L’auteur invité est Michel Gay, écrivain et éditeur.
Dans Le Devoir du 7 janvier, l’Institut économique de Montréal (IÉM) déclare en rubrique « libre opinion » s’opposer au prix unique que soutiennent de nombreux acteurs des milieux du livre québécois. Prenant supposément appui sur l’expérience française, un économiste et le p.d.-g. de l’IÉM affirment d’entrée de jeu que « cette politique d’augmentation artificielle du prix des livres, car c’est bien de cela qu’on parle, a eu pour principale conséquence de réduire les achats de livres sans pour autant sauver les petites librairies ». Holà ! Ce n’est pas rien, et on a hâte de lire les fondements de cette affirmation. Malheureusement, les explications ne viennent jamais. Et le jupon dépasse de plus en plus à chaque paragraphe de leur intervention.
D’abord, pourquoi s’en tenir au seul exemple de la France ? L’IÉM ne peut-il pas s’ouvrir un peu plus sur le monde ? Qu’en est-il de l’application de la règle du prix unique dans d’autres pays comme le Japon, le Mexique, le Danemark, l’Italie, ou encore comme dans un pays aussi sous-développé en matière de livre et d’édition que l’Allemagne ? On a vraiment hâte que les économistes de l’IÉM éclairent nos pauvres lanternes à ce sujet.
« De 1959 jusqu’à 1981, les familles françaises achetaient de plus en plus de livres, de sorte que ceux-ci représentaient une part grandissante des dépenses totales des ménages. » Surprise ! Sans même faire de recherche, je suis prêt à parier que l’on trouve la même tendance du côté des familles québécoises et américaines. Eh oui ! Dans les années 1960 et 1970, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, on a vu une classe moyenne plus nombreuse bénéficier de meilleurs revenus et ses enfants avoir accès à l’école, au collège, à l’université. Éducation… lecture. Les économistes de l’IÉM voient-ils ze rapport ? Non ? Dommage.
Plus sérieusement, parce que plus grave : depuis 1981, les prix des livres en France ont… augmenté ! Chercher l’erreur… La voici (merci IÉM) : les Français (l’IÉM ne parlent toujours que de nos cousins d’outre-mer, snif !) ont réduit leurs achats de livres, mais augmenté leurs achats de disques à compter des années 1990. Eh ben, dis donc ! Les MP3 et autres canaux de vente de musique en ligne ont vraiment atteint les côtes de la doulce France dès les années 1990 ? WOW ! Qui l’eût cru ?
Et ailleurs?
Pour enfoncer le clou et citant une étude économique (attention, c’est sérieux, ça) « de Mathieu Perona en 2004, les familles françaises ont tout simplement choisi d’autres biens culturels à acheter comme les disques ». L’IÉM nous offre-t-il l’ombre d’une comparaison avec différents marchés appliquant ou non la règle du prix unique ? Ben, voyons… Euh, justement : on ne voit pas très bien. Merci, IÉM, de nous mieux éclairer la prochaine fois.
À l’IÉM, on a l’amalgame facile : prix unique = diminution du budget des ménages consacré au livre. Question : pour la même période, qu’en est-il de l’évolution du budget des ménages consacré au livre au Québec et ailleurs dans le monde où le prix unique ne s’applique pas ? Réponse : l’IÉM ne peut pas répondre à une question qu’elle ne s’est probablement pas posée.
« Les librairies indépendantes n’ont obtenu qu’un répit de cinq ans à la suite de l’adoption de la loi. Par la suite, leurs parts de marché ont repris leur tendance à la baisse. » Il aurait été tout de même intéressant que l’IÉM explique ce haut et ce bas de la politique du prix unique. D’avance, nous remercions ses économistes de leurs prochaines utiles lumières éclairantes dans ce dossier.
Il est vrai qu’on peut choisir de n’accorder aucune espèce d’importance au livre et à la lecture, ce à quoi l’IÉM en viendra peut-être un jour si ce n’est déjà fait.
Pour le moment cependant, la question de l’accessibilité au livre mérite tout de même, me semble-t-il, d’être au moins discutée, d’abord et avant tout en vue d’en assurer la pérennité et non pas la disparition ou l’appauvrissement grâce aux bons services des Walmart de ce monde (oui, maintenant, c’est mon propre jupon qui dépasse). Discutée, oui, en comptant, pourquoi pas, sur une contribution, la prochaine fois, mieux documentée (scientifiquement) de l’IÉM. Après tout, même s’il est loin d’avoir réussi à le prouver, comme on a vu, l’IÉM a peut-être raison de s’opposer au prix unique… […]
S’agissant de recherche dans le secteur économique […], je suggère en passant à messieurs Vincent Geloso et Michel Kelly-Gagnon de l’IÉM de se pointer le week-end prochain dans leur Costco préféré pour s’alimenter en livres dans leur domaine de prédilection en vue de relancer le présent débat.
En terminant, j’en surprendrai peut-être plusieurs en affirmant que je ne sais pas, pas vraiment, si le prix unique serait efficace au Québec aujourd’hui du point de vue culturel ; par exemple, un point de vue que ne connaissent peut-être pas beaucoup messieurs Geloso et Kelly-Gagnon. Trop peu, trop tard ? Les Costco, Walmart et autres zimmenses surfaces de ce monde n’ont que faire des lecteurs ; ces géants ne s’intéressent qu’aux petits consommateurs. Le murmure marchand, disait mon ami Jacques Godbout (dans les années 1980, tiens !)… Un murmure devenu aujourd’hui un véritable vacarme, oui !
Pour lire le texte original, on va sur le site du Devoir.
Discussion
Pas de commentaire pour “Prix unique du livre – Le jupon de l’Institut économique de Montréal dépasse. Et… le mien aussi d’ailleurs!”