L’auteur invité est Philippe Frémeaux, journaliste au magazine français Alternatives Economiques.
Chacun en convient : la France a un problème de compétitivité. Il faut donc débattre de ses causes et discuter des moyens d’y remédier. Ce numéro d’Alternatives Economiques (avec son dossier ‘Compétitivité : le travail coûte-t-il trop cher ?’) y consacre de larges développements. Il est pertinent cependant de s’interroger aussi sur la signification profonde de ce mot qui réduit la vie économique à une compétition. Car on est – ou non – compétitif qu’en se mesurant aux autres. L’Allemagne est devenue plus compétitive que la France. Il conviendrait donc de l’imiter et de mettre en oeuvre les recettes qui ont fait son succès.
Pour devenir plus compétitif que l’Allemagne ? Et après ? On voit à quoi cela mène. Se donner la compétitivité pour seul objectif, c’est oublier qu’une économie soutenable dans la durée suppose du collectif, de la coopération, au sein des entreprises comme entre pays. C’est oublier que le vrai progrès économique a pour source non pas la quête de la compétitivité contre les autres, mais celle de la productivité pour tous : l’enjeu est de parvenir à utiliser toujours moins de ressources, qu’il s’agisse du travail ou des prélèvements faits sur la nature, pour obtenir autant de richesses. Je ne suis pas naïf, et ne mésestime pas les bienfaits de la concurrence sur l’efficacité des entreprises comme des Etats. En revanche, quand l’économie tend vers une guerre de tous contre tous, c’est toute l’humanité qui régresse et son avenir qui s’assombrit.
Entreprises
Lundi 15 octobre dernier, à la veille de la présentation du budget devant le Parlement, Laurence Parisot, la patronne du Medef, lançait un cri d’alarme à la une du Figaro : « L’économie française est dans une situation gravissime. » Discours semblable le même jour dans Les Echos, sur une page entière, de la part de l’inénarrable Alain Minc.
On serait plus sensible à leurs arguments si les craintes aujourd’hui exprimées par les élites économiques pour la santé des entreprises n’allaient pas de pair avec la défense de leurs intérêts privés. Non sans efficacité d’ailleurs : on l’a vu à la manière dont quelques pigeons, poussant des cris d’orfraie plutôt que des roucoulements, sont parvenus le mois dernier à faire reculer le gouvernement sur la taxation des plus-values de cession.
De fait, l’effort demandé à tous frappe aujourd’hui surtout les plus riches. Faut-il les plaindre ? Les hausses d’impôts qu’ils subissent, pour être sévères, ne vont rien changer à leur vie quotidienne. Alors que les taxes qui s’appliquent à tous contraignent les moins aisés à renoncer tous les jours à des consommations de base.
C’est vrai, l’économie française ne va pas bien, mais la faute à qui ? Les multiples réductions d’impôts dont ont bénéficié les plus riches depuis dix ans n’ont pas réellement été mises à profit pour investir davantage dans le système productif. Elles devaient relancer l’initiative et, avec elle, la croissance et l’emploi ; elles ont surtout creusé la dette. Un peu de décence serait donc bienvenue.
Enfants gâtés
Les Français seraient les derniers enfants gâtés de l’Europe, nous explique Sophie Pedder, journaliste à l’hebdomadaire britannique The Economist, dans un livre récent. De fait, n’en déplaisent à ceux qui considèrent la France comme un enfer néolibéral, ce pays, vu de l’étranger, demeure celui où les salariés disposent de cinq semaines de congés payés, où chacun bénéficie d’une assurance maladie, où les études supérieures sont en grande partie gratuites et où les retraités disposent de revenus décents.
Ce modèle serait cependant menacé parce que payé à crédit, nous explique Sophie Pedder. Sans renoncer à notre spécificité, il serait temps d’agir pour la préserver, en arrêtant de vivre au-dessus de nos moyens, ce qui permettrait, au passage, de relancer l’activité. Qu’on me permette de contester le diagnostic et le remède proposé. Tous les Français ne sont pas des enfants gâtés : ce n’est pas le cas des victimes d’un système éducatif qui peine à réduire l’échec scolaire, des pauvres qui renoncent à se soigner faute de couverture complémentaire, ni de ceux qui sont touchés par le chômage de masse, jeunes et moins jeunes… L’enjeu est moins de réduire la voilure de notre modèle pour le « préserver » que de le réinventer afin de le rendre plus efficace. Cela passe par des réformes de structure, dans l’éducation, la santé, le marché du travail. Sans renoncer pour autant à un haut niveau de solidarité.
Pour lire le texte original, on va sur le site d’Alternatives Economiques.
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