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Le samedi 23 avril 2022

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Faux dur

L’auteur invité est un Denis Clerc, fondateur du magazine Alternatives Economiques. Il aborde ici la question de la réforme française de la fiscalité sur les revenus de gain en capital.

Les créateurs d’entreprise s’émeuvent d’être taxés dans le prochain budget pour l’année 2013 à 60,5 % sur les plus-values encaissées cette année, contre 34,5 % précédemment. Confiscatoire, estiment les intéressés, qui refusent de passer pour des « pigeons ». En réalité, le chiffre de 60 % sonne bien, mais il est faux. La réforme taxera les spéculateurs, pas les créateurs d’entreprise.

Les créateurs d’entreprise, paraît-il, ne veulent pas être les pigeons du tour de vis fiscal. Ils dénoncent la décision du gouvernement d’intégrer désormais dans leur déclaration d’impôt sur le revenu les plus-values de cession qu’ils peuvent percevoir lors de la revente des parts ou actions de leur entreprise. Ces plus-values seront donc imposées à 45 % (le nouveau taux marginal de l’impôt sur le revenu lorsque le revenu imposable sera supérieur à 150 000 euros par part), au lieu de subir le prélèvement fiscal libératoire de 19 % qui existait jusqu’alors. A ce nouveau prélèvement fiscal s’ajoutera un prélèvement social qui, depuis le 1er juillet 2012, est passé de 13,5 % à 15,5 %. Au total, 60,5 % sur les plus-values encaissées en 2012, contre 34,5 % précédemment, titre la presse. Confiscatoire, estiment les intéressés : un célibataire ayant réalisé une plus-value d’un million d’euros en 2012 versera au fisc 450 000 euros en sus des 155 000 euros versés au titre des prélèvements sociaux.

Le chiffre de 60 % sonne bien, mais il est faux. D’abord, le prélèvement fiscal ne porte que sur la partie effectivement perçue par notre célibataire, après déduction des prélèvements sociaux effectués en général à la source : donc sur 845 000 euros. Ensuite, un système de quotient devrait être mis en place dès lors que la plus-value est réalisée sur des titres détenus depuis au moins deux ans. Dans le cas de notre célibataire, s’il a détenu les titres pendant au moins quatre ans, l’impôt sera calculé sur le quart de la plus-value, soit 211 000 euros : s’il n’a pas d’autres revenus, le bénéficiaire de la plus-value sera donc soumis au barème fiscal de l’impôt sur le revenu, avec une tranche non imposée, une autre à 5,5 %, la suivante à 14 %, la suivante à 30 % et enfin le reste à 45 %. Puis, l’impôt ainsi calculé sera multiplié par 4 (montant du quotient). Ce qui, dans notre exemple, aboutit à 302 000 euros (au lieu des 380 000 si ce système de quotient n’existait pas). Évidemment, l’impôt n’est réduit de façon substantielle que si la plus-value est d’un montant assez faible. Par exemple, pour une plus-value de 500 000 euros (422 500 nets après prélèvements sociaux), l’impôt dû par notre célibataire serait de 120 000 euros, soit un taux effectif de 28,5 % au lieu des 45 % apparents.

Mais ce n’est pas tout. Si les titres générateurs de plus-values ont été détenus au moins douze ans (ce qui est généralement le cas pour les patrons de PME, qu’il ne faut pas confondre avec des traders), la plus-value prise en compte pour le calcul de l’impôt sera réduite de 40 %. Dans le cas de notre millionnaire, le cumul de ces deux dispositions devrait ramener son impôt à 154 000 euros (18 % effectifs au lieu des 45 % annoncés), et à 54 000 euros si la plus-value initiale est de 500 000 euros (soit un taux d’imposition de 13 %). Enfin, si la plus-value est perçue par un patron qui prend sa retraite ou qui la réinvestit à 80 % dans les trois ans qui suivent, le régime antérieur (prélèvement fiscal libératoire de 19 %) s’appliquera.

On le voit, ce mécanisme – comme toute la fiscalité sur le revenu à la française d’ailleurs – est un « faux dur ». Il épargnera largement les patrons qui partent en retraite, ou qui se reconvertissent, ou qui détiennent leurs actions ou parts sociales depuis longtemps. Bref, les entrepreneurs – au sens classique du terme – qui ont réussi. Au contraire, il sanctionnera fortement ceux qui font des « coups », achetant pour revendre peu après mais plus cher, à la découpe souvent quand il s’agit d’une entreprise, ou profitant d’une bulle boursière pour réaliser de fructueuses opérations.

Destructrice, cette réforme ? Nuisible à la création d’entreprise ? En réalité, elle vise à sanctionner les comportements spéculatifs, sans pénaliser pour autant les vrais créateurs, ceux qui, après avoir pris le risque de se lancer dans l’aventure, cherchent avant tout à faire grandir leur « bébé », tant ils y sont attachés. Ceux-ci, certes, seront plus imposés que précédemment dès lors qu’ils engrangent des plus-values de cession importantes, mais seuls les spéculateurs seront sanctionnés par des prélèvements dissuasifs. Où est le mal ? Une bonne partie de ceux qui se disent plumés comme des pigeons n’ont pas regardé le détail des mesures envisagées et se sont laissé prendre au miroir déformant des « 60 % », comme François Fillon sur France Inter le 3 octobre au matin. Même le ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici, sur la même radio, semble être tombé dans le panneau. Sans se rendre compte qu’en réalité, ils sont manipulés par d’autres qui, au nom de la défense des entrepreneurs, cherchent essentiellement à maintenir un statu quo, dans lequel la spéculation – à l’origine de la crise de 2008 – rapporte plus gros et plus vite que l’économie réelle.

Pour lire le texte original, on va sur le site du magazine Alternatives Economiques

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