L’auteur invité est Jean Gadrey, professeur émérite d’économie à l’Université Lille 1. Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.
À court terme, ce n’est pas la crise pour tout le monde. Dans un précédent billet, j’avais présenté la courbe des dividendes en France : record battu en 2011. J’ai reçu de Pierre Larrouturou un lien vers de bien belles courbes issues des données du BEA (Bureau of Economic Analysis), et je les ai complétées. Alléluia ! Les « corporate profits » (bénéfices des sociétés) après impôt battent tous leurs records, aussi bien en dollars constants qu’en % du PIB. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, la part des salaires bat elle aussi tous ses records historiques… vers le bas.
Mais au fait, et si c’était AUSSI cela la crise (car il existe d’autres facteurs de crise formant système, voir ce schéma), une grande crise ENCORE À VENIR ? En août 2011, Robert Reich, l’ancien secrétaire d’état au travail de Bill Clinton, avait écrit un billet où il écrivait : « Le ratio des bénéfices des sociétés par rapport aux salaires est maintenant plus élevé qu’il ne l’a jamais été depuis les années qui ont précédé la grande dépression ».
En fait, on n’a jamais atteint un tel rapport entre les bénéfices des sociétés APRÈS IMPÔTS et les salaires (et autres « compensations ») qu’elles versent : 25,5 % au troisième trimestre 2012. Voici le graphique. La courbe en rouge est celle des bénéfices des sociétés (financières et non financières) en % du PIB, celle en bleu représente les salaires versés par ces sociétés en % du PIB. J’aurais préféré les % dans la valeur ajoutée totale des sociétés, mais je n’ai pas trouvé cela directement dans les données du BEA. Nul doute qu’on pourrait le faire en prenant plus de temps. Les salaires ont perdu environ 7 points de PIB depuis les années 50 à 70, les profits en ont gagné presque autant.
Quelle est, dans cet ensemble de bénéfices, la part de la finance et son évolution ? Le graphique suivant, en dollars constants, en donne une idée jusque 2010 (source : BEA et http://tinyurl.com/cehqurv) :
Jusqu’au milieu des années 1980, les bénéfices de la finance représentaient environ 15-20 % de ceux des sociétés non financières. C’est ensuite l’envolée, avec un bref plongeon en 2008, suivi d’une remontée tout aussi spectaculaire vers un niveau de 40 % fin 2010 et probablement plus en 2012.
Beaucoup d’ingrédients d’une grande dépression semblent réunis, sans même parler de l’énormité des dettes publiques et privées (dernier graphique). Pour information, le PIB 2011 étant pratiquement à 15 000 milliards de dollars, le stock de dette des Américains en 2012 en représentait 370 %.
Mais, dans sa grande sagesse, la Bourse se porte bien, merci. Et, dans leur grande sagesse, les marchés financiers, qui en réalité ne savent plus à quel saint se vouer, prêtent aux États-Unis, et même à la France, à des taux d’intérêts réels nuls ou négatifs. En fait, pour les États-Unis, c’est la Fed qui achète et qui détient la plus grande part de la dette publique…
Pour combien de temps encore cette apparente santé du côté des dominants ?
Pour lire le texte original, avec les références et graphiques, on va sur le blogue de l’auteur.
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