L’auteure invitée est Nicole Desroches, conseillère en environnement, en développement durable et sensibilisation.
En cette époque de la Loi 1 et de la Commission Charbonneau, la corruption et la collusion sont à nouveau la cible de nos gouvernements. Cependant le système actuel a vu la création d’impacts plus pernicieux encore que les échanges d’enveloppes brunes, dont la présence m’a frappée lors des audiences du BAPE (Bureau des audiences publiques sur l’environnement) tenues le 19 octobre dernier à Gatineau pour le réaménagement de la rue Jacques-Cartier. L’article qui suit n’est aucunement une critique du travail du BAPE, mais un état de situation relative aux études d’impacts selon ma perception des choses.
Au cours des derniers 20 ans, j’ai participé à plus d’une douzaine d’audiences du BAPE sur divers sujets génériques ou projets particuliers. Il fut un temps où, comme personne soucieuse de l’environnement, j’épluchais les documents reliés aux projets pour trouver des failles, souligner les oublis, noter l’absence de cumul des impacts, etc. Au fil du temps, la justification du projet est devenue de plus en plus importante puisque les études d’impacts étaient plus précises et plus élaborées sans toutefois voir d’étude de cumul des impacts.
Évidemment dans les mémoires déposés il était aussi important de souligner au BAPE que les promoteurs payaient des experts pour compléter les études et que nous, le public et les groupes environnementaux, accomplissions les nôtres sans le sou.
Au milieu des années 2000, les boîtes d’ingénieurs se sont rachetées entre elles pour éliminer les petits bureaux locaux d’ingénieurs, à tel point qu’à quelques exceptions près, il y a maintenant une demi-douzaine de grandes entreprises d’ingénierie au Québec et quelques petites. C’est aussi à cette époque que les premières embauchent de plus en plus de biologistes. Le tout se fait dans la légalité, au vu et au su de tous, mais les effets se voient de plus en plus si vous participez à plusieurs audiences du BAPE.
Nouveaux conflits d’intérêts
Comme les citoyens ne participent qu’à celles qui les touchent particulièrement et de près, il ne reste plus beaucoup de gens pour faire le constat qui suit : les faiseurs de projets sont ceux qui en évaluent leurs impacts.
Les entreprises d’ingénierie qui sont de tous les grands et moyens travaux d’infrastructures au Québec sont embauchées par les promoteurs (souvent le gouvernement provincial et maintenant les gouvernements municipaux) pour compléter les évaluations environnementales.
Comment dire, c’est tout comme demander au renard de dresser les plans du poulailler.
La mission de ces entreprises est de faire des plans et de bâtir, donc les évaluations environnementales sont faites en fonction de s’assurer que les projets aient lieu et non en fonction de diminuer leurs impacts et de protéger l’environnement.
De plus en plus, nous voyons des propositions de mitigation et de compensation, et ce même en provenance des fonctionnaires (surtout fédéraux) comme si de rien n’était et avant même que le projet ne soit soumis au BAPE.
Où est la neutralité, l’impartialité? Comment les citoyens et les groupes peuvent-ils combattre les « experts » et leurs gouvernements qui se fient à ceux-ci?
Un exemple concret de détournement
Prenons l’exemple du projet de Réaménagement de la rue Jacques-Cartier à Gatineau. En 1995 la Commission de la capitale nationale (fédérale, CCN) et l’ancienne ville de Gatineau signent une entente qui est reconduite en 2006 avec la nouvelle ville de Gatineau et à ce moment fait l’objet de consultations publiques. À l’origine le projet visait :
La séquence 1 est associée au patrimoine et à la culture, où l’on retrouvera l’accueil, l’interprétation historique, un parc urbain
La séquence 2 dont la vocation récréotouristique guidera les aménagements de porte d’entrée du parc, et un potentiel d’interprétation multifonctionnel;
séquence 3 dont la vocation sera davantage orientée vers la restauration de la berge, la nature, la conservation, l’interprétation et la reconstitution d’habitats naturels seront privilégiées.
Un certain consensus est établi entre les deux instances, le public et les groupes environnementaux et cyclistes (la Route verte y passe.)
Au printemps 2012, quatre scénarios sont présentés par le consultant (CIMA+) et non le promoteur (Ville de Gatineau) lors de la soirée d’information du BAPE. Celui qui est retenu n’a rien à voir avec les séquences de l’entente.
C’est un projet d’ingénierie qui délaisse le projet récréotouristique pour l’infrastructure : la promenade et la piste cyclable sont repoussées dans un nouveau remblai de la rivière des Outaouais parce que la rue Jacques-Cartier devient une rue de transit donc nécessite une reconstruction complète. La section orientée vers la conservation devient le lieu d’une nouvelle intersection selon les normes gouvernementales. Il n’est pas clair combien de bateaux pourront jeter l’encre dans une section étroite de la rivière face à une marina du côté ontarien et quel sera l’impact de ceux-ci.
Plusieurs autorisations devront être obtenues, direz-vous, selon l’article 22 (Loi sur la qualité de l’environnement LQE), l’article 35 (Loi sur les pêches quoique…) ou selon Transport Canada sur les voies navigables.
Effectivement, mais tout est déjà prévu; la compensation. Ce malgré que le BAPE soit à compléter son rapport et qu’en 2009 Gatineau adopte un règlement se conformant à la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables protégeant la bande de 15m et qu’en juin 2011 un règlement intérimaire protégeant ses terres humides, mais ouvrant la porte aux compensations. Ajoutons pour compléter le tout que la rivière des Outaouais est de juridiction fédérale (Ottawa River Act, 1870).
En vérifiant la liste des documents déposés au BAPE lors des audiences publiques, ni l’une ni l’autre de ces règlementations n’ont été déposées par le promoteur ou les personnes ressources, par contre les propositions de compensation le sont.
Comment un projet faisant consensus et respectant les valeurs de la révision du Schéma d’aménagement et de développement de Gatineau et de la révision du Plan de la capitale de la CCN (documents non déposés au BAPE), dont le transport collectif et actif, la mise en valeur et la protection des berges, est-il devenu un projet d’infrastructures plus lourdes et ce malgré les règlements, lois et consultations?
Le renard est entré par la porte qu’il avait prévue dans le plan du poulailler.
Pour lire le texte original, on va sur le site de GaïaPresse.
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