L’auteur invité est Arnaud Parienty, professeur agrégé de sciences économiques et sociales au lycée de Courbevoie. Auteur d’ouvrages sur la fiscalité, la productivité et la protection sociale, et collaborateur à Alternatives Economiques
Le rapport Gallois a eu le mérite d’engager le débat sur la compétitivité de la production en France. Mais ce débat dégénère rapidement, entre une gauche qui ne veut pas en entendre parler (parce que la compétitivité, c’est la concurrence et le marché) et une droite qui veut en faire l’outil d’un nouveau procès des 35 heures et de l’Etat providence. Il est pourtant possible d’aborder le problème autrement.
La question de l’Etat
La France a toujours eu un problème de positionnement international. Son « fordisme incomplet » la laisse démunie lorsqu’il faut monter en gamme pour compenser le départ dans les pays émergents des activités répétitives peu qualifiées. Le point fort traditionnel de la France est le montage de projets colbertistes, très coûteux et sophistiqués, pour lesquels l’alliance du public et de quelques champions nationaux privés donne de bons résultats. Mais le nucléaire ou Airbus ne peuvent pas être facilement reproduits, car cette logique de grands programmes va mal avec la réactivité et la multiplication des alliances internationales qui dominent de nos jours.
Or, même si le gouvernement n’ignore pas la nécessité d’aider les entreprises à gagner des parts de marché, il est encore trop souvent tenté par l’intervention directe qu’incarnent ces grands programmes. On en veut pour preuve les propos tenus ces derniers mois concernant la téléphonie. Après le ministre du redressement productif, un rapport parlementaire estime qu’il n’aurait peut-être pas fallu accorder de licence à un quatrième opérateur de téléphonie mobile, car l’impact sur l’emploi de cette décision semble négatif. Evidemment, la question oppose le propriétaire de TF1 et celui de Canal+ à celui du Monde. Les enjeux politiques sont donc peut-être déterminants dans cette appréciation. Elle n’en reste pas moins désolante, notamment parce qu’elle oppose le consommateur et l’emploi.
Pour commencer, chacun admet que la production du secteur (nombre d’abonnés, temps de communication, importance des flux de données) a augmenté de manière importante, beaucoup plus importante que la valeur ajoutée du secteur. En économie, ce phénomène porte un nom : ce sont des gains de productivité. Rappelons que les gains de productivité sont la source de l’augmentation du niveau de vie et de la baisse de la durée du travail. Qu’un ministre en charge des questions de productivité regrette leur hausse est inquiétant.
Ensuite, il est dommage de ne pas raisonner dans un cadre plus large que celui du secteur. Si les prix des communications baissent grâce à l’arrivée d’un quatrième opérateur, les consommateurs gagnent donc un pouvoir d’achat qu’ils vont pouvoir utiliser pour d’autres achats. Ceux-ci créeront des emplois. En toute rigueur, il faut les prendre en compte dans l’analyse, faute de quoi celle-ci est fausse.
On attendrait plutôt de l’Etat qu’il s’interroge sur l’attitude de SFR ou Bouygues Telecom, qui réagissent à la disparition de leurs rentes d’oligopole en réduisant l’emploi et en délocalisant les centres d’appel. Il pourrait également s’interroger sur le manque de concurrence qui retarde le déploiement de la fibre optique en France. Bien souvent, les opérateurs signent des accords avec les copropriétés à seule fin de geler la situation et l’on sait que Orange n’a pas forcément envie de remplacer trop vite un réseau ADSL fort lucratif. Ca ressemble au retard pris aux débuts de l’Internet parce que France Télécoms s’accrochait au lucratif Minitel.
Autrement dit, il y a du vrai dans le message libéral : l’Etat peut contribuer utilement à l’efficacité des entreprises en favorisant les marchés. L’erreur est de concentrer l’attention sur les marchés du travail, marché très particulier pour lesquels la liberté n’a jamais fait ses preuves (rappelons que les marchés du travail sont notés comme plus réglementés que ceux de la France par l’OCDE). Ce sont les marchés des biens qu’il faut libéraliser, en empêchant les ententes entre grands groupes qui caractérisent tant de secteurs en France. Les relations personnelles entre dirigeants politiques et dirigeants d’entreprises, le poids des grands groupes dans les médias, le chantage à l’emploi exercé par les entreprises, expliquent sans doute en partie ce tropisme.
Mais il ne faut pas sous-estimer l’hostilité récurrente, encore soulignée dans le dossier de The Economist qui a fait tant de bruit ce week end, de la société française à l’égard du marché et de la concurrence. Ce qui nous amène à évoquer des facteurs de compétitivité qui doivent assez peu à l’Etat.
La question de la qualité
Il est d’ailleurs significatif que la question de la compétitivité des entreprises renvoie immédiatement en France aux politiques publiques et non à la gouvernance ou à la stratégie des entreprises. C’est pourtant là que se joue l’essentiel. La compétitivité est souvent découpée en prix et hors prix, la compétitivité prix étant la capacité à vendre moins cher que les autres et la compétitivité hors prix étant la capacité à vendre plus cher que les autres. Le plus souvent, l’Etat est censé jouer sur les prix par la fiscalité et sur le hors prix par la recherche et l’éducation. Nous voudrions soutenir que la question est plus compliquée que cette présentation donne à penser, en signalant d’autres éléments.
Compte tenu du niveau élevé du coût du travail en France, nos entreprises ne pourraient pas se battre sur les prix. Cet argument est assez mauvais, car il ne faut pas confondre salaires et prix. Si la compétitivité prix de la production en France a reculé, c’est en grande partie du fait du niveau trop élevé de l’euro face aux autres monnaies et parce que les gains de productivité ont fortement ralenti depuis dix ans. Or, ces deux facteurs sont réversibles. En ce qui concerne la productivité, sont en cause l’organisation de la production, mais aussi le niveau de formation de la main-d’œuvre.
La compétitivité hors prix est souvent assimilée à la haute technologie. De fait, les dépenses de recherche sont très insuffisantes en France, malgré un crédit d’impôt important pour les entreprises. Il est possible que ce faible niveau moyen vienne du peu d’entreprises effectivement engagées dans une compétition reposant sur l’innovation.
Mais il ne faudrait pas s’arrêter là. Le manque de qualité des restaurants français, par exemple, ne relève pas de la haute technologie, mais du recours au surgelé (à quand une obligation d’information du client, comme en Italie ?), du manque de formation des restaurateurs, de la mauvaise qualité du service (au moins à Paris). Les exemples de services de mauvaise qualité peuvent être multipliés (renseignement dans les grands magasins, information dans les transports en commun,…). Il faut bien dire que la culture du service et le souci du client ne sont pas très développés en France, réflexion qui relèverait du Café du Commerce si elle ne pouvait s’appuyer sur les travaux de Philippe d’Irribarne. Fouillant, depuis La logique de l’honneur, l’impact des cultures nationales sur la manière de produire, il nous donne des arguments convaincants sur la nécessité (et sur la difficulté) d’un changement culturel.
Un problème plus général est la mauvaise qualité des dirigeants d’entreprises en France, rarement souligné. Il est étonnant (et symptomatique de notre culture colbertiste) que l’Etat ne retourne jamais vers les entreprises les accusations qui lui sont faites. Pourtant, les cadres ne sont pas les premiers à dénoncer des dirigeants parachutés dans des secteurs d’activité auxquels ils ne connaissent rien, choisis pour leur carnet d’adresses plus que pour leurs compétences, obsédés par la performance financière sans volonté de construire un outil de production, passant d’une entreprise à l’autre à toute vitesse.
La tradition consistant à recruter les dirigeants à l’extérieur de l’entreprise, mais à l’intérieur d’une caste constituée par les diplômés des grandes écoles, est à l’origine de ces problèmes de gouvernance, ainsi que des relations incestueuses que les grandes firmes entretiennent avec l’Etat.
Arrêtons-là l’énumération. Elle suffit à montrer que le débat sur la compétitivité est salutaire, mais qu’il est actuellement biaisé, car détourné au service des grandes entreprises. Plutôt que l’éviter, la gauche devrait le mener au fond.
Pour lire le texte original, on va sur le blogue de l’auteur.
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