Dans le contexte de la conversion à l’idéologie néolibérale, qui décrète que le système de libres marchés des capitaux, des biens et des services constitue le moyen le plus efficace pour allouer les ressources au niveau national et au niveau mondial, le Québec a plus ou moins abandonné le recours à une politique bien structurée de développement économique. Le Québec dépense tout de même des sommes extrêmement importantes pour le développement économique mais ses interventions prennent généralement la forme de soutien aux entreprises, à travers différents ministères et organismes, sur la base de critères pas toujours bien établis et sans la cohérence essentielle à l’atteinte des objectifs visés. La création d’emplois constitue généralement un motif suffisant pour soutenir financièrement un projet sans égard à la qualité des emplois créés et aux perspectives de durabilité de ces emplois.
Dans un rapport de recherche de l’IREC que j’ai publié la semaine dernière, je souligne que depuis 2002, en bonne partie à cause de la force du dollar canadien, un écart important s’est creusé entre la valeur des importations du Québec et la valeur de ses exportations. En 2011 cet écart a dépassé les vingt milliards de dollars. Dans ce contexte, il faut que le gouvernement du Québec réagisse rapidement afin de définir et de mettre en application une politique industrielle d’envergure, apte à renverser cette tendance désastreuse de notre balance commerciale. La politique industrielle doit être conçue dans la perspective des marchés internationaux. En effet, la plupart des produits importés sont essentiels à la qualité de vie des citoyens ou au fonctionnement des entreprises et, en général, le marché québécois est trop étroit pour que le remplacement des importations par des substituts québécois soit rentable. Une exception importante est le pétrole, qui représente un des facteurs expliquant la dégradation du solde commercial du Québec, et pour lequel une stratégie de substitution est intéressante pour des motifs économiques et environnementaux. C’est pour cette raison que les grands projets de reconversion de l’économie dans une optique de développement durable et, à certaines conditions, l’exploitation du pétrole conventionnel au Québec, constituent des volets essentiels d’une politique industrielle.
Une politique industrielle doit prioriser certaines activités de production et la valeur ajoutée sous forme de salaires et de profits est le critère le plus intéressant de priorisation. Il faut cependant préciser que c’est la valeur ajoutée retenue au Québec et la durabilité de cette valeur ajoutée qui devraient être au cœur des décisions de développement économique. L’importance de la valeur ajoutée, en proportion de la valeur totale de la production, est liée principalement au pouvoir de marché des acteurs importants du secteur d’activité, sur lequel le Québec a généralement peu de contrôle, mais aussi à la rente associée à la rareté des ressources naturelles et aux salaires plus élevés payés pour les ressources humaines spécialisées. Le pouvoir de marché qui permet d’influencer les prix, à l’achat ou à la vente, génère généralement une forte valeur ajoutée sous forme de profits exceptionnels mais une part importante de ces profits est souvent distribuée et dépensée à l’extérieur du Québec. En outre, une grande partie du commerce international est constituée de commerce intra-firme et le mécanisme des prix de transfert permet aux multinationales de déclarer les profits aux fins d’impôt dans le pays qui leur convient. Ce mécanisme est aussi disponible aux entreprises canadiennes opérant au Québec. Le développement d’entreprises locales fortes et la formation d’une main-d’œuvre très spécialisée devraient donc être prioritaires afin de ne plus avoir à attirer les multinationales étrangères en offrant nos ressources naturelles à rabais, des infrastructures gratuites et une contribution fiscale minimale. Ubisoft et d’autres se sont installés à Montréal d’abord parce qu’il s’y était développée une expertise reconnue dans le domaine de l’animation par ordinateur. Quant à la prise en compte de la durabilité de la valeur ajoutée, celle-ci exige une vision à long terme. Le raffinage du pétrole est une activité à forte valeur ajoutée mais est-ce qu’un investissement majeur dans le raffinage de pétrole albertain garantirait des revenus à long terme pour le Québec? Il s’agit d’un pari risqué, dans la mesure où nous serions dépendants de l’étranger en ce qui à trait à la disponibilité et au prix du pétrole brut, et un pari plutôt incohérent si on accepte le principe de la reconversion vers une économie plus verte.
Le choix d’activités à prioriser ne peut toutefois pas se faire dans l’absolu, sans référence à la structure industrielle existante. L’examen des statistiques détaillées du commerce international permet de dégager des orientations intéressantes parce que ces données illustrent quels sont les avantages du Québec sur les marchés internationaux. On constate ainsi qu’en 2011 plus de la moitié des exportations de marchandises du Québec sont reliées à nos ressources naturelles et qu’un autre trente-cinq pourcents concernent des produits manufacturés technologiquement avancés. Quelques spécialités, soit l’aluminium, les avions, les papiers et cartons, le cuivre et le minerai de fer, totalisent à eux seuls plus du tiers des 62 milliards de dollars d’exportations du Québec en 2011. Ces produits génèrent des recettes irremplaçables à court terme et l’État doit se préoccuper de leur évolution. Ainsi, les exportations de papiers et de produits en bois ont chuté de façon très inquiétante depuis 2002.
Par ailleurs, les produits manufacturiers standards, pour lesquels la compétition des pays à bas salaires est très forte, ne représentent plus qu’onze pourcents des exportations. Le Québec ne dispose pas d’un fort excédent de main-d’œuvre non qualifiée et la création d’emplois à bas salaires ne devrait pas bénéficier du soutien de l’État. C’est pourquoi l’objectif d’une transformation locale de nos ressources naturelles devrait être appliqué avec discernement. En général les prix de vente sont fixés au niveau international et dans plusieurs activités de transformation nous ne serons jamais compétitifs. Il faut donc continuer à miser sur les grandes spécialités comme certains métaux transformés et l’aéronautique qui génèrent des recettes énormes mais il faut aussi accroître notre part des échanges internationaux de produits sophistiqués pour lesquels la qualité du design et l’innovation sont déterminants. L’industrie des jeux vidéo est un des exemples de réussite mais les entreprises de tous les secteurs d’activité devraient viser à créer des produits innovateurs. C’est ce qui permet à l’industrie du vêtement et à celle de meuble de survivre. Par contre, l’industrie des produits alimentaires, une des plus importantes industries manufacturières au Québec, génère une valeur à l’exportation relativement faible. Finalement, l’analyse des importations du Québec pourrait permettre d’identifier quelques produits qui, comme le pétrole, méritent que l’on envisage une substitution à l’importation étant donné la grande valeur ajoutée qu’ils incorporent et le coût total en devises étrangères qu’ils représentent. On peut par exemple penser à l’argent sous forme métallique dont, selon les données officielles, nous avons importé pour une valeur de plus d’un milliard de dollars en 2011. Il faudrait vérifier à quelles fins sont destinées ces importations et peut-être évaluer la faisabilité d’une production locale, d’autant plus que le Québec exporte pour une somme presqu’aussi importante de minerai d’argent annuellement.
Nous n’avons qu’esquisser quelques grandes lignes, mais les statistiques sur les échanges commerciaux constituent une mine d’informations sur le potentiel de l’économie du Québec et une connaissance approfondie de ces données constitue donc un pré-requis à la définition d’une politique industrielle. En outre, l’analyse de la structure des échanges rappelle que le développement de nos ressources naturelles et de notre main-d’œuvre, de même que le maintien au Québec de centres de décision corporatifs de calibre international, sont aussi des éléments essentiels d’une politique industrielle.
La fameuse question référendaire… quoi en penser ?
Comme vous le savez peut-être déjà, en plus de mon intérêt pour les affaires, je suis également un passionné d’économie et de politique. À l’approche des élections et devant la possibilité qu’un gouvernement péquiste majoritaire en ressorte, plusieurs aspects m’inquiètent. Laissez-moi partager avec vous mon point de vue sur les enjeux principaux de la campagne en espérant faire évoluer le débat et faire réfléchir.
J’aborderai donc différents thèmes qui me sont chers, soit l’économie, l’identité nationale et l’éducation. Commençons tout de suite avec le point le plus alarmant de la campagne actuelle: la question référendaire.
Je crois qu’en 2014, le concept de souveraineté est dépassé. Le fédéralisme est le modèle de prédilection pour une société florissante. Il permet de répondre à nos objectifs nationaux et régionaux tout en assurant la coexistence pacifique entre les différents groupes ethniques.
La souveraineté, un gouffre sans fin
L’argument principal de la souveraineté est le désir du peuple québécois de prendre sa destinée en mains. Cet argument peut être débattu : en regardant les plus récents sondages, même Montréal, cœur économique du Québec, refuse de se séparer du Canada.
Si le projet de la souveraineté se réalise, le Québec n’aura d’autre choix que de reconnaître les droits des autres minorités présentes sur son territoire. Ces groupes n’auraient-ils pas logiquement le même droit que la minorité francophone du Canada de se séparer ?
Les deux tiers du territoire québécois riches en ressources naturelles sont habités par les populations Cris et Inuit qui y résidaient déjà bien avant les peuples Français et Britanniques. Si un peuple pouvait à juste titre réclamer son indépendance, ce serait certainement ces derniers. Alors pourquoi sont-ils si farouchement contre l’indépendance du Québec? Ils craignent pour leurs droits constitutionnels… et avec raison ! Les lois du Parti Québécois démontrent clairement une tendance à diviser les citoyens et à s’en prendre aux droits des minorités. Le chauvinisme ethnique représente des risques énormes pour n’importe quelle société, et il est de notre devoir en tant que peuple de se demander s’il s’agit là du chemin que nous voulons suivre.
L’argument économique
Si le Québec se sépare, il est très peu probable que le Québec cède au Canada les territoires riches en ressources naturelles qu’occupent actuellement les Cris et les Inuits. Il s’agit là d’un manque de justice dans le raisonnement souverainiste. Le Québec peut se séparer du Canada, mais les autochtones ne peuvent pas se séparer du Québec? Ils occupent pourtant ce territoire depuis bien plus longtemps!
De plus, un Québec souverain deviendrait du jour au lendemain un pays insolvable. La dette du Québec est la plus imposante de toutes les provinces canadiennes en s’élevant à plus de 264 milliards de dollars. En calquant la méthode de calcul de l’Organisme de Coopération et de Développement Économique (OCDE), la dette publique d’un Québec souverain correspondrait à 94% de son produit intérieur brut (PIB), le classant ainsi au 5e rang des pays industrialisés les plus endettés avec la Grèce et l’Islande. De plus, les coûts d’emprunt du Québec augmenteraient de façon dramatique avec la chute de la cote de crédit du Québec rendant ainsi la gestion de cette dette encore plus difficile. Rajoutez à cela un gouffre grandissant de 9 milliards par année en transfert de péréquation et nous avons une nation pauvre avec de la difficulté à rayonner mondialement. Notre chère province frapperait un mur et le réveil serait brutal.
L’argument de la culture
Bien que les Britanniques aient remporté la bataille des plaines d’Abraham le 13 septembre 1759, les francophones du Québec ont su rayonner et préserver leur langue et leur culture pendant plus de 250 ans à l’intérieur de la fédération canadienne sans même avoir de loi 101 la majorité du temps! Si l’objectif réel est la sauvegarde de la langue française, pourquoi le Québec ne tenterait-il pas plutôt d’entretenir des liens politiques et culturels avec les francophones hors Québec? Dans le reste du Canada, en 2011, le nombre de personnes ayant déclaré le français comme langue maternelle était d’environ 1 067 000 et le chiffre augmente constamment. Cela représente environ 15% des francophones du Québec que nous serions prêts à abandonner. N’y a-t-il pas ici un manque de cohérence?
Des gens des quatre coins du monde choisissent le Canada comme terre d’accueil. C’est un pays qui gagne à être connu et où il fait bon vivre. C’est notre devoir en tant que Québécois, mais également en tant que Canadiens de réclamer haut et fort notre unicité et de tout faire pour la préserver…