Recension réalisée par Stéphane Ménia, du blogue L’iconoclaste.
Titre : Le temps des Riches. Anatomie d’une sécession
Auteur : Thierry Pech
Editeur : Seuil
Parution : 2011
Prix : 15 €
L’idée centrale du livre de Thierry Pech est que les Riches sont en train de faire sécession : ils s’écartent délibéremment du reste de la société. Le petit groupe de quelques pourcents (voire moins) en haut de la hiérarchie des revenus ne se considère plus comme ayant des comptes à rendre aux autres qu’à eux-mêmes. Poussé à ses limites, ce processus est destructeur pour la société et la démocratie. « De sorte que deux chemins s’ouvrent désormais devant nous : soit un lent renconcement aux promesses d’égalité qui fondent nos démocraties, avec les dangereux contre-feux et réactions populistes qu’il ne manquera pas d’engendrer, soit la définition d’un nouveau pacte social qui impliquera une redéfinition des exigences de solidarité ».
Ce qui est facsinant, selon Thierry Pech, c’est la façon dont ce mouvement de séparatisme s’est développé et légitimé. L’auteur relève d’un côté les justifications apportées par les Riches eux-mêmes ou par d’autres commentateurs. Ce serait le talent exceptionnel, le travail et la création de richesses pour tous qui expliqueraient qu’il est normal que se développent des écarts de revenus ou de patrimoine énormes. Pech conteste ces arguments. Il souligne le fait qu’aussi talentueux soit-on, on ne peut exprimer son talent que par la présence des autres (personne ne se fait tout seul), que ce talent est parfois rémunéré indépendamment des performances réelles (cadres dirigeants) et que toute réussite est contrainte par un système social en dehors duquel elle disparaît. Il montre comment l’héritage est en train de reprendre une place prépondérante dans la richesse et revient – pour la confondre – sur la thèse du ruissellement, selon laquelle l’enrichissement des hauts revenus conduirait forcément à la haausse des revenus de tous, par la diffusion de leurs initiatives d’investissement et de création (ce qui n’est pas le cas).
En résumé, traders, artistes, footballeurs, hauts dirigeants… pas un ne peut justifier sérieusement, au travers d’arguments économiques, le creusement des inégalités des 20 dernières années. Mais les critiques communes des hauts revenus sont absurdes, selon l’auteur et relèvent d’une critique à double ressort. Le premier est la morale. Les Riches seraient cupides et ce serait un trait de caractère condamnable en soi. A ceci près qu’être riche n’est pas forcément synonyme de cupidité et que se limiter aux individus laisse de côté la façon dont on devient riche dans une société, un système donnés. Le second est l’idéologie. Débattre de la richesse se résume trop souvent à opposer deux camps : celui des puissances de l’argent soutenues par le pouvoir et celui des réfractaires à la réussite. Thierry Pech rejette cette approche et son analyse précédente des mécanismes économiques qui produisent la concentration de la richesse s’éloigne à dessein de cette démarche axée sur la morale ou l’éidéologie.
Dans la dernière partie de son ouvrage, l’auteur donne la seconde clé de compréhension de ce qui a permis la sécession des plus fortunés. Outre quelques arrangements fiscaux, le point essentiel reste que les non-riches ne détestent pas les Riches, en réalité. Et les Riches se sentent pleinement délivrés de toute modération. Le lien entre les deux attitudes est l’évolution de l’individualisme. Pour Pech, les règles collectives du Fordisme canalisaient le désir de richesse. Or, dès lors que ces institutions se sont effacées au profit d’une forme de culte de la performance, l’individualisme ne trouve plus de limite naturelle à la recherche de la richesse. Etre performant nécessite de l’accroître constamment. Ce mode de fonctionnement n’est pas propre aux Riches. Il est reconnu par les autres membres de la société, pour une raison simple : eux aussi voudraient être riches. Accepter l’opulence de certains, c’est se donner le droit d’en profiter un jour, le cas échéant. Et même si cela n’arrive pas, le spectacle de la vie extraordinaire des fortunés est un loisir que le pauvre s’autorise. En d’autres termes, faire du riche un indidivu lambda, c’est supprimer le rêve d’une autre vie pour le pauvre.
En conclusion, Thierry Pech rappelle comment la construction de l’Etat moderne a permis le développement de solidarité tout en favorisant l’émergence de l’individu. Il estime que ce développement a créé des sociétés meilleures et s’inquiète de la rupture que constitue la sécession des Riches, appellant à repenser la philosophie qui gouverne nos sociétés actuelles.
Le temps des Riches est un livre qui ne manque pas de qualités. Il est posé, malgré le caractère potentiellement polémique du sujet. Son style est agréable et clair. Surtout, la première partie de l’ouvrage regorge de sources variées et de bon niveau. A partir de cette partie qui compile un certain nombre de faits essentiels sur le sujet, l’auteur déroule sa thèse, qui, globalement, est assez convaincante. A condition néanmoins de souscrire à une vision égalitariste (disons rawlisienne) de la société.
PS : J’ai vraiment trouvé remarquable le travail de documentation de Pech sur sa première partie. L’idée m’est venue d’en faire une sorte d’index, avec les idées et chiffres clé ainsi que les références aux travaux cités (avec des liens quand cela est possible). Ce document sera publié sous la forme d’un billet sur le blog. Vous pouvez le retrouver en cliquant ici.
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