L’auteur invité est Bernard Devert, président de l’association Habitat et Humanisme (France).
Dans cette tribune, Bernard Devert traite de la finance solidaire, à partir de l’expérience de son association en matière de logement.
Le titre de mon propos peut surprendre alors que la précarité s’aggrave, qu’ici et là des tensions se font jour comme autant de replis identitaires face à un monde qui bouge, entrainant les crispations que suscite tout changement.
Or ces changements sont signes d’espérance. Qui aurait pensé, il y a encore cinq ans, que les murs allaient tomber entre les entreprises et les associations : deux mondes qui, sans s’ignorer, ne pensaient pas qu’ils pouvaient lutter ensemble contre la pauvreté.
« Faites moi de bonnes politiques« , rappelait le Baron Louis, « et je vous ferai de bonnes finances« .
Quel changement pour constater que les politiques financières ont quitté le champ de la technique pour devenir un art majeur de la gestion de la Cité !
Avec la crise financière on a vu apparaître des entreprises faisant appel au soutien des États pour ne point sombrer et des politiques sociales en souffrance, pour observer combien l’État-providence était lui-même en difficulté. Se propose alors à notre discernement la question des solidarités nouvelles à faire naître. Cette interrogation est fil rouge de la lutte contre les inégalités qui ont dramatiquement progressé, comme en témoigne le mal-logement, syndrome des fractures sociales.
Dans les réponses possibles s’esquisse un concept dynamique, celui de l’entrepreneuriat. Il ne demande pas à être qualifié de social ou de solidaire, dès lors qu’entreprendre durablement c’est désirer faire société en incluant davantage de confiance et de solidarité.
Qui aurait pensé, il y a même seulement trois ans, que l’entrepreneuriat se révèlerait une chance pour que l’entreprise ait un statut juridique ? Si les sociétés sont omniprésentes, les entreprises sont juridiquement absentes. Ce grand juriste que fut Jean Ripert rappelait que le monde est peuplé d’êtres nouveaux qui ne sont pas comptés dans le dénombrement de la population mais qui pourtant sont aussi vivants que les êtres physiques. Or, cette « population nouvelle » est recensée de façon singulièrement réductrice pour donner aux seules sociétés une capacité de plein exercice, l’entreprise apparaissant comme un être mineur dépourvu de statut juridique.
L’épargne solidaire ne serait-elle pas ce vecteur par lequel l’entreprise trouvera un statut ?
La création n’est pas seulement le fait des actionnaires, même s’ils la rendent possible, elle est aussi celle des salariés déçus de voir que, concourant au développement de l’entreprise, ils ne bénéficient pas toujours de ses résultats, ni d’une participation aux décisions qui se prennent au sein d’organes de gestion relevant davantage de la société (au sens de l’article 1832 du code civil) que de l’entreprise.
Est-il juste de considérer que les actionnaires sont les seuls propriétaires de l’entreprise ? Certes, ils possèdent un titre financier mais cette part du capital est susceptible d’être cédée en bourse du jour au lendemain. Une responsabilité aussi limitée dans la durée ne met-elle pas en exergue le vide juridique du statut de l’entreprise confrontée à d’importantes obligations, à commencer par ses engagements vis-à-vis des salariés ?
Des chantiers s’ouvrent
Je salue l’action conduite par le Président du Conseil Supérieur du Notariat, Maître Jean Tarrade, qui vient d’offrir à Habitat et Humanisme une convention de partenariat. Ainsi, de grands acteurs juridiques au service des personnes physiques ou morales se mobilisent pour des actions novatrices dans cette conscience partagée que l’innovation est une des clefs de sortie de crises.
L’épargne solidaire était inconnue il y a encore dix ans, pour n’être appréhendée que par les militants de causes humanitaires. Or, cette approche de l’économie suscite un réel intérêt ; il ne s’est point démenti avec la crise financière. Elle lui a donné des lettres de noblesse pour faire surgir la seule question qui vaille : quel sens donner à l’agir que l’épargne solidaire donne à revisiter ? Actuellement elle représente 1/1000e de l’épargne des Français ; l’objectif est de la porter à 1%.
Une utopie ? Pourquoi pas, mais ne relève-t-elle pas de l’urgente obligation de non point prédire un avenir mais le rendre possible ?
Je salue Claude Alphandéry, qui lança le laboratoire de l’économie solidaire après avoir réuni au Palais Brongniart des dizaines de milliers de personnes qui entendent investir sur des valeurs à fort impact social. J’exprime ma gratitude à François de Witt qui, comme président de Finansol, s’est singulièrement engagé pour faire reconnaître l’intérêt éminent de cette économie et de ses acteurs.
Je me souviens de ce mot de Bernanos : « j’ai entendu le craquement de l’âme » ; ne serait-il pas aussi celui de nos rigidités pour un monde plus flexible, attentif aux fragilités, signes d’une humanité où les biens sont au service des liens.
Pour lire le texte original, on va sur le site du Labo de l’économie sociale et solidaire.
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