Trop souvent, ceux qui proclame pouvoir donner des leçons à leurs voisins ne mettent souvent pas eux-mêmes en pratique les vertus qu’ils cherchent à imposer aux autres. Ici, nous connaissons bien les prétentions hypocrites de nos voisins étatsuniens d’être les champions du libre-échange et de la non-intervention de l’État. Dans les faits, l’administration fédérale des États-Unis a mis en place un ensemble de mesures protectionnistes pour ses secteurs manufacturiers les plus stratégiques (grâce au Buy American Act) alors que plusieurs des 48 États sont les champions des subventions de toutes sortes pour attirer les entreprises à s’implanter sur leur territoire.
Le journaliste économique Guillaume Duval, du magazine Alternatives Economiques, nous explique dans son article Les raisons du blocage allemand que derrière l’intransigeance de l’Allemagne, on trouve la même hypocrisie du plus fort qui cherche à imposer sa loi, parce qu’elle en tire profit. Il montre en particulier que les réformes de libéralisation du marché du travail qu’Angela Merkel veut prescrire à ses voisins de l’Union européenne ne sont aucunement celles qui ont permis à l’Allemagne de garder une santé économique enviée par tous. Le marché du travail allemand ne peut pas être caractérisé comme flexible, bien au contraire. Malgré, nous dit Guillaume Duval, une baisse du PIB de 5,1% en 2009, l’économie allemande aurait conservé tous ses emplois. La structure de codétermination du modèle allemand du travail (où l’on voit les représentants des travailleurs participer aux lieux de gouvernance des entreprises) a fait en sorte que le pays a fait un usage massif de la solidarité à travers un chômage partiel et la réduction du temps de travail dans les entreprises. Résultats : le pouvoir d’achat global des salariés s’est maintenu sans avoir à mobiliser les finances publiques. Pendant la même période, la France et l’Espagne qui ont vu leur PIB baisser respectivement de 2,7% et 3,7% avec des pertes d’emplois de 280 000 pour la première et de 1,4 millions pour la seconde ! Qui est vraiment flexible ?
L’Allemagne s’entête à proclamer que les politiques d’austérité sont les seules réponses viables pour sortir ces pays de la crise parce qu’il est vrai qu’elle a elle-même fait subir aux Allemands ces remèdes à partir du début des années 2000. Mais si cette politique n’a pas eu les effets désastreux qu’elle ne peut qu’avoir aujourd’hui, c’est qu’à cette époque l’Allemagne était seule à la mettre en œuvre. Pendant la même période, tous les autres pays européens s’endettaient pour consommer les produits allemands alors que les pays émergents, en pleine croissance, s’arrachaient les machines-outils et les voitures de luxes allemandes. Le succès de l’Allemagne est là : d’une part une spécialisation dans les équipements productifs à haute valeur ajoutée (la moitié des effectifs européens de cette industrie sont allemands) et les voiture de luxe ; d’autre part une politique de rigueur dont le succès a été possible grâce à la croissance des autres pays.
Guillaume Duval ajoute que ce qui complique les choses, à l’heure actuelle, est le fait que l’Allemagne a profité jusqu’à maintenant de la crise de la dette souveraine européenne. Avec un taux d’intérêt de 1,37% pour ses obligations de dix ans, on peut dire que les investisseurs ‘paient’ l’État allemand pour pouvoir détenir ses titres de dette puisque l’inflation de la zone euro est supérieure à ce taux ! Ainsi, depuis le début de la crise, l’Allemagne aurait épargné 70 milliards d’euros sur les intérêts versés à ses créanciers…ce qui est bien supérieur aux 55 milliards d’euros que l’Allemagne s’est engagée à prêter à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal.
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