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Le samedi 23 avril 2022

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Le marché du carbone est devenu une usine à gaz

L’auteur invité est Raphael Trotignon, chercheur en économie de l’énergie et du climat, chaire Économie du climat de l’université Paris-Dauphine.

Pour inciter ses industriels à moins polluer, l’Union européenne a créé un système d’échange de permis d’émissions de CO2 qui récompense les entreprises vertueuses et sanctionne celles qui dépassent les quotas fixés. Un mécanisme aujourd’hui en panne.
Le marché européen du carbone, fer de lance de l’UE à 27 pour réduire ses émissions de CO2, est aujourd’hui en berne. Non seulement il a été l’objet des fraudes massives qui l’ont rendu suspect aux yeux de l’opinion, mais les prix du carbone sont au plus bas, ce qui marginalise d’autant ce mécanisme.

Il était pourtant prometteur. Le système a été mis en place en 2005 pour réaliser, au meilleur coût possible, les baisses d’émissions de gaz carbonique, décidées par les États européens. Depuis cette date, quelque 12 000 grosses installations industrielles très gourmandes en combustibles fossiles (centrales électriques au gaz et au charbon, aciéries, raffineries, cimenteries) n’ont plus le droit de polluer indéfiniment l’atmosphère. Elles sont désormais astreintes à respecter un volume d’émissions de gaz carbonique qui leur est alloué chaque année par les pouvoirs publics et qui baisse progressivement, en phase avec les objectifs de réduction de l’UE (- 21 % en 2020 par rapport à 2005 selon le  » paquet énergie-climat  » voté en décembre 2009). Les émissions des particuliers et des autres entreprises (véhicules, maisons, bureaux) ne sont pas couvertes par ce système, adapté pour contrôler des grosses unités, mais pas des millions de petites sources. Cependant, les installations concernées concentrent à elles seules la moitié des rejets de carbone des Vingt-Sept.

Concrètement, chaque installation reçoit en début d’année un certain nombre de permis (appelés European Union Allowances ou EUA, dans l’anglais communautaire), chaque permis représentant le droit d’émettre une tonne de CO2. Aujourd’hui, 90 % de ces permis (appelés également quotas) sont alloués gratuitement et seuls quelques pays plus vertueux, principalement l’Allemagne et le Royaume-Uni, pratiquent leur vente aux enchères. Cependant, à partir de 2013, cette allocation gratuite disparaîtra peu à peu pour être totalement éliminée en 2027, sauf dans les secteurs exposés à la concurrence internationale et susceptibles de délocalisations, comme les aciéries par exemple.
À la fin de l’année, chaque installation doit restituer aux pouvoirs publics un nombre de permis correspondant à ses émissions de CO2 vérifiées sur l’année écoulée par un auditeur indépendant, sous peine de pénalités. Si les émissions constatées sont supérieures aux permis attribués en début d’année, l’entreprise devra en acheter pour combler l’écart. Dans le cas inverse, elle pourra soit conserver ses permis en excès afin de pouvoir les utiliser plus tard, soit les vendre.

L’offre et la demande

Ces permis ont la particularité d’être échangeables. Si une entreprise peut réduire ses émissions polluantes à un coût inférieur au prix du marché, elle aura tout intérêt à émettre moins de gaz carbonique que ce à quoi elle a droit, car la vente des permis carbone qu’elle n’aura pas utilisés lui rapportera plus que ce qu’elle aura dépensé pour réduire ses émissions. Inversement, si le coût des réductions est supérieur au prix du marché, elle cherchera à acheter des permis que d’autres auront cédés. Avec un tel système, les réductions d’émissions prioritairement mises en oeuvre sont celles qui sont les moins chères à réaliser, si bien qu’à l’échelle de l’Union européenne, le coût pour atteindre l’objectif global de réduction se trouve minimisé.

Comme sur n’importe quel marché, le prix du CO2 est le résultat de la rencontre d’une offre et d’une demande. L’offre va dépendre principalement du nombre de permis alloués par les pouvoirs publics, mais aussi des permis issus du  » mécanisme de développement propre  » du protocole de Kyoto. Ce système permet aux industriels européens d’acheter des permis qui représentent la contrepartie de réductions d’émissions volontaires réalisées par les pays en développement. La demande de quotas, quant à elle, dépend de tous les facteurs qui influent les émissions : croissance économique, températures hivernales, coût des technologies de substitution, prix relatifs du gaz naturel et du charbon…

Aujourd’hui, le marché du CO2 est au plus bas, ce qui n’incite pas les industriels à réduire leurs émissions. Plusieurs raisons expliquent cette morosité des cours. La crise économique de 2008-2009 a affecté la production industrielle européenne et provoqué une baisse conjoncturelle des émissions. De ce fait, le volume des permis actuellement alloués aux industriels, fixé avant la crise, est à un niveau tel que cela leur impose des efforts très limités. Enfin, une quantité non négligeable de  » crédits carbone « , issus du protocole de Kyoto, ont alimenté le marché, exerçant ainsi une pression à la baisse sur les cours. Depuis 2008, ils représentent en moyenne 6 % des quotas restitués par les industriels.

Trop de  » permis de polluer « 

Les cours pourraient ne pas davantage se redresser dans un avenir proche. Les perspectives de croissance économique de l’UE étant plutôt modestes, le niveau très moyen de l’activité industrielle devrait permettre d’atteindre facilement l’objectif de réduction des émissions pour 2020. Les estimations actuelles anticipent une valeur de 10 à 15 euros la tonne de gaz en 2020. Or avec des prix aussi faibles, il n’y a guère de chance pour que les industriels investissent dès maintenant dans des technologies  » bas-carbone « , telles que la capture et le stockage du CO2, ou la production d’électricité renouvelable. Ce sont pourtant autant d’investissements qu’il est nécessaire de réaliser dès maintenant pour atteindre l’objectif de long terme de l’Union européenne : une réduction de ses émissions internes de 80 % d’ici à 2050 par rapport à 1990. Si cet objectif est bien énoncé dans la  » feuille de route  » de l’UE pour 2050, il ne trouve pas de traduction concrète dans les volumes de permis carbone alloués par les États.

À l’avenir, un autre facteur pourrait fortement tirer les prix du carbone vers le bas : la mise en oeuvre de la directive sur l’efficacité énergétique actuellement en discussion, et qui vise à réduire de 20 % en 2020 par rapport à 1990 la demande d’énergie rapportée au PIB européen. Cette directive correspond à l’un des trois éléments du fameux engagement des  » 3 X 20  » (20 % de renouvelables dans la consommation d’énergie, 20 % d’émissions de CO2 en moins et 20 % d’amélioration de l’efficacité énergétique, le tout pour 2020) adopté fin 2008. Cette nécessaire amélioration de l’efficacité énergétique aura mécaniquement pour effet de réduire la demande d’énergie et les émissions des industriels, donc de faire baisser le prix du carbone. Or si consommer beaucoup moins d’énergie est indispensable, ce n’est pas suffisant. Il faut aussi qu’à terme, la consommation d’énergie n’émette plus du tout de dioxyde de carbone.

La faiblesse du prix du carbone est un grave problème dont les décideurs ont de plus en plus conscience. De nombreuses propositions ont été avancées : réduire le nombre de quotas mis en circulation par les pouvoirs publics, faire passer de – 20 % à – 30 % l’objectif de réduction des émissions de CO2 pour 2020, fixer dès à présent des objectifs intermédiaires de réduction d’émissions pour la période 2020-2050… Mais pour l’heure, la réforme du marché du carbone reste à faire.

Pour lire le texte original, on va sur le site d’Alternatives Internationales.

Discussion

Commentaire pour “Le marché du carbone est devenu une usine à gaz”

  1. [...] budget Logement) va être désormais financée, à compter de 2013, par le produit de la vente des quotas carbone. Le ministère du Logement a annoncé un budget 2013 à 690M€ auxquels il faut ajouter les 69 [...]

    Écrit par Les objectifs 2013 de l’Anah | Quand le bâtiment va… | octobre 29, 2012, 9 h 35 min

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