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Le samedi 23 avril 2022

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L’organisation communautaire au Québec : un pionnier se raconte

Une étude faite il n’y a pas si longtemps par le Centre de formation populaire (CFP), Pour que travailler dans le communautaire ne rime pas avec misère (François Aubry et alii, 2005), nous révélait qu’il y a aujourd’hui plus de 8000 organisations communautaires reconnues et disposant d’un financement public et que ces associations citoyennes ont crée 50,000 emplois à temps plein ou à temps partiel au fil des décennies.

On peut aussi suivre la progression quantitative du «communautaire» à partir de l’évolution des budgets du gouvernement du Québec en la matière : par exemple entre 1991 et 2001, le budget du gouvernement du Québec pour les organisations communautaires est passé de $57 millions pour 1729 organisations à $232 millions pour 2800 organisations (Jetté, 2008). Le coup d’envoi d’une première politique publique en la matière en 2001 n’y est certes pas étranger comme j’en fais la démontration dans mon billet du blogue de la CRDC à ce propos.

Par delà les chiffres et les politiques publiques, quelques 40 ans d’histoire de ce mouvement mérite une attention particulière. Cela remonte à la fin des années 1960 quand la jeunesse étudiante de l’époque organisait ses mobilisations pour la démocratisation de l’université (le réseau de l’Université du Québec n’existait pas), mobilisations fortes qui en amenèrent un bon nombre à s’engager dans le mouvement communautaire naissant tout comme dans le «rajeunissement» du syndicalisme et des organisations de coopération internationale. Sur fond d’affirmation nationale qui montait en puissance, ce fut l’itinéraire de nombreux militants dont bon nombre se sont professionnalisés au fil du temps (en travail social communautaire dans nos universités notamment). On retrouve ce parcours collectif dans un livre que nous avons mené à quatre chercheurs de l’UQO et de l’Université Laval. Mais on retrouvera le récit particulier d’un de ces pionniers, Michel Blondin, dans un livre qui vient de paraître aux Presses de l’Université du Québec et dont l’intitulé est Innover pour mobiliser. L’actualité de l’expérience de Michel Blondin.

Ils sont malheureusement trop rares, dans ce domaine comme dans d’autres, ceux qui systématisent leur itinéraire professionnel et social. C’est le premier mérite de l’initiative de Michel Blondin d’avoir su structurer, par le récit, une des approches en organisation communautaire qui a fait du Québec une terre d’expérimentation en la matière, ce qui surprend et fascine souvent nos collègues et amis européens.

Michel Blondin, aujourd’hui retraité, a été parmi les premiers de sa génération à la fin des années 1960 a participé littéralement à l’invention d’une nouvelle profession, celle d’organisateur communautaire. Il sera tour à tour organisateur communautaire dans des quartiers populaires de Montréal, coopérant international en Bolivie, éducateur à la solidarité internationale au Québec, conseiller syndical responsable de formation syndicale à la FTQ (chez les Métallos) puis à la formation économique au Fonds de solidarité. Bref une expérience forte sur plusieurs décennies, plus de 40 ans en fait, dans le monde communautaire, le monde syndical, celui de l’économie sociale et de la coopération internationale. Il n’est pas le seul cependant. Je pense à des animateurs sociaux comme Gilles Roy, mort récemment, qui fut un pionnier des Opérations Dignité dans le Bas-Saint-Laurent ; à Lorraine Guay, d’abord travailleuse communautaire à la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles devenue infirmière pour cette même clinique, puis «infirmière sans frontière» et solidaire au Salvador ; à plusieurs organisateurs de la première génération d’OC en CLSC, les Jacques Fournier (à Longueuil), René Lachapelle (à Sorel), Gérald Larose et Gilles Beauchamp (dans Hochelaga-Maisonneuve à Montréal). Et j’en passe. Tous aujourd’hui à la retraite ou près de l’être mais toujours bien actifs…

Michel Blondin a été un pionnier de l’animation sociale. Son approche en organisation communautaire fait encore aujourd’hui partie des méthodologies utilisées dans l’enseignement en travail social. C’est à travers son parcours personnel qu’il choisi de les faire valoir. En lisant ce récit, on peut se rendre compte comment, dans différents contextes et époques, il est possible d’«innover», c’est-à-dire de trouver des réponses inédites à des enjeux nouveaux pour mobiliser tantôt des résidents de quartiers populaires de Montréal, tantôt des paysans boliviens, tantôt des publics québécois qu’on veut sensibiliser à la solidarité internationale de proximité, tantôt un important syndicat de la FTQ dans le secteur de la métallurgie (formation en matière de sécurité-santé au travail), tantôt des responsables locaux de syndicats de la FTQ pour leur fournir les assises d’une formation économique et ainsi constituer la base sociale du Fonds pour l’emploi et le développement de cette centrale.

En lisant Michel Blondin, on cerne mieux une partie de cette pratique d’intervention qui visait à constituer, dans les années 1960, les premiers «comités de citoyens» devenus par la suite des groupes populaires, base du mouvement communautaire d’aujourd’hui. C’est également être témoin de la contribution d’une profession liée à la mise en place d’un tissu associatif qui est aujourd’hui constitué de milliers d’organisations. Ce récit permet également de fournir un certain éclairage sur la transformation de la coopération internationale de proximité qui se libérait à une certaine époque (les années 1970) de son «assistancialisme» (si on me permet cet hispanisme) à l’égard des pays du Sud et sur la percée d’une «économie autrement», celle des fonds de travailleurs, des coopératives et de l’économie sociale dans les années 80 et dans les années 1990.

Sans contredit, par delà les choix politiques de chaque époque au sein de différents mouvements, le fil conducteur induit par la démarche de l’organisation communautaire aura été et est encore la mobilisation de la «société civile», une clé maîtresse de la démocratie. Si cette dernière est faite d’institutions et de mouvements à l’échelle nationale, elle ne peut faire l’économie d’un renforcement économique et social des communautés locales. Sans politiques publiques progressistes, il n’y a pas de généralisation des «innovations sociales» mais sans communautés locales fortes, il n’y a pas de démocratie vivante.

Ce livre offre donc au lecteur un outil de réflexion qui complète bien la littérature existante sur l’organisation communautaire surtout en milieu urbain comme Montréal par le biais d’un récit de vie dont l’essentiel aura été pour beaucoup d’attacher toute l’importance nécessaire à la formation, celle qu’on peut caractériser comme étant une formation citoyenne.

Michel Blondin nous rend bien compte de cela dans une série de chapitres qui passent par le Service d’animation sociale du Conseil des oeuvres (1964-1969), un travail de coopérant de SUCO en Amérique latine (1970-1975), celui de conseiller à la formation chez les Métallos de la FTQ (1975-1990) et de conseiller au Fonds de solidarité de la FTQ (1991-2005). Tout cela le ramènera finalement, une fois la retraite prise en 2005, dans une des composantes du mouvement communautaire de Montréal, le développement économique communautaire, par sa participation à la direction de la CDÉC de Rosemont-Petite-Patrie et du Centre Saint-Pierre. Il est à souhaiter que d’autres pionniers prendront le risque de faire la même chose en prenant le temps qu’il faut pour le faire. La retraite aide à cela car elle offre du temps qu’on n’a pas autrement et donne de la distance. Par la même occasion, on y gagne généralement en profondeur.

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