CESD-Oikos-989x90

Le samedi 23 avril 2022

Recherche:

Les inégalités tuent le capitalisme

L’auteur invité est Robert Skidelsky, professeur émérite d’économie politique au Warwick University et member du British Academy in history and economics.

On admet généralement que la crise de 2008-2009 a eu pour cause des prêts bancaires excessifs et que l’incapacité à se redresser suffisamment provient du refus des banques à prêter suite à leurs mauvais bilans.

Une thèse canonique très prisée par les adeptes de Friedrich von Hayek et par l’école autrichienne d’économie est la suivante : dans la période qui a précédé la crise, les banques ont prêté plus d’argent aux emprunteurs que ce que les épargnants n’auraient été disposés à prêter dans d’autres circonstances, grâce à l’argent excessivement bon marché fourni par les banques centrales, notamment par la Réserve Fédérale américaine. Les banques commerciales, approvisionnées en argent des banques centrales, ont des accordé des crédits à de nombreux projets d’investissement à risque, lors d’une explosion d’innovations financières (notamment celles des instruments dérivés) qui ont alimenté une frénésie de prêts.

Cette pyramide inversée de la dette s’est effondrée lorsque la Fed a finalement mis un terme à la frénésie de dépenses par une hausse des taux d’intérêt. La Fed a augmenté son taux des fonds fédéraux de référence de 1% en 2004 à 5,25% en 2006 et l’a maintenu à ce point jusqu’en août 2007). En conséquence, les prix de l’immobilier se sont effondrés, laissant dans leur sillage une foule de banques zombies (dont le passif avait dépassé de loin les avoirs) et ont ruiné les emprunteurs.

Le problème semble être maintenant de remettre en marche les prêts bancaires. Des banques aux actifs dépréciés qui ne veulent pas prêter doivent d’une façon ou d’une autre « être remises à flots ». Cela a été le but des énormes renflouements des banques aux États-Unis et en Europe, suivis par plusieurs séries de programmes « d’assouplissement quantitatif » par lesquels les banques centrales impriment de la monnaie et l’injectent dans le système bancaire à travers une variété de canaux peu orthodoxes. (Les partisans de Hayek objectent que, parce que la crise a été causée par un crédit excessif, elle ne peut pas être surmontée par davantage de crédit.)

Dans le même temps, les régimes de réglementation se sont durcis partout, pour empêcher les banques de mettre à nouveau en péril le système financier. Par exemple, en plus de son mandat sur la stabilité des prix, la banque de l’Angleterre assume la nouvelle fonction de maintenir « la stabilité du système financier ».

Cette analyse en apparence plausible, repose sur la conviction que c’est l’offre de crédit qui est essentielle à la santé économique : trop d’argent la ruine, alors que trop peu la détruit.

Mais on peut adopter un autre point de vue, selon lequel la demande de crédit, plutôt que l’offre, est le moteur économique fondamental. Après tout, les banques sont tenues de prêter sur des garanties suffisantes, et dans la période qui a précédé la crise la hausse des prix de l’immobilier fournissait ces garanties. L’offre de crédit, en d’autres termes, a résulté de la demande de crédit.

Ceci pose la question des origines de la crise sous un point de vue quelque peu différent. Les responsables n’étaient pas tant les prêteurs prédateurs, que les emprunteurs imprudents ou trompés. D’où cette question : pourquoi les gens ont-ils voulu emprunter autant ? Pourquoi le taux d’endettement des ménages par rapport aux revenus a-t-il connu des sommets sans précédent dans les jours qui ont précédé la récession ?

Admettons que les gens soient avares et qu’ils veuillent toujours vivre au-dessus de leurs moyens. Alors pourquoi cette « avarice » s’est-elle manifestée de façon si maniaque ?

Pour y répondre, nous devons regarder ce qui se passait lors de la répartition des revenus. L’économie mondiale s’enrichissait progressivement, mais la répartition des revenus au sein des pays devenait progressivement plus inégale. Les revenus moyens ont stagné ou ont même chuté pendant les 30 dernières années, même pendant l’augmentation du PIB par habitant. Cela signifie que les riches ont accaparé une part énorme de la croissance de la productivité.

Et qu’ont alors fait ceux qui sont relativement plus pauvres pour rivaliser avec leurs voisins face à l’augmentation du niveau de vie ? Ils ont fait ce que font toujours les pauvres : ils se sont endettés. Auparavant ils s’endettaient auprès d’un prêteur sur gages, maintenant ils s’endettent auprès des banques ou des sociétés de cartes de crédit. Et parce que leur pauvreté n’était que relative et que les prix du logement s’emballaient, les créanciers étaient satisfaits et les ont laissé s’endetter de plus en plus.

Naturellement, certains se sont inquiétés de l’effondrement du taux d’épargne des ménages, mais peu étaient vraiment inquiets. Dans un de ses récents articles, Milton Friedman dit que l’épargne de nos jours a pris la forme de maisons.

Pour moi, cette vision des choses est beaucoup plus parlante que le récit orthodoxe selon lequel, pour tout l’argent demandé par les banques centrales, les banques commerciales n’ont pas encore commencé à prêter, et pourquoi la reprise économique a tourné court. Tout comme les prêteurs n’ont pas forcé les gens à emprunter avant la crise, de même ils ne peuvent plus contraindre à présent les ménages lourdement endettés à emprunter, ni les entreprises à recourir à des prêts pour augmenter leur production lorsque les marchés stagnent ou sont en baisse.

En bref, le redressement ne peut pas être laissé à la Fed, à la Banque Centrale Européenne ni à la Banque d’Angleterre. Elle a besoin de la participation active des autorités budgétaires. Notre situation actuelle n’a pas besoin d’un prêteur de dernier recours, mais d’un payeur de dernier recours et il ne peut s’agir que des gouvernements.

Si les gouvernements avec leur le niveau d’endettement déjà haut, croient qu’ils ne peuvent pas emprunter davantage auprès du public, ils doivent emprunter auprès de leurs banques centrales et dépenser eux-mêmes l’argent supplémentaire en travaux publics et en projets d’infrastructure. C’est la seule façon de remettre en branle les grandes économies occidentales.

Mais au-delà de cela, nous ne pouvons pas continuer à fonctionner avec un système qui permet à une si grande partie du revenu national et des richesses de s’accumuler entre si peu de mains. La redistribution concertée des richesses et des revenus a souvent été essentielle à la survie à long terme du capitalisme. Cela risque à nouveau de nous servir de leçon.

Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.
Copyright: Project Syndicate, 2012.
www.project-syndicate.org

Pour lire le texte original, on va sur le site de Project Syndicate.

Discussion

Pas de commentaire pour “Les inégalités tuent le capitalisme”

Commentaire

Inscrivez votre courriel ci-dessous pour recevoir le bulletin hebdomadaire:

Agenda Public

Un code est requis pour ajouter des evenements a l'agenda.
Appuyez sur "Obtenir un code" ci-dessous pour s'inscrire.

Si vous avez un code, inserez votre code ci-dessous:

Votre compte étant nouveau, s'il vous plait enregistrer vos informations:











Informations sur l'evenement a ajouter: