L’auteur invité est Philippe Herzog, ancien député européen (groupe de la Gauche unitaire européenne) et ancien professeur des Universités, est président fondateur de Confrontations Europe. Il a été également membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre français (CAE).
L’association Confrontations Europe a récemment publié un manifeste en faveur de la réindustrialisation du continent et son fondateur Philippe Herzog détaille dans un document les 25 propositions qui vont être soumises au prochain conseil des chefs d’Etats et de gouvernements de l’Union. On présente ici l’introduction.
En ce printemps 2012, l’Europe s’engage dans une récession, le chômage augmente, les peuples réagissent, les politiques s’inquiètent. « Il faut de la croissance », disent-ils. Mais comment vont-ils, comment allons-nous la construire ?
La crise en Europe est une crise majeure d’endettement privé et public indissociable du type de croissance qu’elle a financé, axé sur le consumérisme et l’accumulation patrimoniale. L’héritage des dettes et l’impréparation criante pèsent aujourd’hui comme du plomb sur les efforts pour construire une nouvelle croissance. On ne parle que des problèmes – importants – de dosage des politiques de rigueur et d’austérité, mais la conception et la fédération des efforts pour bâtir une croissance dont le coeur sera une nouvelle industrie est encore bien trop faible.
Pour soutenir la demande, certains pourraient tenter de relancer l’économie par la consommation : le plongeon qui suivrait serait encore plus grave. Il faut une relance qui puisse être durable, parce qu’elle commencera à consolider les fondements de la croissance à moyen-long terme : son moteur doit être l’investissement. Encore faut-il qu’il soit efficace, car on peut gâcher beaucoup de ressources dans la recherche, l’éducation, ou les infrastructures si la production et l’emploi ne suivent pas. Et une dimension cruciale de l’efficacité est la compétitivité.
En effet, qu’est-ce qui menace l’Union d’exploser ? Derrière les dettes, l’ampleur des déséquilibres des balances commerciales et des divergences de compétitivité dans la zone Euro. Toute relance de l’investissement doit viser à accroître la compétitivité de la plupart des pays européens, c’est-à-dire notamment leur capacité d’exporter. Et c’est l’industrie qui est la source majeure de la compétitivité et de la productivité. Loin de réduire le rôle majeur de l’industrie dans la croissance de l’économie, les grandes mutations actuelles du savoir et de la technologie créent de nouvelles opportunités d’innovation et de développement industriels. Et loin d’opposer l’essor des services souhaité pour répondre aux nouveaux besoins de la société, il faut comprendre qu’il n’est possible que sur un socle industriel renouvelé avec lequel il doit former un couple. Si l’Allemagne a pris soin de défendre et promouvoir son industrie, et démontre sa capacité stratégique et son efficacité, beaucoup d’autres pays européens sont victimes de désindustrialisation.
Et si l’industrie de l’Union européenne considérée comme un tout a su résister à la compétition mondiale dans les années 2000, l’incertitude est grande pour l’avenir. Les restructurations massives qui se profilent sont lourdes de grands dangers. Sous les feux de la récession et de la concurrence, nombre de potentiels d’industries nationales peuvent se désagréger. Compte tenu de leur interdépendance profonde sur le marché intérieur, les pays européens doivent – dans l’urgence – prévenir ces risques et bâtir des coopérations industrielles visant deux objectifs : consolider les systèmes productifs nationaux et reterritorialiser des activités, consolider la compétitivité globale de l’Europe. Ce défi de coopération industrielle est crucial pour la viabilité de la zone Euro et pour les nouveaux pays membres.
Des stratégies industrielles coopératives doivent se montrer capables de faire face à l’impératif de compétitivité tout en apportant des réponses positives aux souffrances et aux attentes des sociétés. Elles doivent s’inscrire dans une perspective de développement durable qui exige d’accorder l’impératif écologique, la cohésion sociale et la compétitivité. L’« économie verte » souhaitée pour répondre à l’impératif écologique est une dimension de cette perspective mais pas la seule, d’autant que si elle est mal conduite, elle peut s’accompagner de destructions d’emplois, non compensées par des créations nettes.
La cohérence et l’efficacité de politiques de croissance axées sur un développement industriel reposent sur la solution de trois défis : un système d’innovation à même de dynamiser toutes les activités ; la valorisation sociétale, économique et financière des projets ; et la création d’un système de relations industrielles coopératif. Des défis nationaux et des défis européens. Pour y répondre, des mutations majeures des modèles et critères de gestion et d’administration sont nécessaires. Les marchés et les initiatives privées n’offriront pas tous seuls les solutions pour l’industrie. Les cris d’orfraie contre le « colbertisme » et le « Gosplan » font écran et violence contre la compréhension du devoir d’établir des cadres d’action publique communs favorisant les modèles coopératifs. Les coûts improductifs de l’action publique devront à cet effet être réduits et les structures publiques modernisées, avec une nouvelle capacité d’expertise, et une aptitude à coopérer comme jamais en Europe.
Loin de déposséder le secteur privé de sa faculté d’initiative, cela au contraire en suscitera le déploiement. D’un côté le gouvernement des entreprises doit pouvoir s’orienter vers des projets d’intérêt public, donc s’émanciper de la dictature de la valeur actionnariale ; d’un autre l’action publique doit être débureaucratisée. Les projets reposeront sur les initiatives et les coopérations démultipliées des acteurs de terrain, avec un rôle crucial de leurs groupements et réseaux (entreprises, syndicats, collectivités territoriales). De leur côté, les institutions publiques devront appeler cette participation, susciter ces coopérations et tenter de les fédérer en une stratégie d’intérêt général. C’est dire la nécessité d’une complémentarité nouvelle des secteurs privé et public.
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Dans cet essai, nous ne pourrons pas expliciter les stratégies et politiques nationales souhaitables, nous nous focaliserons sur l’enjeu d’une stratégie européenne. Nous ne traiterons pas des politiques budgétaires et fiscales nécessaires pour une nouvelle croissance, mais sur les réformes non moins nécessaires mais très peu explorées des fondations de l’économie. On parle de « réformes de structures », mais lesquelles ? Nous avons besoin de structures mixtes où les acteurs privés et publics coopèrent, et de nouveaux modèles de marché et de financement : il est urgent d’ouvrir le débat sur ces enjeux.
L’initiative politique pour endiguer la récession et amorcer une croissance durable doit se déployer dans l’urgence comme dans la durée à deux niveaux, dans deux espaces, et non pas un seul. Dans la zone Euro où c’est une condition de survie, et au-delà, il faut réunir les États volontaires pour bâtir ensemble, en solidarité, un pacte pour coopérer au redressement de l’industrie et à la compétitivité. C’est dans ce cadre que le dialogue avec l’Allemagne est absolument crucial ; actuellement au niveau communautaire, en matière de coordination des politiques nationales pour l’industrie, c’est le néant.
L’UE est le seul niveau sollicité actuellement pour une « relance » de l’économie, mais c’est se leurrer de penser qu’elle peut fédérer les États membres sur une stratégie industrielle, alors que le Royaume-Uni et d’autres veulent garder toute indépendance sur leur politique économique ! Par contre l’UE a le devoir d’appuyer les États membres qui souhaitent se solidariser pour la croissance. Deux enjeux politiques majeurs sont sur l’agenda. La deuxième étape de la rénovation du grand marché doit en faire le socle d’industries compétitives, et la réforme de la politique de concurrence est à cet effet une priorité. La réforme du Budget et les perspectives financières pour 2014 : ici la Commission est en pointe mais les États, y compris dans la zone €, se refusent à mutualiser des ressources pour la croissance, c’est un aveuglement qu’il faut combattre.
Ces initiatives politiques feront appel à de nouveaux modes de gouvernance : création d’un ministère de l’Économie et des Finances pour l’Eurozone, réforme de la Commission qui n’a plus actuellement de pensée et de capacité stratégiques, dialogue intensif entre élus nationaux et européens… Et surtout elles feront appel à l’initiative des acteurs économiques et sociaux, des sociétés civiles, en relançant leur dialogue, en fédérant les efforts, en offrant des appuis structurels. L’architecture d’une stratégie industrielle et nos propositions seront présentées ici dans un système réunissant plusieurs piliers : un système européen de promotion des capacités humaines et de relations industrielles ; la promotion de modèles d’entreprises européennes capables à la fois de répondre à des intérêts commerciaux et à des fonctions de bien public ; le développement d’industries de réseaux de biens publics européens, foyers de l’innovation ; un grand marché et des politiques technologiques, sectorielles et territoriales formant le camp de base de l’Europe dans la mondialisation ; une refondation de la politique commerciale et d’investissement extérieur pour une réciprocité d’intérêt mutuel ; une valorisation économique des investissements de long terme en rupture avec les dogmes de la valeur actionnariale.
Nous soumettons ici un ensemble de propositions qui dessinent une perspective. Nombre font déjà l’objet de débats et plusieurs des chantiers énoncés sont ouverts dans l’Union européenne, mais dans un très grand chaos. Une optique plus systémique peut fonder une nouvelle cohérence politique, et en faisant appel à l’intelligence et à l’espérance des sociétés, suscitera leur mobilisation.
Pour lire le texte original, on va sur le site de Confrontations Europe.
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