Les auteurs invités sont Anne Latendresse, professeure au département de géographie de l’UQAM et Pierre Beaudet, professeur à l’École de développement international et de mondialisation de l’Université d’Ottawa.
Indirectement, ce mécanisme de démocratie municipale a assaini les finances municipales en minimisant l’opacité tout en relançant l’économie locale
Depuis le commencement des travaux de la commission Charbonneau, l’attention médiatique et celle du grand public prennent davantage conscience de l’existence d’un vaste système de corruption et de collusion qui gangrène nos administrations municipales. […]
La situation est dramatique et choquante, mais il faut dire que le problème a des racines profondes. Depuis longtemps au Québec, les pouvoirs publics à l’échelon municipal sont fragilisés. Plusieurs facteurs y contribuent, notamment le cadre législatif qui fait en sorte que, depuis la Confédération canadienne, les municipalités sont des « créatures des provinces ». Alors qu’ailleurs dans le monde, nombre de pays ont décentralisé un certain nombre de pouvoirs et de compétences vers les municipalités, ici elles ont peu très peu d’autonomie et sont confinées dans l’offre de services de proximité, ce qui explique qu’elles sont considérées comme de simples relais des provinces. Juste à côté de nous, l’Ontario et la Colombie-Britannique ont adopté certaines réformes alors qu’ici la réforme municipale de 2001, qui a redessiné la cartographie municipale, n’a pas osé toucher à cette question, préférant garder les municipalités sous son giron. […]
Par ailleurs, trop souvent au Québec, la vie municipale n’intéresse qu’une poignée de gens, d’où de nombreuses « élections » par acclamation, de hauts taux d’abstention, une faible participation aux partis municipaux, dans les villes où il en existe, etc. Il y a donc, au-delà des défaillances et des « trous noirs », de réelles fractures systémiques qui imposent sur nos villes une sorte de chape de plomb.
Enrichir la démocratie
Pourtant ici et là, des citoyens, avec l’appui d’organisations communautaires ou syndicales, reviennent régulièrement à la charge. Les cinq Sommets citoyens de Montréal organisés par un regroupement d’organisations communautaires, syndicales et de réseaux montréalais d’organisations entre 2001 et 2009, les efforts consentis antérieurement par les expériences du Rassemblement des citoyens de Montréal et le Rassemblement populaire de Québec, constituent des références intéressantes. […]
Depuis quelque temps, des expériences sont en cours pour redonner un souffle à la démocratie municipale. C’est ainsi que l’idée des « budgets participatifs » a été formulée d’abord en Amérique latine. […] Au Brésil, des municipalités ont instauré des processus qui permettent aux citadins de se prononcer sur les priorités en matière de développement social, de transport, de bonification des infrastructures. En créant des espaces de délibérations ouverts et accessibles dans les différents quartiers, ce dispositif a eu pour effet d’élargir les débats aux prises de décision en matière de planification et de gestion urbaines à des groupes sociaux souvent écartés des instances de pouvoir et sous-représentés (plus de 50 000 personnes ont participé au processus annuellement). Indirectement, le « budget participatif » a assaini les finances municipales en minimisant l’opacité tout en relançant l’économie locale et le sentiment d’appartenance qui permet d’améliorer la sécurité publique. En retrouvant leur légitimité, les municipalités sont devenues des interlocuteurs et des partenaires des paliers supérieurs du pouvoir au lieu d’être de simples relais manipulés dans les coulisses.
Selon diverses études, plus de 500 villes dans le monde ont mis en place un dispositif participatif qui permet les débats sur les investissements et d’autres enjeux plus circonscrits, comme le logement social. Quelques expériences sont en cours au Canada, notamment à Guelph (Ontario) et à Toronto, où les locataires des logements sociaux ont leur mot à dire dans la répartition de projets représentant plus de 22 millions de dollars.
L’expérience montréalaise
À Montréal, une première expérience (de trop courte durée) a été mise sur la table dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal de 2006 à 2009. Dans la plupart des cas, le budget participatif émane de pressions ou de revendications venant des organisations communautaires, mais aussi de la volonté politique de certains partis ou d’élus. Bien que ces expériences soient relativement nouvelles et à petite échelle (à part le cas du Brésil), il est possible de dégager certaines tendances. Dans la plupart des cas, l’assainissement de l’administration municipale requiert un nouveau partage du pouvoir entre élus, professionnels, institutions publiques, citoyens organisés et non organisés, en accordant à ces derniers une place plus importante dans les débats et prises de décision concernant l’utilisation des fonds publics. L’élargissement de la démocratie par des processus participatifs axés sur la délibération citoyenne ne nie pas l’importance des mécanismes plus traditionnels de la démocratie représentative. Pour être significative, la mise en place de dispositifs comme le budget participatif doit reposer sur plusieurs transformations institutionnelles. Cela implique la fin de l’opacité et de la manipulation de l’information. Également, une réelle participation exige des mécanismes d’appui, des outils incluant des règles et procédures, qui font en sorte que la délibération citoyenne est soutenue par des processus d’éducation populaire animés par des structures permanentes et compétentes.
Dans plusieurs villes québécoises, et notamment à Montréal, à Laval et à Québec, des réseaux et des organisations sont à l’oeuvre, parfois en lien avec certains partis politiques municipaux. Les prochaines élections municipales prévues pour l’automne prochain seront sans doute l’occasion de relancer les débats.
Pour lire le texte original, on va sur le site du Devoir.
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