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Le samedi 23 avril 2022

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La dette publique : (1) des mises au point du FMI

Lorsque l’on voit un gouvernement comme celui de Mme Marois renier pratiquement tous ses engagements afin de satisfaire les firmes de notation qui réclament plus d’austérité et moins d’endettement, il y a tout lieu de questionner cette pensée unique, aveugle et suicidaire. Les firmes de notation ont-elles, comme le pape (!!!), cette qualité rare d’infaillibilité ? Il y a loin d’avoir un consensus fort chez les économistes selon lequel passé un niveau de dette jugée trop élevé, il y aurait automatiquement un effet négatif sur la croissance économique. La réalité actuelle (mais aussi l’histoire des pays développés, comme nous allons le voir plus loin) nous montre qu’il n’existe pas un niveau universellement reconnu de la dette publique qui, au-delà, serait automatiquement synonyme de décroissance.

Une étude de deux chercheurs français, Alexandru Minea et Antoine Parent, portant sur les pays développés pour la période 1945-2009, a récemment permis de montrer deux faits importants : premièrement, que les effets négatifs d’une dette publique dépassant le ratio de 90% du PIB étaient significativement moins élevés que ce que les travaux habituels laissaient supposés (0,5% contre 3% pour les travaux de Reinhart-Rogoff); deuxièmement, que la relation entre le niveau de dette publique et la croissance d’une économie n’offre pas une relation univoque fixe puisqu’à certains moments une augmentation de dette publique est associé à moins de croissance et que, à d’autres moments, plus de dette publique est associé à plus de croissance. Autrement dit, pour comprendre correctement les enjeux d’intervention de l’État dans un contexte comme celui que nous connaissons aujourd’hui, qui implique un effort considérable pour reconvertir le système productif, il faut absolument pouvoir sortir de la relation simpliste supposant une corrélation négative entre dette et croissance, de manière à saisir les causalités complexes de l’endettement public, distinguant par exemple entre investissements productifs sur le long terme et dépenses fiscales stériles pour la consommation sur le court terme. ÉA mon avis, ceux qui ne font pas ces distinctions n’ont aucune forme de justification à prétendre pouvoir conseiller l’État.

Un pays qui dépasse un ratio de 115 % de dette publique, nous disent Minea et Parent, présente en moyenne un taux de croissance supérieur à ceux dont le ratio se situe entre 90 et 115 %. De plus, ce taux de croissance est peu inférieur à celui que connaissent les pays dont le ratio de dette publique est dans la fourchette 60-90 %. Ces résultats devraient donc nous amener à reconsidérer les objectifs de déficit zéro en tenant compte des objectifs, tout aussi sinon plus importants, de reconversion de l’économie pour un développement durable. Mais cela ne doit aucunement vouloir dire l’impossibilité de se donner des objectifs de rigueur dans les dépenses publiques.

Comme nous l’explique dans deux articles Sandra Moatti, journaliste au magazine français Alternatives Economiques, les efforts d’assainissement budgétaire doivent considérer certains facteurs que la pensée économique dominante (et surtout pas les firmes de notation) refuse de tenir compte. Dans un premier article, Sandra Moatti s’appuie sur une étude du FMI qui examine les cas de plusieurs pays avancés qui ont expérimenté des niveaux d’endettement élevés (plus de 100% du PIB) au cours du dernier siècle pour affirmer que les efforts d’assainissement sont vains, voire contre-productifs, si certaines conditions ne sont pas présentes. Premier constat de l’étude : le niveau d’endettement actuel des pays avancés n’est pas inédit. Entre 1875 et 1997, plus de la moitié des 22 pays industrialisés étudiés l’ont dépassé au moins une fois.

Parmi les exemples cités dans l’étude, l’un est assez éloquent parce qu’il est pratiquement en voie de se répéter aujourd’hui (cent ans plus tard) : celui du Royaume-Uni qui, au sortir de la Première Guerre mondiale, avait un niveau d’endettement public supérieur à 100 %. Quinze ans plus tard, il atteignait presque 200 %. Malgré un budget en excédent primaire pendant toutes les années 1920, c’est l’obsession maladive de la rigueur de la part d’un gouvernement qui voulait à tout prix rétablir l’étalon-or à la parité d’avant-guerre, sous la pression de la City, qui a annihilé toute tentative de se sortir de cette situation d’endettement. Une monnaie surévaluée, des taux d’intérêt élevés et des prix en baisse se sont ajoutés à la politique budgétaire restrictive pour plonger l’économie britannique dans la récession et la déflation, ce qui a accru le poids de la dette. La situation actuelle est différente, mais l’obsession maladive des Conservateurs britanniques pour l’austérité les mène aux mêmes résultats !

L’exemple du Canada (de la fin des années 1980) est aussi mentionné. Puisqu’il s’inscrit dans un contexte d’inflation modérée, plus conforme à la réalité actuelle, cet exemple est encore plus pertinent. Mais il délivre la même leçon que celle du Royaume-Uni. Les efforts de rigueur du Canada a échoué à faire baisser la dette publique du fait d’autres politiques menées à la même époque, en l’occurrence les politiques monétaristes restrictives du gouverneur de la Banque du Canada (des taux d’intérêt et un taux de change élevés) pour soi-disant assurer la compétitivité de l’économie canadienne à la veille di libre-échange avec les États-Unis. A contrario, affirme l’étude du FMI, la résorption rapide de la dette publique étatsunienne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale doit beaucoup à une politique monétaire extrêmement accommodante, faisant usage d’instruments non conventionnels, comme des achats directs de titres publics par la banque centrale pour limiter le niveau des taux. Les poussées d’inflation enregistrées dans l’immédiat après-guerre expliqueraient d’ailleurs le plus gros du désendettement américain.

Est-ce à dire, nous dit Sandra Moatti, que tout effort d’assainissement budgétaire est inutile ? L’étude du FMI répond non, mais ces efforts sont vains tant que les conditions monétaires au sens large (taux d’intérêts bas et taux de change favorable) ne le soutiennent pas. Une fois ces conditions réunies, le désendettement prend du temps, « c’est un marathon, pas un sprint ». Mais dans son deuxième article, la journaliste réfère à une autre étude du FMI, dans laquelle l’institution reconnaît avoir sous-estimé les effets négatifs imputables aux politiques d’austérité en minimisant le multiplicateur budgétaire. Le problème découle du fait qu’en période de croissance les mécanismes qui entrainent le multiplicateur budgétaire sont affaiblis (plus la croissance privée est forte, moins l’accroissement des dépenses publiques pèse sur l’activité globale). Donc, pendant la dernière grande phase de croissance (avant la Grande Récession), nos économistes ultralibéraux ont remis en cause l’efficacité du multiplicateur, ‘oubliant’ que, dans un creux de cycle comme celui que nous connaissons depuis 2008, le multiplicateur joue un rôle beaucoup plus important.

Alors qu’auparavant le FMI fixait le multiplicateur budgétaire à 0,5, des études suggèrent qu’il serait plutôt de l’ordre de 0,9 à 1,7, selon les situations concrètes de chaque pays. Sandra Moatti cite dans cet article une étude de l’OFCE qui simule quelques scénarios pour la France en fixant divers niveaux du multiplicateur budgétaire (avec les données de base du budget français) : avec un multiplicateur à 0,5, la France atteint un taux de croissance de 3% en 2013, un déficit de 3% et un taux de chômage légèrement à la hausse (10,5%); à 1,5, la France est frappée par une diminution de l’activité économique (-1% du PIB), un taux de 11,6 % de chômeurs et un déficit public à 4 % du PIB. Conclusion du FMI : dans le contexte actuel, où l’environnement économique global se dégrade, il faut privilégier les réformes et les institutions qui permettent de consolider l’assainissement des finances publiques dans la durée, plutôt que faire appel à des chocs trop brutaux et sujets à des revirements.

Dans le billet de la semaine prochaine, la dette publique au Québec : qu’ossa donne ?

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