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Le samedi 23 avril 2022

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Gestion et sécurité, cela ne suffit pas à la gauche !

L’auteur invité est Michel Wieviorka, sociologue, EHESS.

Il fut un temps où la gauche, en France, pouvait tenter de s’inspirer de grands modèles eux-mêmes sous tension.
• le communisme a sombré, malgré les efforts de ses promoteurs les plus ouverts pour proposer dans les années 70 un « eurocommunisme » devant beaucoup à l’exemple italien et à la pensée d« Antonio Gramsci ;
• la “ deuxième gauche ” syndicale (Edmond Maire) et politique (Michel Rocard) n’a pas survécu aux années Mitterrand ;
• le social-libéralisme de Tony Blair, Bill Clinton ou Gerhard Schroeder a complètement disparu de notre horizon avec la crise financière et économique.

Reste l’idéal social-démocrate : ne résiste-t-il pas à l’usure du temps, ne peut-il pas encore être invoqué, même s’il s’agit d’une référence en réalité fort abstraite dans notre pays, qui n’a jamais été social-démocrate dans les faits ? François Hollande est-il encore social-démocrate ?

Etat providence + le mouvement ouvrier

La social-démocratie repose sur deux piliers :
• l’Etat-providence, la redistribution associée à la solidarité ;
• l’adossement de l’action politique sur le mouvement ouvrier.

De ce deuxième point de vue, les événements récents montrent à l’évidence qu’il impossible de se réclamer, aujourd’hui, à gauche, d’un quelconque esprit social-démocrate.

Le mouvement ouvrier s’est considérablement affaibli depuis une quarantaine d’années, au point que le Front national se fait le champion des “ oubliés ” et des “ invisibles ”, ces ouvriers sans repères ni espoir, sans capacité d’action collective, qui vivent en grand nombre dans des zones périurbaines et qui ont disparu de nos écrans et de nos représentations.

Ce qui subsiste du mouvement ouvrier, avec notamment les superbes “ hommes du fer ” de Lorraine, mène des luttes défensives, pour sauver l’emploi, bien plus qu’il n’est en mesure d’inspirer des contre-projets de société. Et à aucun moment le pouvoir actuel ne semble incarner les attentes et les demandes de ces acteurs. Son inspiration n’a rien à voir avec le souffle du combat des ouvriers de la sidérurgie ou de l’industrie automobile.

S’appuyer sur un autre mouvement social ?

Nous ne sommes plus une société industrielle, et on pourrait imaginer une “ néo-social-démocratie ”, une social-démocratie revisitée, repensée, dans laquelle de nouveaux mouvements sociaux et culturels viendraient prendre la place du mouvement ouvrier pour inspirer l’action politique.

Mais là aussi, le pouvoir semble bien loin d’être porté par les aspirations ou les revendications qui proviennent, par exemple, des mouvements antinucléaires ou écologistes. La construction du réacteur nucléaire nouvelle génération de Flamanville ne semble guère affectée par la contestation, et le gouvernement est assurément sur une autre ligne que les écologistes qui demandent l’abandon du projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes.

Nous étions orphelins du communisme, de la deuxième gauche, de la troisième voie, nous le sommes donc aussi de la social-démocratie. Et nous sommes bien en peine de déceler une inspiration de gauche claire et forte qui structurerait l’action de nos gouvernants.

Bonne gestion et ordre républicain

En fait, deux références principales viennent tenir lieu de colonne vertébrale au pouvoir actuel.

La première est celle de l’expertise et du savoir-faire technocratique : pour sortir de la crise actuelle, ne faut-il pas faire confiance à la raison, à la compétence en matière économique et gestionnaire, un peu comme en Italie, où Mario Monti a su un temps s’imposer au dessus des partis pour mettre en œuvre avec un gouvernement dit “ de techniciens ” une politique de rigueur ?

La cacophonie récente qui vient de discréditer le pouvoir à l’occasion de ses négociations avec Mittal pour tenter de sauver le site de Florange donne à penser que la logique de la compétence est vite débordée par les problèmes concrets : l’appel à la raison technocratique, incarnée par la présence massive d’anciens élèves de l’ENA au sommet des appareils d’Etat, n’est pas une réponse satisfaisante au déficit de structuration politique qui caractérise la gauche au pouvoir aujourd’hui.

Et ce n’est pas parce que le chef de l’Etat s’efforce en permanence de trouver des compromis entre des logiques d’action et des forces politiques conflictuelles qu’il transforme en social-démocratie un mélange de rationalité, de pragmatisme et de sens de la négociation.

Deuxième référence : la République. Le discours, ici, n’est pas adossé sur la compétence économique et gestionnaire, sur la prétendue rationalité des experts, il se fonde sur des promesses républicaines d’ordre et de sécurité. Cette promesse n’a rien de gauche en elle-même, et elle ne dit rien des tensions ou des problèmes économiques, culturels, sociaux qui génèrent l’insécurité.

Elle répond à de fortes attentes qui traversent tout la société, et celui qui l’incarne, le ministre de l’Intérieur, bénéficie bien plus que d’autres d’une image favorable au sein de l’opinion, en général, comme à gauche, en particulier.

La nécessité d’une nouvelle vision

Ni la raison experte, ni la mise en avant de l’ordre républicain ne sont à la hauteur des enjeux politiques d’aujourd’hui, et ni l’une ni l’autre ne sont spécifiquement de gauche. Pire : l’une comme l’autre peuvent susciter de nouveaux problèmes.
• La première ne peut que créer ici et là d’intenses déceptions, et, de là, des difficultés politiques considérables que le pouvoir actuel croit à tort possible de gérer au cas par cas, au fur et à mesure que les questions deviennent aiguës, et en fonction de la capacité plus ou moins grande qu’ont les acteurs de se faire entendre.
• La seconde, quand elle n’accompagne pas des mesures à l’écoute des demandes culturelles ou sociales émanant de la société, risque de s’autonomiser pour devenir un mélange inefficace de répression et d’incantation idéologique.

Le pouvoir ne nous tirera pas de la crise actuelle, qui est aussi morale et politique, en se contentant de conjuguer rigueur technocratique et ordre républicain, le tout assorti d’une com’ accompagnant tactiquement ses moindre faits et gestes. Il est grand temps qu’il réfléchisse aux idées générales qui le doteraient d’une vision tendue vers l’avenir.

Pour lire le texte original, on va sur le site de Rue89.

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