L’auteur invité est Jean-Robert Sansfaçon, éditorialiste au Devoir.
L’acquittement de trois anciens dirigeants de Nortel Networks accusés d’avoir fraudé l’entreprise en manipulant les résultats financiers pour en tirer un bénéfice personnel ne surprend pas. Preuve de plus qu’au Canada, l’élite d’affaires profite d’un préjugé favorable de la part des tribunaux autant que du législateur.
Après plusieurs mois d’un procès hautement technique, le juge Frank Marrocco de la Cour supérieure de l’Ontario vient d’acquitter trois anciens hauts dirigeants de Nortel accusés de fraude du temps où la société luttait pour sa survie. Malgré les « erreurs » volontaires qui avaient plusieurs fois forcé le report des états financiers sous deux administrations successives, entre 2001 et 2005, la GRC n’était parvenue à mettre au jour qu’un seul cas susceptible de conduire à une condamnation pour fraude.
L’astuce consistait à comptabiliser des capitaux détenus en réserve comme s’il s’agissait de nouveaux revenus pour simuler des résultats positifs. Ce faisant, trois dirigeants, dont le président Frank Dunn, ont reçu des bonis de performance totalisant 12,5 millions de dollars au seul premier trimestre de 2003.
Pendant le procès, la Couronne a tenté de prouver que cette pratique comptable irrégulière était frauduleuse, mais le juge a tranché en disant que l’on n’avait pas fait la preuve d’une telle intention criminelle.
En 2000, la valeur de l’équipementier Nortel atteignait 380 milliards à la Bourse de Toronto, soit presque 30 % de la capitalisation des sociétés qui composaient l’indice TSX à l’époque. L’entreprise employait 94 000 personnes à travers le monde.
C’est alors qu’éclata la bulle spéculative des titres technologiques, précipitant le titre de Nortel de son sommet de 124,50 $ à 20 $ en quelques mois.
Au cours des années précédentes, sous la présidence de John Roth, que le magazine Time avait proclamé Canadien de l’année 2000, Nortel avait procédé à des acquisitions beaucoup trop coûteuses, qu’il a fallu rayer des livres dès 2001 et 2002. Déjà, à cette époque, ils étaient nombreux les observateurs qui soupçonnaient ses dirigeants de manipulation des données financières pour gommer la réalité et empocher des millions.
Une fois Roth parti, ce fut au tour de son directeur des finances, Frank Dunn, d’accéder à la présidence où il utilisa la même approche « créative » dans l’interprétation des résultats, sous couvert de tentative de redressement. En 2004, Nortel n’était plus que l’ombre d’elle-même avec deux tiers des employés en moins et, cinq ans plus tard, elle déclarait faillite, privant des dizaines de milliers d’ex-employés et d’actionnaires de leurs épargnes. Il faudra patienter jusqu’en 2008 pour assister à l’arrestation du trio de Frank Dunn accusé de fraude.
Au Canada, les crimes financiers sont encore trop souvent considérés comme des erreurs de parcours commises de bonne foi par des gens au-dessus de tout soupçon. Il a fallu que le peuple manifeste sa colère devant la peine peu sévère infligée au bandit à cravate Vincent Lacroix pour que l’on change la loi. Comme aux États-Unis, le temps est aussi venu de revoir ce qui constitue une fraude dans la gestion d’une entreprise.
En acquittant les ex-dirigeants de Nortel, la Cour envoie le message que les puissants de ce pays peuvent toujours contourner les règles, pour autant qu’ils prennent la précaution de ne laisser aucune trace de leur intention criminelle derrière eux. Et voilà ce qui révolte !
Pour lire le texte original, on va sur le site du Devoir.
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