Déjà soumis à des contraintes économiques et agro-écologiques de plus en plus importantes, le monde agricole doit aujourd’hui composer avec les conséquences de longue portée associées au phénomène de l’accaparement des terres. Piloté par une puissante agriculture de capitaux, ce phénomène conduit en effet, dans bien des cas, à une déstructuration des modèles agricoles axés sur l’agriculture de métier, sur les établissements de petite et moyenne taille, la polyvalence de l’économie agricole, la souveraineté alimentaire et l’habitation du territoire.
Dans un rapport déposé au printemps dernier, nous avons examiné ce phénomène mondialisé sous ses principales coutures, de manière à saisir comment cette financiarisation de l’agriculture pouvait impacter le Québec. Nous y soutenions alors que, bien qu’il ne soit pas encore clairement affecté par cette dynamique, le modèle agricole québécois n’était pas à l’abri. Au moment de la publication du rapport, on apprenait que la Financière Banque Nationale et son partenaire de « terrain » avaient acquis près de 5000 acres de terres au Lac-St-Jean et souhaitaient éventuellement en acquérir davantage. Non seulement les gestionnaires de fonds de Montréal partagent-ils la même grille d’analyse que leurs collègues de Séoul, de Boston ou de Londres, mais les conditions favorables à l’expansion de ce phénomène sont en voie d’être réunies. Mentionnons seulement le fait qu’au cours des cinq prochaines années, plusieurs dizaines de milliers d’hectares de terres agricoles seront mis en vente au Québec, dans un contexte où la relève agricole rencontre de sérieux obstacles à l’installation.
Partant de la prémisse selon laquelle l’accaparement des terres est une problématique globale, nous avons, dans un second rapport commandé par l’Union des producteurs agricoles, avancé une proposition d’ensemble visant à doter le Québec d’une nouvelle institution destinée à maîtriser le développement de son modèle agricole. En effet, la création d’une Société d’aménagement et de développement agricole du Québec (SADAQ) donnerait aux collectivités régionales un puissant instrument d’acquisition et de transfert d’établissements, permettant à la fois de freiner la spéculation foncière, de rétribuer correctement les agriculteurs qui vendent leurs fermes au moment du départ à la retraite, de favoriser l’installation d’une relève axée sur l’agriculture de métier et de maintenir la structure d’occupation du territoire.
Disposant de pôles dans chacune des régions du Québec, y compris dans les communautés métropolitaines de Montréal et Québec, la SADAQ aurait pour mandat d’acquérir des terres et des fermes identifiées comme stratégiques pour la région, afin de les transférer à une relève dont les projets de production s’inscrivent dans le renouvellement du modèle agricole québécois. Si l’essentiel des transactions se réaliseraient de gré à gré, la proposition contient la reconnaissance d’un droit de préemption à la SADAQ, droit permettant de suspendre une transaction en cours afin de remplacer l’acquéreur potentiel. Cette mesure d’exception, qui existe déjà en France, permettrait à la SADAQ de bloquer en ultime recours des transactions qui seraient particulièrement dommageables pour la trame de l’économie agricole régionale.
En plus de favoriser le transfert des établissements, la SADAQ remplirait aussi des fonctions de surveillance des transactions sur le domaine foncier agricole au Québec. Soulignée par les observateurs du monde agricole, l’absence de connaissances fines et rigoureuses des transactions foncières limite fortement la capacité d’intervention du gouvernement face à des phénomènes de cette ampleur. C’est la raison pour laquelle la SADAQ constituerait, de concert avec la Commission de protection du territoire agricole du Québec, un Bureau d’enregistrement et de veille stratégique sur le foncier agricole, chargé d’avoir une vue d’ensemble des transformations de la structure foncière de son territoire.
Aspect particulièrement névralgique de la proposition, le mode de financement de la SADAQ est non seulement une manière d’envisager la viabilité financière de la Société, mais vise à montrer, plus largement, comment la finance pourrait être remise au service du développement des collectivités. En fait, la proposition avancée suggère deux modes de financement complémentaires, deux modes de canalisation des liquidités gérées par les fonds d’investissement : d’une part, la capitalisation de la SADAQ serait assurée par l’émission d’obligations à long terme garanties par le gouvernement, ce qui en ferait une classe d’actifs sûrs pour le portefeuille de titres des gestionnaires de fonds. D’autre part,la SADAQ pourrait lever les capitaux nécessaires à l’exercice de sa mission et objectifs par la mise en place d’un Fonds de développement agricole du Québec, fonds émettant des parts pouvant être acquises par d’autres fonds d’investissement.
Ainsi, la proposition met de l’avant un mécanisme permettant de renforcer et de relancer le modèle agricole québécois, un mécanisme de « définanciarisation » de l’économie par lequel les rapports entre la finance et le développement des collectivités pourraient être reconfigurés à la faveur de ces dernières.
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