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Le samedi 23 avril 2022

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En finir avec le déficit d’emplois aux Etats-Unis

L’auteure invitée est par Laura Tyson, professeur au Haas School of Business de l’Université de Californie, Berkeley, et ancienne présidente du Comité des conseillers économiques du président Clinton.

Les derniers chiffres du chômage aux Etats-Unis confirment que l’économie américaine se remet progressivement de la Grande Récession de 2008-2009, et ce en dépit de l’enlisement des autres nations du G20. Le rythme de croissance de l’emploi dans le secteur privé est en effet bien plus élevé que durant la période de reprise de 2001, et comparable à celle de 1990-1991.

Au cours des 31 derniers mois, le secteur privé a créé 5,2 millions d’emplois et le taux de chômage est désormais descendu en dessous de la barre des 8% pour la première fois depuis près de quatre ans. Mais ce taux demeure toujours 2 points supérieurs au chiffre généralement considéré par la plupart des économistes comme normal lorsque l’économie évolue au plus proche de son potentiel.

En outre, le nombre de chômeurs de longue durée (27 semaines ou plus) représente près de 40% du total – au plus bas depuis 2009, mais encore très au-dessus de celui constaté lors des précédentes récessions depuis la Grande Dépression, et environ le double de celui généralement constaté dans un marché du travail normal. Le marché du travail américain, bien qu’en voie de rétablissement, est donc encore très loin de ce qu’il devrait être.

Ceci est en partie le fait de pertes d’emplois très importantes durant la Grande Récession – le double des chiffres constatés lors des précédentes récessions depuis la Grande Dépression. Au regard de l’histoire économique américaine, ce qui est anormal n’est pas tant la courbe de croissance de l’emploi dans le secteur privé depuis la fin de la récession de 2008-2009, mais plutôt la durée et l’intensité de la récession elle-même.

Ce ralentissement de l’économie est caractéristique d’une récession de bilans, et il a provoqué une chute conséquente de la richesse des ménages et imposé un douloureux désendettement. Dans la droite ligne des reprises de récessions comparables, la relance de la demande est très lente, malgré une stimulation budgétaire et monétaire sans précédent, et c’est ce qui explique un chômage très élevé. Car selon les entreprises, le principal frein à la création d’emplois provient plus des incertitudes autour de la vigueur de la demande, que d’incertitudes au sujet de la régulation ou de la fiscalité.

La demande du secteur public s’est aussi contractée en conséquence de la détérioration de la situation budgétaire des gouvernements locaux et fédéraux. L’emploi dans ce secteur, généralement en hausse en période de reprise économique, participe donc fortement aux chiffres élevés du chômage constatés ces trois dernières années. Malgré un léger frémissement ces trois derniers mois, l’emploi dans le secteur public reste inférieur de 569 000 postes par rapport à son niveau de 2009 – le chiffre le plus bas depuis 30 ans dans la population civile adulte. Selon les calculs du Hamilton Project, si ce chiffre était à son niveau moyen constaté dans la période 1980-2012 de 9,6%, (il était d’ailleurs supérieur entre 2001 et 2007), il y aurait 1,4 millions d’emplois publics supplémentaires, et le taux de chômage serait aux alentours de 6,9%.

De récentes études suggèrent qu’il y aurait plus de trois millions d’offres d’emplois disponibles, et qu’environ 49% des employeurs prétendent avoir des difficultés à pourvoir ces postes, particulièrement dans les technologies de l’information, l’ingénierie, et les postes hautement qualifiés. Cette situation pourrait laisser penser que ce taux de chômage élevé résulte de ce « décalage » entre qualification de la main d’œuvre et besoins des employeurs.

Mais peu d’éléments viennent corroborer cette analyse. La relation entre le taux de chômage et celui de l’offre d’emplois est comparable aux tendances constatées lors des précédentes périodes de reprise. Et il n’y a rien d’anormal dans les décalages entre les offres d’emplois et la disponibilité des travailleurs par industrie.

On constate de tels décalages dans l’industrie lors des récessions, du fait des mouvements dans le marché du travail induits par le déplacement des travailleurs entre secteurs en expansion et ceux en régression; mais ils se réduisent au fur et à mesure que l’économie se remet sur pied. Cette tendance est aussi vérifiée dans l’actuelle reprise, et des données récentes suggèrent que ces décalages entre la demande et l’offre d’emplois par l’industrie sont revenus à leurs niveaux d’avant la récession.

Mais tandis que l’économie américaine récupère, les évolutions technologiques s’accélèrent, créant une demande plus forte pour une plus grande spécialisation des compétences dans une période où le relèvement du niveau de formation de la main d’œuvre stagne. Là est le véritable fossé des compétences qui existait avant la Grande Récession, mais qui s’élargit avec le temps.

Ce fossé se manifeste par un taux de chômage nettement plus élevé chez les travailleurs n’ayant pas poursuivi d’études supérieures que pour ceux diplômés de l’université à chaque niveau du cycle économique. Ce fossé se traduit aussi par une inégalité notable – et croissante – des revenus entre ces deux catégories.

Les revenus sont particulièrement élevés pour les diplômés de troisième cycle, alors que les salaires réels des travailleurs n’ayant pas poursuivis d’études au-delà du lycée, surtout les hommes, ont très sensiblement chuté. Il devient de plus en plus difficile pour les personnes avec peu ou pas de diplômes de trouver un emploi bien rémunéré dans n’importe quel secteur, même lorsque l’économie évolue au plus près de sa capacité maximale.

Pratiquement tout au long du vingtième siècle, les Etats-Unis étaient en tête du classement des pays en taux de diplômés du secondaire et universitaires. Ce n’est plus le cas, et ils se retrouvent aujourd’hui dans la moyenne des pays de l’OCDE.

L’un des facteurs permettant d’expliquer ce déclin relatif est l’incapacité du système scolaire américain à assurer un enseignement de qualité aux Américains déshérités, particulièrement les enfants de familles pauvres, issus des minorités et immigrants. Selon le recensement le plus récent, environ un quart des enfants en dessous de six ans vivent dans la pauvreté. Ils sont moins susceptibles d’avoir accès aux programmes de la petite enfance qui les préparent à l’école, et sont le plus souvent inscrits dans des écoles où les classes sont surpeuplées et qui ne sont pas en mesure d’attirer ni de garder les professeurs compétents.

La conséquence de ces problèmes, et d’autres encore, est que le lycéen américain moyen est mal préparé dans les matières essentielles – l’expression écrite, les mathématiques, et le raisonnement analytique – ce qui en conséquence provoque une baisse des inscriptions universitaires et du taux de complétude des études engagées. La situation américaine est fidèle aux constatations de l’OCDE selon lesquelles les étudiants issus de pays avec de plus grandes inégalités de revenus réussissent moins bien aux examens. Et une récente étude de McKinsey montre que les écarts entre les opportunités et la réussite universitaires par revenus imposent l’équivalent d’une récession perpétuelle de 3 à 5% du PIB sur l’économie américaine.

Pour palier à ce fossé des compétences, les Etats-Unis doivent faire en sorte d’assurer la réussite universitaire des travailleurs actuels et futurs. Cela implique des investissements supplémentaires dans tous les secteurs du système éducatif – petite enfance, école élémentaire et secondaire, universités publiques, programmes de formation professionnelle spécialisée pour les postes spécifiques dans des secteurs spécifiques, et aide financière pour encourager la formation supérieure. Mais surtout, cela signifie de réduire les disparités de revenus pour favoriser les opportunités et la réussite dans l’éducation.

Copyright: Project Syndicate, 2012.
www.project-syndicate.org

Pour lire le texte original, avec les nombreux hyperliens, on va sur le site Project Syndicate.

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