Après des décennies de lutte, les écologistes étatsuniens commencent à remporter des gains majeurs contre l’utilisation du charbon aux États-Unis. Le cas de Patriot Coal, l’une des plus grosses entreprises exploitant les gisements de charbon des Appalaches, est à cet égard symptomatique. La firme a annoncé en novembre dernier qu’elle renonçait à extraire le charbon par nivellement des sommets. Grâce à ces méthodes, les mines géantes des États miniers de la chaîne des Appalaches permettent d’extraire le charbon à moindre coût, mais défigurent les paysages et sont particulièrement polluantes, les rejets de l’exploitation étant déversés en contrebas et finissant dans les rivières et les vallées.
Depuis deux ans, l’électricité produite à partir du charbon est en baisse constante aux États-Unis. C’est dû en partie à la lutte des écologistes et aux restrictions de plus en plus forte émises par l’EPA sous l’administration Obama, mais les causes sont également à chercher du côté du boom du gaz de schiste dans ce pays. Selon l’Union of Concerned Scientists, plus de 350 installations de production d’électricité à base de charbon (59 GW, 6% de la capacité énergétique totale) seraient menacées de fermer leur porte dans 31 États des États-Unis en raison de la concurrence du gaz de schiste et de l’énergie éolienne suite à la mise en place des nouvelles réglementations anti-pollution, qui frappent durement les centrales au charbon. Leurs fermetures s’ajouteraient aux 41 GW d’électricité à base de charbon d’ores et déjà condamnées pour des raisons environnementales depuis quelques années, en plus des projets de nouvelles centrales qui n’ont jamais eu d’autorisation gouvernementale.
Malheureusement, ce succès étatsunien de la lutte contre les émissions de CO2 est amoindri pour deux raisons : d’une part, selon les résultats de plus en plus confirmés, les gaz de schiste ne représentent pas nécessairement une alternative intéressante en raison de leurs émissions importante de méthane; d’autre part, et c’est sur ce point que je vais insister dans le reste de ce billet, la baisse de l’utilisation du charbon aux États-Unis est malheureusement compensée par une hausse plus importante de son utilisation dans le reste du monde. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui vient de publier son atlas mondial de l’énergie 2012, le charbon a répondu pour près de moitié à l’augmentation de la demande mondiale d’énergie au cours de la dernière décennie, croissant à un rythme plus élevé que la somme des énergies renouvelables.
L’évolution de la demande en charbon, nous dit l’AIE, dépendra des mesures favorables aux sources d’énergie renouvelable et aux autres mesures de lutte contre le réchauffement qui seront prises dans les prochaines années, en particulier de pays comme la Chine et l’Inde. La Chine et l’Inde comptent en effet pour près des trois quarts de la hausse de la demande en charbon projetée hors OCDE (la consommation de charbon baisse dans les pays membres de l’OCDE). La demande de la Chine (premier consommateur mondial) devrait connaître un pic autour de l’année 2020, puis se stabiliser jusqu’en 2035. Celle de l’Inde poursuivrait sa progression (en 2025, ce pays dépassera les États-Unis, devenant le deuxième consommateur de charbon au monde). Selon ce scénario, la progression de la consommation du charbon devrait faire en sorte qu’il dépasse celle du pétrole dès 2022 pour devenir la première source de production d’électricité. En 2009, on comptabilisait 3,9 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole) pour le pétrole contre 3,4 Mtep pour le charbon. Dans quatre ans, on serait respectivement à 4,4 Mtep et 4,3 Mtep.
Par exemple, pour se libérer davantage de la dépendance à la Russie, la société pétrolière et gazière d’État de l’Ukraine a signé avec la Banque de développement de la Chine un accord (3,6 milliards $) qui prévoit 4 projets d’investissement permettant de convertir les installations nationales de production d’énergie thermique du gaz au charbon et à construire 5 usines de gazéification du charbon. L’accord permettrait de remplacer environ 4 milliards de mètres cubes de gaz naturel russe par du charbon ukrainien (créant plus de 2.000 emplois grâce à la production annuelle de 10 millions de tonnes de charbon national et économisant environ 1,5 milliard $ par an).
Par ailleurs, comme je le signalais dans le billet de veille de la semaine dernière, que dire de la Banque mondiale qui, malgré ses appels à la lutte contre le réchauffement, continue à cofinancer les projets de méga-centrales au charbon. En 2010, elle avait approuvé un prêt de 3,75 milliards $ pour financer la centrale au charbon de 4 800 MW de Medupi, en Afrique du Sud, pays qui est responsable de 40% de toutes les émissions de gaz à effet de serre en Afrique. Aujourd’hui, elle approuve un prêt de 450 millions $ pour la centrale de 4 000 MW de Tata Mundra, en Inde. Le nouveau président Jim Yong Kim avait déclaré qu’il voulait réévaluer les activités de la Banque dans le secteur des énergies fossiles. Les opposants au projet indien exigent du président Kim qu’il retire l’approbation de la Banque comme preuve de sa réelle volonté de protéger la santé des populations et l’environnement. N’oublions pas que, selon une étude du Harvard Medical School, les coûts environnementaux et de santé du charbon sont de 500 milliards $ par année aux États-Unis seulement, soit de 9 à 27 cents par kWh d’électricité produite.
Le groupe écologiste Sierra Club a bien compris l’urgence d’agir en lançant la campagne mondiale Move Beyond Coal, Now ! Depuis trop longtemps la technique du captage et du stockage du carbone (CSC) a servi de prétexte à l’industrie du charbon pour poursuivre « de façon durable » son développement dans les pays émergent. Dans la réalité, le charbon (et les sables bitumineux) représentent la bombe à retardement qui fera chavirer le climat de la planète de manière irréversible.
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