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Le samedi 23 avril 2022

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La récession politique de l’Amérique

L’auteur invité est J. Bradford DeLong, professeur d’économie à la University of California at Berkeley et chercheur associé au National Bureau for Economic Research.

A l’heure actuelle, il y a environ 36% de chances que les États-Unis seront en récession l’an prochain. La raison en est entièrement politique : la polarisation partisane a atteint des niveaux jamais vus, menaçant de faire tomber l’économie américaine de la « falaise fiscale » – les hausses d’impôts et réductions de dépenses automatiques qui entreront en vigueur au début de 2013, à moins que démocrates et républicains ne se mettent d’accord pour l’empêcher.

Il y a plus d’un siècle, au cours du premier Age d’Or, la politique américaine était fortement polarisée également. En 1896, le futur président Theodore Roosevelt se comportait en véritable chien d’attaque républicain. Il critiquait le candidat présidentiel démocrate William Jennings Bryan pour être une simple marionnette du sinistre gouverneur de l’Illinois, Jean-Pierre Altgeld.

Bryan, disait Roosevelt, « est comme de l’argile dans les mains du potier, sous le contrôle avisé du communiste ambitieux et sans scrupules de l’Illinois. » La « frappe libre de la monnaie » n’était « qu’une étape vers le socialisme général, qui est la doctrine fondamentale de ses opinions politiques. » Lui et Altgeld « cherchent à renverser… les politiques essentielles qui ont contrôlé le gouvernement depuis sa fondation. »

Pareil langage est tout aussi extrême que ce que nous entendons aujourd’hui – et de la part d’un homme qui allait bientôt devenir vice-président (et ensuite président, après l’assassinat de William McKinley). Nous avons récemment entendu le gouverneur du Texas Rick Perry appeler de manière indirecte au lynchage de son compatriote républicain, le président de la Réserve fédérale Ben Bernanke, s’il osait venir dans le Lone Star State. Nous avons également vu le secrétaire d’état du Kansas, Kris Kobach, tenter d’éliminer le président Barack Obama du scrutin au Kansas, parce que, selon Kobach, Obama « n’est pas un citoyen de souche. »

Cependant, ni Perry, ni Kobach ne sont susceptibles de devenir un jour président des Etats-Unis, alors que Theodore Roosevelt était plus qu’un simple partisan. Il était heureux de faire des accords avec les démocrates – en vue de se positionner à la tête non seulement du parti républicain mais aussi de la coalition bipartite progressive, essayant soit d’unir des deux forces soit de louvoyer de l’une à l’autre pour atteindre des objectifs législatifs et politiques.

Dans les grandes lignes, Obama suit la politique de sécurité (du second terme) de Ronald Reagan, la politique de dépenses George H.W. Bush, la politique fiscale de Bill Clinton, la politique de réglementation financière du Squam Lake Group qui fait l’unanimité, la politique d’immigration de Perry, la politique sur le changement climatique de John McCain et la politique des soins de santé de Mitt Romney (du moins quand Romney était gouverneur du Massachusetts). Et pourtant, pratiquement aucun républicain n’est venu en aide pour soutenir leurs propres politiques.

En effet, comme Clinton avant lui, Obama a été incapable de convaincre des sénateurs républicains comme Susan Collins de voter en faveur de ses propres politiques sur le financement des campagnes, McCain de voter pour sa propre politique sur le changement climatique et – le plus risible – Romney de voter pour soutenir son propre plan pour les soins de santé. De même, il a été incapable d’obtenir l’approbation du candidat républicain à la vice-présidence Paul Ryan concernant ses propres propositions pour contrôler les coûts de Medicare.

Il y a des raisons évidentes à cela. Une grande partie de la base républicaine, dont la plupart des plus grands donateurs du parti, estime que tout président démocrate est un ennemi illégitime de l’Amérique, de sorte que tout ce qu’un tel président propose est nécessairement une mauvaise idée qui doit donc être contrecarrée. Et les cadres républicains sont encore plus convaincus de cela dans le cas de Barack Obama qu’ils ne l’étaient pour Clinton.

Ce point de vue influence clairement les Républicains qui sont titulaires d’une charge publique, parce qu’ils craignent la bête partisane qui décide qui sera de service dans les permanences téléphoniques de campagne et qui détient les cordons de la bourses. En outre, depuis l’élection de Clinton en 1992, les personnes à la tête du parti républicain ont estimé que la création d’une impasse à chaque fois qu’un démocrate est à la Maison Blanche, démontrant ainsi l’incapacité du gouvernement à agir, est leur meilleure garantie d’un succès électoral.

C’était la position des républicains en 2011-2012. Et l’élection de novembre n’a en rien changé l’équilibre des forces au sein du gouvernement américain: Obama reste président, les républicains gardent le contrôle de la chambre des représentants et les démocrates contrôlent le sénat.

Ceci dit, il est possible que les législateurs républicains se rebellent contre leurs dirigeants. Ils pourraient invoquer le fait qu’ils se présentent en vue d’obtenir des portefeuilles à gérer, et non pas pour paralyser le gouvernement dans l’espoir que cela donnera au parti le pouvoir de régner comme il le souhaite après la prochaine élection. Il se peut que certains dirigeants républicains comme les représentants John Boehner et Eric Cantor et le sénateur Mitch McConnell concluent que leur politique d’obstruction a été un échec. Ils pourraient remarquer que, bien que l’économie reste profondément affectée par la crise financière qu’ils ont préparée, la politique d’Obama a été de loin la plus réussie de toutes celles mises en œuvre dans les principaux pays avancés. Ils pourraient conclure qu’il a été un relativement bon président, qui vaut la peine d’être soutenu.

Mais n’y comptez pas trop. À l’heure actuelle, tous les responsables politiques aux USA sont en train de déclarer auprès de leurs favoris dans la presse qu’ils sont convaincus que le compromis sur la « falaise fiscal » sera atteint avant la fin décembre. Mais ils se livrent à ces déclarations uniquement parce qu’ils estiment qu’ils risquent d’être blâmés pour les futurs blocages s’ils se montrent pessimistes aujourd’hui.

Il me semble qu’il y a environ 60% de chances que les véritables négociations ne commenceront pas avant que les taux d’imposition augmentent au 1er janvier. Et il me semble que, si l’impasse continue en 2013, il y a 60% de chances que les Etats-Unis plongeront dans la récession. Espérons qu’elle sera courte et peu profonde.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Copyright: Project Syndicate, 2012.
www.project-syndicate.org

Pour lire le texte original, on va sur le site Project Syndicate.

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