« Le gouvernement et l’AQOCI entament une réflexion commune sur la création d’une Agence québécoise de solidarité internationale » nous annonçait le 6 février dernier le ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée et le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, Alexandre Cloutier. Ils étaient accompagnés du président de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), Denis Labelle. Projet mis en branle : la création d’un comité conjoint ayant le mandat de réfléchir à ce que devrait être une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI).
Un comité conjoint AQOCI-MRI : un pas de plus dans la bonne direction
La nouvelle n’a pas fait tout un boucan, a passé rapidement sans qu’on s’en rende tout à fait compte. Mais justement, elle compte. Jusqu’à quel point? Cela reste à voir…Bon! Tout le monde convient que les orientations adoptées par l’ACDI au cours des dernières années ont contribué à souscrire à l’idée d’une Agence québécoise parce que « l’ACDI est devenue étroitement intégrée à la stratégie de développement économique du gouvernement canadien ». Et que la notion de solidarité internationale « apparaît de plus en plus marginalisée », nous dit le ministre Lisée.
La nouvelle, du point de vue de l’AQOCI, fut très bien accueillie. En effet, depuis des décennies, les OCI au Québec ont su développer une expertise qui n’a pas d’égal «et des partenariats porteurs avec les organisations de la société civile des pays du Sud» de dire son président. Et toute cette «expertise» est aujourd’hui menacée. Ici il faut lire que c’est toute cette orientation progressiste du travail de coopération de proximité entre le Québec et le Sud dont on parle. Une AQSI fournirait sans doute une bouffée d’air frais aux OCI littéralement coincés par les nouvelles politiques de l’ACDI. Mais attention le ministère porteur au Québec dispose depuis longtemps de $5 pauvres millions par année tandis que l’ACDI dispose grosso modo de $5 milliards dont $800 millions en provenance des contribuables du Québec. Bref, un éléphant et une souris!
Une Agence québécoise, à terme, se doit de récupérer la juste part québécoise de l’aide publique au développement. On est dans une bataille de longue haleine. Il n’est donc pas certain que seule l’AQOCI doit être à la table en dépit du fait que « le gouvernement du Québec et l’AQOCI entretiennent une relation de partenariat depuis plus de trente ans » comme le dit le communiqué conjoint. À court terme, l’enjeu concerne surtout les OCI. Mais il y a plus. Si « l’AQOCI est un acteur de premier plan pour animer la réflexion et sensibiliser la population québécoise aux enjeux liés à la coopération internationale » (dixit le communiqué), « de nombreux autres acteurs québécois en matière de solidarité internationale devront également être consultés dans le cadre des travaux de ce comité dont le rapport est attendu pour la fin de l’année 2013 ». L’intention est là mais le communiqué reste vague à ce propos. De qui parle-t-on au juste?
Les OCI ne sont pas les seuls concernés
Dans une étude que nous avons fait, mes collègues et moi il y a quelques années sur la coopération québécoise (Favreau, Fréchette et Lachapelle, 2008), nous avions fait le tour de ces acteurs : les OCI, bien sûr mais ceux-ci coexistent avec des municipalités, des maisons d’enseignement (collèges et universités), des centres de recherche et d’autres organisations de la «société civile» qui ne sont pas des OCI membres de l’AQOCI comme c’est le cas des organisations syndicales (Développement solidarité internationale à la CSN par exemple) ou des organisations coopératives (SOCODEVI et DID par exemple).
Nous y avions fait quelques heureuses découvertes. L’expérience-phare de SUCO au Mali relatée dans le livre Sur les petites routes de la démocratie (1999) était appuyée par des municipalités de la région de Lanaudière dans le cadre d’un programme conjoint de la Fédération canadienne des municipalités et de l’ACDI. Même chose pour la ville de Buckingham en Ouatouais jumelée pendant six ans avec la commune de Nioro du Rip au Sénégal. En outre, l’Union des municipalités du Québec est entrée en partenariat avec l’Association chilienne des municipalités dès 1995 et à partir de 2005 avec l’Union des associations d’élus locaux du Sénégal. À cet égard, l’expérience des collectivités territoriales (communes, départements et régions) dans le cadre du programme de « coopération décentralisée » du gouvernement français où existe un binôme municipalités/associations citoyennes nous était apparue inspirante.
On peut également penser aux initiatives d’une douzaine de collèges publics qui ont des services de coopération internationale qui offrent des expertises à leur équivalent du Sud, en Afrique et en Amérique latine. Le cegep de Jonquière par exemple a une longue tradition de ce côté-là (deux décennies). Parmi d’autres activités : un travail de sensibilisation à la question Nord-Sud de leurs étudiants, en travail social et sciences humaines, par l’organisation annuelle de stages de plusieurs semaines au Burkina-Faso.
On pense aussi aux initiatives de solidarité de la CSN (par DSI) au Brésil en collaboration avec la principale centrale syndicale du pays pour la création d’un réseau de caisses d’économie s’inspirant des caisses québécoises. Ou aux initiatives de SOCODEVI, qui fêtait ses 25 ans il n’y a pas si longtemps, dans le développement coopératif au Sud ou à celles de Développement international Desjardins (DID).
À la fin de notre ouvrage, nous avions conclu qu’au plan international l’influence décisive est certes entre les mains des multinationales, des grandes organisations internationales et des États des pays du Nord. Cependant les formes qu’a prise la solidarité internationale, surtout dans les deux dernières décennies, ont changé la donne avec l’émergence sur l’avant-scène de nouveaux acteurs : des OCI, des organisations paysannes, des syndicats de travailleurs, des entreprises collectives et plus particulièrement celles qui évoluent dans la foulée du mouvement coopératif, des municipalités et des maisons d’enseignement. Et plus largement un mouvement citoyen international (Marche mondiale des femmes, réseaux internationaux de finance solidaire, Forums sociaux mondiaux…).
Dans l’expérience québécoise, on a assez bien compris que la mondialisation en cours oblige plus que jamais à multiplier les échelles d’intervention et à les prendre toutes en compte pour passer du travail d’organisation au plan local à l’action à l’échelle nationale et internationale. Elle oblige aussi à une convergence de tous les acteurs qui n’ont pas pieds et poings liés aux multinationales et aux néolibéraux de tout poil. Au fil de notre ouvrage se détachaient quatre axes majeurs de la coopération internationale de proximité :
1. L’importance de la démocratie dans et par les communautés dans la perspective de la reconstruction d’États sociaux : soutien aux mouvements sociaux (de travailleurs, paysans, coopératifs, femmes, associatifs) qui font la promotion de droits sociaux; soutien aux initiatives innovatrices de gouvernements locaux…
2. L’importance d’alternatives économiques dans la perspective d’une «biodiversité» économique mondiale: soutien au développement d’entreprises collectives (coopératives, mutuelles et associations à vocation économique); soutien au contrôle des communautés sur leurs ressources naturelles; appui aux organisations de développement local de commerce équitable…
3. L’importance du développement de l’infrastructure des communautés (services de base) et de leur organisation sociale (des associations d’éducation populaire, mutuelles de santé et de services sociaux, etc.).
4. La construction de la paix en soutenant le développement de mouvements démocratiques locaux, de comités de surveillance d’élections…
Pour faire de la coopération de proximité efficace et inscrite dans la durée, nous avons besoin de tous les acteurs ci-hauts mentionnés : OCI, coopératives, organisations syndicales, municipalités, institutions d’enseignement (collèges et universités). Et pour réussir la longue bataille qui s’annonce avec le gouvernement fédéral sur cette question, le comité conjoint AQOCI-MRI devra leur ouvrir les portes dans les plus brefs délais.
Aux 4 axes de solidariité internationale de proximité, j’en ajouterais un cinquième que j’estime fondamental : l’appui à l’agriculture vivrière. C’est par là que commence tout développement. Encore mieux si cela se fait sur une base coopérative. Et encore mieux si c’est couplé à un système coopératif d’épargne-crédit.
Se nourrir soi-même, c’est déjà se libérer de la plus grande des dépendances. De plus, c’est à partir de ce capital premier qu’est la terre, qu’une collectivité peut accumuler un surplus, lequel permet la production ou l’acquisition d’outils pour produire plus avec moins d’effort et moins de temps. C’est le début de l’accumulation technologique et du progrès.
Louis,
les actrices et acteurs(secteurs) que tu nommes seront entendus(tous les collèges, toutes les universités, toutes les municipalités?) Nous allons revisiter et apprécier de nouveau les États généraux que nous avons tenus en 2006 et la Déclaration du Québec adoptée par la même occasion. L’AGA de l’AQOCI de juin prochain accordera une place importante au dossier Agence québécoise de « solidarité » internationale. Nous avons dès les premières minutes insisté pour que le mot solidarité remplace le mot coopération pour permettre la reconnaissance des activités d’éducation, de plaidoyers et permettre aussi, aux organisations de la société civile qui « ne font pas dans la coopération », d’alimenter la réflexion autour de la création de cette Agence.
Membre du comité de travail MRI-AQOCI et président de l’AQOCI.