Un Sommet sur l’enseignement supérieur se tiendra au début de l’année 2013. Préalablement à sa tenue, des rencontres se dérouleront autour de quatre thèmes dont l’accessibilité est celui qui sera abordé cette semaine. C’est pourquoi nous présentons le billet légèrement remanié d’un entretien très éclairant avec le chercheur Yves Richelle paru dans le numéro de septembre 2012 du Bulletin de l’IRÉC. Yves Richelle est l’un des rédacteurs de la Note d’intervention de l’IRÉC sur la gratuité scolaire. Pour cet économiste, la gratuité scolaire est un outil de politique économique et non un gaspillage d’argent public.
Selon Yves Richelle, le débat entourant la hausse des droits de scolarité a mis en évidence trois problèmes de l’éducation postsecondaire, à savoir le financement des universités, l’accessibilité aux études et la gestion des universités. « Pour trouver des solutions efficaces, a-t-il expliqué, il faut des politiques qui corrigent un problème sans en affecter un autre. La hausse des droits de scolarité ne fait pas partie de ces politiques puisqu’elle peut contribuer à apporter une solution au financement des universités, mais elle nuit à l’accessibilité aux études ».
Aborder la question du financement des universités sous-entend la question du comment. « Est-ce par la taxation, l’abandon des crédits d’impôt ou le principe de l’utilisateur-payeur? Ce dernier principe en économie ne spécifie pas si les étudiants doivent-ils payer durant leurs études ou lorsqu’ils travaillent? Ce débat n’a pas été fait. Le gouvernement reconnait d’ailleurs que la hausse des droits de scolarité nuit à l’accessibilité, car il propose une amélioration du système de prêts et bourses pour certaines catégories d’étudiants. Mais ce système comporte lui-même des failles (pensons à la situation des étudiants à temps partiel) et génère des coûts pour le gouvernement (les intérêts versés aux banques, les coûts de gestion des dossiers des étudiants qui ne remboursent pas leurs prêts comme prévu, etc.). »
Inefficace
« On corrige donc un problème généré par l’utilisation d’une politique inefficace en utilisant une autre politique inefficace », constate-t-il. Pour éviter cette cascade d’inefficacité, les étudiants avaient proposé de résoudre le problème de financement des universités en révisant la gestion des universités. « À la limite, indique-t-il, les étudiants et les étudiantes, en tant qu’utilisateurs, pourraient exiger les services qu’ils veulent. S’ils paient, ils pourraient avoir un droit de regard sur la manière dont leur argent est utilisé. Et, pour la majorité d’entre eux, leur intérêt est d’avoir des professeurs pour la transmission du savoir, ce qui ne coïncide pas nécessairement avec l’intérêt des universités qui veulent avoir des chercheurs pour s’assurer une visibilité mondiale. Trop souvent, les critères pour choisir le personnel enseignant ne sont pas basés sur leurs qualifications comme enseignants, mais sur le nombre de leurs publications, de leurs consultations, des congrès auxquels ils ont assisté, etc. ».
La bataille des chiffres est représentative de ce phénomène. « En admettant, soutient-il, qu’un professeur passe 50 % de son temps à enseigner, ce qui est une hypothèse généreuse, en 2008-2009, l’étudiant ou l’étudiante payait déjà 25 % de sa formation alors que, pour la même année, le gouvernement utilise le chiffre de 13 %, ce qui représente la proportion des droits de scolarité versés par rapport au financement total des universités, dépenses de recherche incluses ».
Revenir aux objectifs de base
Pour l’économiste, il faut revenir aux objectifs de base d’une société. « En économie, rappelle-t-il, la société doit être organisée pour faire en sorte que chaque individu exploite son plein potentiel, ce qui est la meilleure façon d’obtenir le maximum de richesse. Le problème est que les individus ne possèdent pas toujours toutes les informations nécessaires à une bonne prise de décision. Il y a de plus un accès inégal à l’information. Les études récentes démontrent que ce n’est pas le revenu des parents qui est le facteur principal qui influence l’accès aux études des enfants, mais bien le niveau d’éducation des parents. Si les parents ont obtenu un diplôme universitaire, par exemple, les enfants auront environ 30 % de chances de plus d’aller à l’université. Ce résultat provient du fait que des parents universitaires peuvent beaucoup mieux transmettre les informations pertinentes sur l’ensemble des champs d’études offerts ainsi que sur les avantages d’un parcours universitaire. La société doit donc intervenir pour ceux et celles qui n’ont pas ou n’ont que partiellement accès à ce type d’informations ».
Information et expérimentation
C’est pourquoi, dans la note d’intervention de l’IRÉC une variable économique fondamentale a été introduite : l’information et l’expérimentation. « Avec la formule de l’utilisateur-payeur préconisée, précise Yves Richelle, la société perd de l’argent. C’est une question d’efficacité c’est-à-dire que l’on cherche à améliorer l’accès à l’information et donc aux études sans toucher au financement des universités et sans demander de contribution supplémentaire au citoyen. Le moyen utilisé est l’expérimentation. La société devrait permettre aux jeunes de faire un essai. Dans le moment, la perspective, c’est l’endettement, ce qui est un puissant désincitatif à expérimenter ».
L’IRÉC propose 30 crédits gratuits durant la première année à l’université, financés par l’abandon des crédits d’impôt. « Même si l’étudiant change d’option, il y a des chances qu’il reste à l’université, soutient Yves Richelle. S’il y a trop d’obstacles, les jeunes vont lâcher ou se retrouver en situation d’échec. On peut objecter que cela va favoriser les éternels étudiants. En économie, il ne faut pas concevoir une politique économique sur des exceptions. À ce titre, nous ne vendrions jamais d’alcool parce qu’il y a des alcooliques, etc. Il faut se dire : est-ce que je gagne plus en l’introduisant? Il faut aussi réaliser qu’il y a une valeur au temps. Tout individu se pose la question : qu’est-ce que je veux faire de mon temps? Si la télévision est gratuite, est-ce que je vais rester coller sur la télévision 24 heures sur 24? »
La gratuité n’est pas un outil irrationnel pour la science économique
Yves Richelle insiste : « La gratuité n’est pas outil irrationnel pour la science économique. Si nous laissons faire les individus, ils ne vont pas nécessairement prendre la meilleure décision du point de vue de la société. Nous n’avons pas intérêt à ce qu’un individu qui dispose des capacités et des intérêts pour un type d’études les arrête, car s’il persiste, c’est toute la société qui gagne à long terme. Ce problème d’information se retrouve dans d’autres domaines. N’utilisons-nous pas dans le secteur privé le principe de la gratuité avec l’essai d’un produit pendant trois mois par exemple, ne permettons pas l’écoute gratuite d’un disque avant l’achat? Il est possible d’explorer d’autres options comme la gratuité complète. C’est un débat de société qui n’a toujours pas été fait au Québec et qui serait intéressant de le faire en tenant compte de l’information scientifique qui existe déjà ».
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