L’auteur invité est un Dominic Champagne, metteur en scène
Monsieur Lucien Bouchard,
Dans les dernières pages de vos Lettres à un jeune politicien, vous évoquez avec mansuétude notre rencontre privée de juin 2011 en affirmant qu’en « affaires comme en politique, il faut chercher à résoudre les conflits par des solutions rationnelles » et que « le fait de diaboliser l’adversaire ou l’opposant ne conduit qu’à la polarisation des positions et à l’impasse ».
Après avoir constaté cette semaine le peu de respect manifeste que vous affichez à l’égard de ceux que cavalièrement vous appelez les « bloqueux » et autres « sectes environnementalistes », alors que ces gens-là sont porteurs d’un idéal de développement, d’une exigence d’avenir et de progrès véritable qui devrait mériter toute votre considération, vous me permettrez de vous écrire aujourd’hui cette lettre, pour tenter de dénouer un peu l’impasse où votre jugement nous entraîne.
En février 2011, vous acheviez votre première entrevue publique comme lobbyiste de l’industrie en déclarant que vous aviez pris le parti de vous mêler à cette affaire des gaz de schiste pour bâtir un meilleur avenir pour vos fils, qui sont le coeur de votre vie. Comme vous savez, j’ai trois fils et je suis entré dans cette affaire pour des raisons similaires. Aujourd’hui, ce sont deux visions de notre avenir qui s’opposent. Je voudrais bien croire à la possibilité d’un compromis qui nous permette de marcher d’un même pas vers l’avenir, mais plus je vous entends mener votre propre campagne de propagande, plus vos propos sonnent comme une insulte à l’intelligence à tout citoyen qui suit le dossier de près. De quel dialogue s’agit-il ici ?
Le principe de précaution
Ce que vous appelez l’âge d’or du gaz naturel est en train de polluer l’existence de milliers de citoyens à travers le monde. Le premier conseil que je pourrais vous donner serait de vous rendre, avec un guide indépendant de l’industrie, dans les cantons pas très éloignés de la Pennsylvanie, pour y constater à quel point ce modèle de développement ne devrait en aucun cas nous faire envie. Ce n’est pas ce pays-là, ni ce progrès, ni cet avenir que vous rêvez pour vos fils, j’en suis persuadé.
À défaut de vous y rendre, et d’entendre les citoyens de là-bas vous implorer de ne pas laisser cette industrie s’implanter sur nos terres, vous pouvez plonger dans la lecture des plus récentes études indépendantes de l’industrie, qui se multiplient pour conclure que les risques liés à cette exploitation existent bel et bien. Contrairement à ce que les études commanditées colportent. Et vous avec elles…
À la lumière de ces conclusions, il ne devrait faire aucun doute que dans une zone agricole habitée comme la vallée du Saint-Laurent, le principe de précaution doit prévaloir. Voici quelques pistes pour alimenter votre réflexion.
Ces dernières années, plus de 1000 cas de contamination, d’explosions et autres dommages collatéraux ont été documentés et soumis à des tribunaux ou à des instances gouvernementales dans plusieurs États américains. En 2011, une étude de l’Université Cornell a conclu que « du point de vue climatique, le gaz de schiste est pire que le gaz conventionnel, que le charbon et que le pétrole ». En juillet dernier, une étude menée par l’Université Duke confirme les liens entre les formations rocheuses où est contenu le gaz et les nappes phréatiques, concluant que « des réserves d’eau potable risquent d’être contaminées par des gaz s’échappant des puits d’exploitation ». Dans une autre étude récente parue en mars 2012, des chercheurs de l’Université du Colorado ont comparé deux groupes de personnes vivant à des distances variables des puits pour conclure que les proches résidants courent un risque de cancer supérieur en raison d’une exposition accrue aux gaz volatils.
Développement aveugle
En colportant sans nuances le discours de l’industrie, c’est votre crédibilité même que vous mettez en jeu. Soyons d’honnêtes hommes et essayons de regarder l’avenir de nos fils bien en face. La question climatique — qui est sans doute l’une des questions politiques actuelles les plus capitales qui soient — ne sera résolue que par un recours croissant aux énergies propres et une diminution de notre consommation d’énergies sales. C’est un défi énorme. À notre imagination, à notre courage, à notre sens du partage et de la justice. C’est le défi de l’heure. Poursuivre dans la voie d’un développement aveugle serait immoral.
Nous ne pouvons sacrifier l’avenir des prochaines générations sur l’autel du rendement économique à tout prix et du profit à court terme des actionnaires, si puissants soient-ils. La cupidité, menée par la main invisible de la libre entreprise, au détriment de l’intérêt public, est un bien mauvais maître.
Plusieurs citoyens de la vallée du Saint-Laurent qui ont milité pour imposer le respect à l’industrie ont acquis au cours de cette saga une connaissance approfondie du dossier. Et aussi une importante prise de conscience quant aux impacts liés à notre développement énergétique. Et s’ils méritent qu’on considère d’abord et avant tout leurs préoccupations comme légitimes, c’est parce qu’ils sont les habitants des terres convoitées, qu’ils sont les premiers propriétaires de la ressource, les véritables experts de leur milieu de vie, profondément voués à la défense du bien commun.
Encore de la souveraineté
Vous avez été un extraordinaire rassembleur, Monsieur Bouchard, dans la quête de la souveraineté de notre peuple. Or, c’est encore de souveraineté qu’il s’agit quand on parle de disposer librement, et en toute connaissance de cause, des richesses qui sont les nôtres : l’eau, l’air, la terre et… le gaz contenu dans notre sous-sol.
Pour la suite de notre monde, vous pouvez jouer un rôle important dans l’utilisation démocratique de la richesse collective. En militant pour un usage intelligent, sage et juste de nos ressources en énergie. De même que René Lévesque nous a fait avancer vers un horizon meilleur, avec l’appropriation de nos ressources hydroélectriques, souhaitons qu’en allant rationnellement, rigoureusement vers une connaissance approfondie du dossier énergétique, vous saurez nourrir cette tradition, plutôt que d’y opposer des forces rétrogrades. Ceux qui privilégient les énergies propres marchent vers l’avenir.
Vos paroles ont du charme et vous pourriez user de votre autorité et de votre leadership pour influencer les entrepreneurs que vous représentez afin qu’ils investissent davantage dans les sources d’un progrès et d’un enrichissement collectif véritables.
Sur papier, à vue de nez, l’exploitation des gaz de schiste a pris des allures de pactole. Or, le récent boum gazier a fait chuter de moitié les investissements dans les énergies renouvelables. Nous savons pourtant de quel côté des choses se trouvent ceux qui préparent l’avenir. Dans le nord de l’Europe, en Allemagne notamment, d’importants sites de biométhanisation sont en production pour transformer les déchets organiques en gaz naturel. Au Québec, en investissant davantage de ce côté-là, on pourrait combler la moitié de nos besoins en gaz naturel, et ce proprement, en réglant un important problème de déchets ! Contrairement à ce que peuvent affirmer les diverses campagnes de désinformation commanditées par l’industrie qui a tout avantage, à court terme, à déprimer ces efforts-là.
Après des années où le gouvernement s’est cavalièrement très peu soucié des préoccupations des citoyens, l’arrivée de la ministre Martine Ouellette aux commandes nous permet d’espérer un changement marqué dans la défense de l’intérêt public.
Cependant, la composition de l’équipe des experts de l’Etude environnementale stratégique (EES) en cours demeure un problème. En nommant un comité composé notamment de membres de l’industrie, sans contrepartie citoyenne et écologiste, on a porté une atteinte importante à la crédibilité de cette étude. Vous aurez beau marteler qu’il faut en attendre les conclusions, nous savons déjà que c’est un cadre de développement au service de l’industrie qui sera déposé. Le mandat même, tendancieux, de cette étude, ne vise clairement qu’à « établir la pertinence » de ce développement sans évaluer sérieusement les solutions de rechange au gaz de schiste.
Les richesses naturelles du Québec sont collectives, et il revient au gouvernement d’en assurer le contrôle démocratique et la maîtrise d’oeuvre, avec le consentement libre, préalable et éclairé de la population.
C’est un triste jour, celui où le grand défenseur de l’intérêt public que vous avez été use de tout son poids pour tenter de faire accepter l’inacceptable, de discréditer nombre de forces vives et de faire passer l’intérêt de ses clients avant les intérêts supérieurs de la nation.
Il n’est pas trop tard pour vous commettre !
Quant à moi, je demeure votre tout dévoué.
Pour lire le texte original, on va sur le site du quotidien Le Devoir
Monsieur Champagne.
Je profite de votre « chronique » pour souligner l’intérêt marqué que j’ai eu, hier, à lire votre opuscule « Le gouverneMENT invisible ». Un portrait de notre situation sociale et une volonté évidente de progrès et de GBS. Je crois malheureusement que le Gros Bon Sens est une denrée très très rare à cette époque du sale fric « qui n’a pas d’odeur mais qui me monte au nez » (dixit J.Brel) plus que jamais. Quant à votre réponse à ce Bouché…hops…pardon, à ce Bouchard qui, par le titre de sa dernière manifestation écrite, joue de façon tellement ridicule et éhonté sur les souvenirs d’un penseur aussi sensible et intelligent que Rainer Maria Rilke, alors votre réponse, disais-je, est on ne peut plus sentie, lourde de sens commun et basée sur des observations et constats qu’il est inutile maintenant de vouloir dissimulés. Faut-il être stupide, con, ignorant, aveugle et sourd pour ne pas réaliser à quel point ce gaz de « shite » c’est de la merde ? On ne veut pas dans sa cour,
comme voisin immédiat, d’un CHSLD mais on accepterait un forage de shiste ? La télévision nous a-t-elle manipulés à ce point depuis 30 ans ? Sommes-nous si ignorants et cupides ?
Soyez assuré que si cette cause en arrive un jour à nécessiter mon implication physique et active, peu importe le « degré », je serai présent et difficile à « déplacer » !!
J’ai 62 ans et le souvenir de mes parents et grands-parents font sans cesse surface lorsque ces projets stupides, dangereux et destructeurs tendent à détruire toute logique et je ne laisserai pas ces bandits patentés, cravatés ou non, détruire ce que des générations ont bâtis avec tant de labeur, de mérite et de souffrance, bien souvent. Vous pensez à vos enfants et bien moi je pense à ceux qui se sont sacrifiés à travailler comme des forcats, dans des conditions horribles pour bâtir nos villes et villages, à des salaires ridicules, encore et toujours pour ces mêmes fouilleurs de merde, ces chercheurs d’or facile qui n’ont jamais les mains sales. À cette époque des robes noires (!) mes aîeux n’ont pas eu le temps ni LA permission pour se rebeller. Cette époque est révolue. Je vous appuierai Dominic Champagne, jusqu’à mon dernier souffle, peu importe le « prix ».
Denis Larocque