est simple, selon Krugman : la Banque centrale européenne doit acheter les obligations des pays en difficulté et l’Allemagne doit engager une relance budgétaire et accepter une inflation de 3-4 %.

C’est du bon sens macroéconomique, plaide l’Américain. Désespéré de voir nombre de ses collègues plongés dans l’antikeynésianisme primaire, il lance la bataille !

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Le prix de l’inégalité, par Joseph E. Stiglitz, Les liens qui libèrent, 2012, 540 p., 23 euros.

Le capitalisme contemporain est inefficace, instable et injuste, affirme d’emblée Joseph Stiglitz. Après avoir traité de l’instabilité dans son précédent ouvrage, il s’attaque cette fois-ci à l’injustice. La montée des inégalités sociales n’étant désormais plus contestable, surtout aux États-Unis, l’ouvrage s’attache d’abord à en déterminer les causes. La mondialisation y a une lourde part. Elle donne en effet du pouvoir au capital au détriment du travail et accroît les risques d’instabilité : ceux qui y perdent leur travail peuvent ne jamais en retrouver et les gagnants refusent toujours de redistribuer une partie de ce qu’ils gagnent aux perdants, au nom de la compétitivité (« des impôts, vous n’y pensez pas dans ce monde concurrentiel ! »).

Coût économique et politique

D’autres facteurs sont également à l’oeuvre : la moindre force des syndicats, une gouvernance d’entreprise qui accepte des salaires démesurés, des politiques fiscales en faveur des riches. Et tout cela se combine : ce sont les sociétés les plus égalitaires qui font le plus pour préserver l’équité, les politiques publiques des pays inégalitaires perpétuant la situation.

Or, la montée des inégalités a un coût. Elle nourrit l’instabilité économique : les riches épargnant davantage, quand ils accroissent trop leur part du gâteau, la demande manque ou ne survit qu’au prix d’un endettement déstabilisant ; les riches poussent aux politiques de déréglementation ; ils refusent les investissements publics nécessaires à l’efficacité économique de long terme ; ils bénéficient de rentes qui nuisent à l’efficacité globale.

Mais le coût est aussi politique, avec le recul de la participation électorale, surtout chez les moins bien lotis, la montée du poids de l’argent dans la politique et la capacité des riches à mener une bataille idéologique pour faire passer leurs intérêts particuliers pour l’intérêt général.

Planche de salut

La bonne nouvelle, affirme Stiglitz, c’est que la politique économique peut jouer un rôle pour réduire les inégalités. Il faut une politique budgétaire orientée vers la promotion de l’investissement public, taxer la pollution plus que le travail, augmenter les impôts sur les riches. Il faut en finir avec la soi-disant indépendance des banques centrales : les sortir du giron public les a mises aux bottes des intérêts privés. L’ouvrage se termine avec une trentaine de propositions pour arrêter la montée d’une société divisée, « le cauchemar vers lequel nous marchons lentement« . Peut-on l’éviter ? « Aujourd’hui, cet espoir vacille », conclut un Stiglitz de plus en plus pessimiste au fil des ans.

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