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Le samedi 23 avril 2022

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Spécial compétitivité – Pour un choc de compétitivité soutenable

Les auteurs invités sont Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux, économistes à l’OFCE.

Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux, économistes à l’OFCE et auteurs de « Économie de l’environnement et économie écologique » (Armand Colin, octobre 2012) prônent un choc de compétitivité dont le financement, plutôt que sur la TVA ou la CSG, s’appuierait sur une troisième voie, celle des taxes environnementales, notamment celles qui frappent les énergies fossiles. Ce faisant, ils plaident pour l’introduction d’une taxation du carbone qui tirerait tous les enseignements de l’expérience avortée de 2009, s’inscrirait dans une réforme fiscale globale et s’accompagnerait d’un prélèvement carbone aux frontières de l’Europe.

Que faire pour inverser la tendance dépressive qui semble entraîner inéluctablement l’économie française vers le fond ? La situation conjoncturelle est certes moins dégradée que chez nos voisins du sud de l’Europe, mais tous les indicateurs sont mal orientés : un chômage en progression rapide, parce que de nombreuses entreprises ferment ou licencient, mais surtout parce que trop peu créent d’emploi ; des pertes inquiétantes de parts de marché et une balance commerciale dont le déficit se creuse depuis des années ; des entreprises subissant encore le poids d’un endettement excessif et dont les marges sont tombées à un niveau historiquement bas ; des finances publiques dont les engagements européens imposent le redressement à un rythme manifestement déraisonnable, mais voulu par le gouvernement sous l’effet d’un contre-sens sur la notion de crédibilité économique.

Les mesures contenues dans les trois Lois de finances dévoilées depuis l’inauguration du nouveau quinquennat – la Loi de finances rectificative adoptée par le Parlement au mois d’août, le projet de Loi de finances et le projet de Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 – réduisent sensiblement les dépenses publiques et alourdissent davantage encore les prélèvements ; elles ne peuvent qu’avoir un effet dépressif sur la demande intérieure, même si leur ciblage sur certaines catégories de revenus et sur les ménages les plus aisés en limite l’impact inégalitaire.

Consommation intérieure et offre nationale

Dans une situation de faiblesse conjoncturelle, il serait tentant de soutenir le pouvoir d’achat des ménages, qui a subi une érosion marquée au cours des deux dernières années, du fait notamment des hausses répétées de prélèvements. Mais l’état dégradé de l’appareil productif français ne lui permettrait pas de répondre à une demande intérieure plus soutenue, qui se porterait donc sur les importations, détériorant plus encore les soldes extérieurs : la consommation intérieure ne peut être le moteur d’une véritable reprise que si l’offre nationale est en capacité d’y répondre.

Après avoir alourdi les prélèvements sur les entreprises et sur les revenus du capital, le gouvernement semble vouloir agir sur la compétitivité des entreprises : on évoque la nécessité d’un « choc de compétitivité », 30 à 50 milliards d’euros qu’il conviendrait de transférer aux entreprises, pour favoriser un redressement productif et consolider une offre compétitive. Mais selon quelles modalités et avec quel financement ? C’est la seule question qui vaille.

Alléger le coût du travail par la TVA ou la CSG

La piste de la réforme du financement de la Sécurité sociale, qui impliquerait le basculement d’une partie des cotisations sociales patronales – celles qui financent la branche famille, à vocation universelle, et n’ont donc pas à être assises sur les seuls revenus du travail – vers une autre assiette, est la solution le plus souvent évoqué. Elle permettrait d’alléger le coût du travail, incitant les entreprises à l’embauche et leur redonnant des marges financières. Mais les cotisations que l’on supprimerait n’existent déjà plus depuis longtemps sur les bas salaires et l’allègement ne toucherait donc que les salaires moyens et élevés, amoindrissant l’effet positif de la mesure sur l’emploi et sur les trésoreries de la majorité des PME. Et les instruments mobilisables pour compenser le manque à gagner pour les finances publiques ne sont pas légions.

Alléger le coût du travail ou pas ? TVA ou CSG ? C’est dans les termes de cette double alternative qu’a été mené jusqu’ici le débat. Or d’autres solutions sont possibles, et elles sont susceptibles d’engendrer une sortie de crise plus durable en favorisant une compétitivité soutenable de l’économie française.

Recourir aux mécanismes incitatifs de l’impôt sur les sociétés

Pour stimuler l’offre productive compétitive, les allégements du coût du travail ne sont pas la panacée ; ils peuvent être utiles, mais il ne faut pas en attendre de miracle. Il convient surtout d’encourager la modernisation et la montée en gamme de l’offre, en favorisant l’adoption de technologies propres et sobres en énergie, puisque l’on sait que les coûts de celle-ci ne pourront qu’augmenter, et qu’il nous faut réduire nos émissions polluantes, notamment de gaz à effet de serre, et ce d’autant plus que la conférence environnementale a fixé en la matière de nouvelles ambitions ; cette orientation aura, incidemment, pour avantage de diminuer notre (forte) dépendance énergétique, donc notre déficit commercial. Cette stimulation orientée de l’offre productive serait mieux servie par une politique combinant l’allègement du coût du travail avec un usage intelligent des mécanismes incitatifs de l’impôt sur les sociétés – crédits d’impôts et amortissement accéléré ciblés.

Quant au financement, on sait les objections faites au recours à la TVA ou à la CSG : l’une et l’autre pèsent sur le pouvoir d’achat des ménages, déprimant une consommation intérieure déjà atone. Il est tout aussi illusoire de vouloir stimuler la demande sans capacités d’offre que de vouloir redynamiser l’offre tout en déprimant la demande ; quant à la question de l’équité, ni la TVA, ni la CSG ne sont vraiment exemptes de défauts – la TVA parce qu’elle risque de peser sur les salariés des classes moyennes, la CSG parce qu’elle amputerait les revenus de tous les salariés, y compris les moins bien rémunérés.

Les bons signaux de prix et de coûts grâce aux taxes environnementales

La « troisième voie » des taxes environnementales, et plus spécifiquement celles qui frappent les énergies fossiles accroissant ainsi le prix du carbone, est bien plus prometteuse. Ces taxes ont l’avantage d’envoyer les bons signaux de prix et de coûts : renchérir les biens et les technologies intensives en énergies fossiles, tout en allégeant le coût du travail. Elles permettraient également de réduire notre facture énergétique extérieure – et incidemment de taxer la rente des producteurs d’énergies fossiles, pesant donc moins sur la demande adressée aux entreprises françaises que les autres modalités de prélèvement. Et elles orienteraient les entreprises et les consommateurs français vers un sentier de développement plus soutenable, donnant de la profondeur au « choc de compétitivité » aujourd’hui attendu.

Sans doute le souvenir de l’expérience avortée d’introduction d’une taxe carbone en France en 2009 incite-t-il les autorités à la prudence sur ce dossier. Mais il est possible de ne pas répéter les erreurs du passé, d’améliorer le dispositif et de le rendre plus acceptable pour les citoyens. L’introduction d’une taxation significative du carbone doit s’inscrire dans le cadre d’une vraie réforme fiscale d’ensemble, avec une refonte des prélèvements directs et des allocations sous condition de ressources pour en compenser les effets négatifs sur les revenus bas et moyens. Elle doit être soutenue par une politique active d’encouragement à la sobriété énergétique – notamment pour les logements et les transports –, en mobilisant des crédits d’impôts et des prêts à taux zéro pour résoudre les problèmes de liquidité que posent aux ménages ces aménagements. Et elle doit aussi être accompagnée par un positionnement clair et ambitieux en faveur d’une réforme du marché européen du carbone et de la création d’un prélèvement carbone aux frontières de l’Union européenne. La Suède a, au début des années 1990, montré la voie de la compétitivité soutenable pour sortir durablement de la crise : pourquoi la France se l’interdirait-elle aujourd’hui ?

Pour lire le texte original, on va sur le site du magazine La Tribune.

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