L’auteure invitée est Maude Messier, journaliste à L’aut’journal.
Le projet de loi C-377 des Conservateurs est « inutile » et vise uniquement à paralyser l’action syndicale. C’est ce qu’ont déclaré les syndicats regroupés au sein de l’Alliance sociale, en conférence de presse lundi.
À leur avis, la Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières) constitue une ingérence dans les juridictions de compétences provinciales, notamment parce qu’elle s’immisce dans les relations de travail.
Les syndicats demandent au gouvernement péquiste de les supporter dans leurs démarches pour bloquer ce projet de loi aux visées antisyndicales.
Or, les options sont minces. Selon nos informations, C-377 sera appelé au vote mercredi et, majorité conservatrice oblige, il devrait être adopté sans problème.
Rappelons que l’initiateur de ce projet de loi privé, le député de la Colombie-Britannique Russ Hiebert, souhaite rendre plus transparentes les activités des organisations ouvrières en les forçant à rendre des états financiers complexes et détaillés ainsi qu’à fournir des renseignements pointus pour toutes dépenses excédant 5 000$.
Un projet de loi idéologique déguisé
La sortie médiatique de l’Alliance sociale a fait couler beaucoup d’encre mardi matin. Dans une entrevue accordée à l’aut’journal, le président du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), Richard Perron, est formel : « On ne peut pas être contre la transparence, personne ne peut être contre la vertu. »
Il fait valoir que les organisations syndicales sont déjà soumises à l’obligation de présenter leurs états financiers et de les faire vérifier par des firmes comptables externes. « On est scruté à la loupe par nos membres. De toute façon, nos sommes soumis à des règles financières et ces données sont disponibles pour nos membres. » Le SPGQ compte parmi ses membres des vérificateurs de Revenu Québec, des actuaires et des comptables.
Pour Richard Perron, C-377n’est rien d’autre qu’une « autre tactique parlementaire sournoise et insidieuse du gouvernement conservateur. Ce projet de loi ne vise pas la transparence, mais s’en prend plutôt aux organisations syndicales. »
Il affirme que ces informations serviront à alimenter les «think thank» de droite, favorables aux idéaux conservateurs, comme l’Institut économique de Montréal (IEDM) et l’Institut Fraser. C-377 constitue une menace à l’équilibre du débat entre la gauche et la droite au Canada selon le syndicaliste.
Il prend pour exemple son récent voyage en Afrique du Sud à l’occasion de l’Internationale des Services Publics. Un voyage important qui lui a permis de faire de nombreuses rencontres et de recueillir beaucoup d’informations pour lutter contre la corruption.
« Ce voyage était largement justifié auprès de notre exécutif et je peux vous dire que c’était loin d’être des vacances. Et bien, je peux vous garantir que cette dépense se retrouverait dans les journaux et que des chroniqueurs et des organisations comme l’IEDM s’en serviraient pour discréditer le syndicat. » Comme en ont fait foi nombre de unes du Journal de Montréal.
Le même traitement sera réservé aux sommes allouées à des actions politiques, pourtant entreprises à la suite de résolutions émanant des membres, aux sommes dédiées à la solidarité intersyndicales.
Richard Perron précise que la situation est un peu différente pour les organisations syndicales ailleurs au Canada, alors que des organisateurs syndicaux sont proches du NPD, portant parfois même le chapeau d’organisateurs politiques. Des airs de représailles? « Certainement. L’objectif des conservateurs est de limiter l’action syndicale. »
De passage aux États-Unis où il a récemment rencontré des fonctionnaires fédéraux et des dirigeants syndicaux, Richard Perron indique qu’une loi fédérale semblable à C-377 a été adoptée sous la gouverne du président Bush.
« Le projet de loi des conservateurs est un copié collé de cette loi qui émane de la droite américaine. Les syndicats américains ne pensaient que ça irait aussi loin et que ça leur ferait aussi mal. Mais au moins là-bas, ils avaient l’honnêteté de dire ouvertement que c’était mauvais pour leurs ennemis, les syndicats, et bons pour les entreprises. »
Il dénonce le fait que les conservateurs cachent leurs intentions, s’attaquer de front au mouvement syndical, derrière « un écran de fumée sous le prétexte de la démocratie syndicale et de la transparence ».
Le syndicaliste s’indigne aussi du fait que les conservateurs sous estiment le fardeau financiers que représentera cette loi pour les contribuables. Une inquiétude partagée par le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, qui a récemment émis de sérieux doutes quant aux précisions du gouvernement.
« C’est évident que ça aura des coûts importants. Ils ont estimé qu’il y avait 1 000 organisations syndicales. La réalité est plutôt autour de 18 300, dont plus de 3 000 pour le Québec seulement. »
La voie juridique comme seule issue
Le SPGQ a demandé un avis juridique à Me Alain Barré, professeur de droit du travail au Département des relations industrielles de l’Université Laval.
« L’avis juridique est clair, net et limpide. C’est une question d’examen facile pour un étudiant de 1ère année en droit. »
C-377 pourrait être déclarée « inopérante » par les tribunaux canadiens en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982 : « son contenu est incompatible avec le partage de la compétence législative établi par la Constitution du Canada », peut-on lire dans l’avis.
Le SPGQ a déjà interpellé le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et à la Gouvernance souverainiste, Alexandre Cloutier, le ministre de la Justice Bertrand St-Arnaud, et la ministre du Travail, Agnès Maltais.
Richard Perron presse le gouvernement du Québec pour qu’il se positionne et prenne les moyens nécessaires pour contrer C-377.
« Ça devrait être du bonbon pour un parti qui clame vouloir défendre les intérêts du Québec. Ce n’est pas parce que ce sont les syndicats qui sont visés qu’ils doivent rester dans leur cour. Il s’agit d’un empiètement clair sur les pouvoirs du Québec. » Richard Perron soutient qu’il n’a pas encore reçu d’avis concernant les intentions du gouvernement péquiste sur cette question.
Le SPGQ est loin d’être seul dans cette bataille, à laquelle se joint l’ensemble du mouvement syndical canadien, notamment via le Congrès du travail du Canada. Même l’Association du Barreau Canadien (ABC) s’est prononcée sur l’inconstitutionnalité de C-377 en plus d’émettre de sérieuses inquiétudes quant à la protection de la vie privée.
« Ce qu’on attend du gouvernement du Québec, c’est qu’il se tienne debout et qu’il agisse. S’il ne prend pas ses responsabilités, on va le faire, mais on va leur rappeler qu’ils se sont couchés devant les conservateurs. Ça va bien au-delà d’une simple affaire syndicale. »
Richard Perron confirme avoir reçu l’appui des centrales syndicales québécoises dans l’éventualité où les syndicats devraient mener seuls cette bataille juridique.
« Pour un gouvernement qui a jeté aux poubelles le registres des armes à feu parce qu’il coûtait trop cher, qui coupe à outrance dans la fonction publique pour la réduire au minimum et qui dit qu’il faut diminuer les contrôle sur les entreprises, il met paradoxalement en place un registre pour surveiller les états financiers des syndicats, un registre qui va coûter une fortune. »
Outre l’inconstitutionnalité, ce qui choque les syndicats, c’est le fait qu’elles soient les seules organisations ciblées par C-377, une situation qui frise la discrimination et la liberté d’association en vertu de la Charte des droits et liberté.
Les syndicats dénoncent le fait que les mêmes contraintes ne soient pas imposées aux autres associations professionnelles (médecins, avocats), aux organisations représentant les intérêts des employeurs et du patronat, aux chambres de commerce, aux organisations caritatives et aux organisations privées, comme l’IEDM et l’Institut Fraser. Ce qui témoigne de l’aspect purement idéologique du projet de loi.
« C’est une logique de la droite américaine importée et empirée un peu. Il y a plusieurs coins qui ne passent pas, donc celui de l’inconstitutionnalité. »
Pour lire le texte original, on va sur le site de l’Aut’journal
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