L’auteur invité est Francesco Saraceno, économiste senior au Département Innovation et concurrence, OFCE (France).
Aujourd’hui l’Europe entière, inquiète, s’interroge sur les résultats des élections législatives italiennes. La coalition de centre gauche a obtenu une très courte majorité – à cause d’une loi électorale décriée par tous mais qu’on n’a pas su ou pas voulu modifier – qui ne lui donne la majorité absolue des sièges qu’à la Chambre des Députés. En raison de l’attribution de primes de majorité sur base régionale, au Sénat aucune coalition n’a la majorité. Or en Italie s’applique un système bicaméral parfait, si bien qu’en l’état, il n’y a pas de possibilité de créer un gouvernement issu d’une majorité politique. Ce billet explore un possible scénario pour les prochaines semaines et ses conséquences économiques sur l’Italie et sur l’Europe.
Mise à part la spectaculaire remontée de Silvio Berlusconi, dont l’objectif affiché était dès le début d’empêcher la victoire de la gauche plutôt que de s’assurer d’une majorité, les deux résultats éclatants de ce scrutin sont d’un côté la défaite du Premier ministre sortant, Mario Monti, et de l’autre l’avancée du mouvement Cinque Stelle de l’ancien comédien Beppe Grillo, qui devient aujourd’hui le premier parti à la Chambre des députés.
La défaite de Mario Monti représente un désaveu cinglant des politiques d’austérité que les citoyens italiens perçoivent comme imposées par l’Europe et par l’Allemagne. Lundi, dans le New York Times, Paul Krugman le qualifiait de « proconsul installé par l’Allemagne pour imposer l’austérité budgétaire à une économie déjà en perte de vitesse ». Mario Monti, appelé en novembre 2011 au chevet d’un pays essoufflé par le gouvernement Berlusconi, n’a pas su proposer autre chose que des politiques d’austérité qui, sans surprise, n’ont pas livré la croissance promise. L’approbation dont l’ancien commissaire européen jouissait initialement s’est lentement érodée au fur et à mesure de la perte de mémoire des problèmes entourant la fin de règne de Berlusconi, et surtout au fur et à mesure que l’Italie s’enfonçait dans la crise économique. Mario Monti espérait certainement être déterminant dans la formation d’une majorité au Sénat, et donc pouvoir négocier sa reconduction comme Premier ministre. Mais son pari a échoué et il est aujourd’hui condamné à l’insignifiance numérique.
Au contraire, Beppe Grillo a obtenu un succès éclatant, un raz-de-marée qui le pose en arbitre de la formation d’un nouveau gouvernement. Grâce aussi à une campagne électorale magistrale, jouée sur tous les médias et dans la rue, son mouvement est le premier parti à la Chambre et au Sénat dans plusieurs régions. Il a réussi à capter l’exaspération des Italiens contre « la casta » des politiques, et il a rassemblé presque neuf millions de votants sur une campagne qui a puisé dans le populisme de droite (par exemple ses propos sur l’immigration ou ses propos anti-euro, qu’il a énoncés à quelques reprises, mais qu’on ne retrouve pas dans son programme). Il a aussi mis l’accent sur des thèmes traditionnellement de gauche comme le refus de l’austérité, l’environnement, la réduction du temps de travail, le revenu minimum de citoyenneté, ou encore la régulation des conflits d’intérêt, la durée limitée et le non-cumul des mandats électoraux, ou l’inéligibilité de celles et ceux condamnés par la justice.
Que va-t-il se passer dans les prochaines semaines ? L’Europe entière se le demande et les premières réactions des marchés semblent trahir une certaine nervosité à l’égard des évolutions futures.
Pour des raisons institutionnelles, un nouveau vote à brève échéance doit être écarté. Le Président Giorgio Napolitano, en fin de mandat, ne peut pas dissoudre le Parlement ; il faudra donc attendre le mois de mai et son successeur (qui sera élu par le Parlement issu du vote d’hier) pour accéder à cette option. Par ailleurs, Il n’est pas certain que le Parlement issu d’un nouveau vote soit capable d’exprimer une majorité politique.
La loi électorale majoritaire livre au Parti démocratique la majorité absolue des sièges de la Chambre des Députés, ce qui le rend incontournable dans la formation d’un nouveau gouvernement. Ceci permet d’envisager seulement deux scénarios : tout d’abord, une grande coalition entre gauche et droite (avec ou sans le parti de Mario Monti). Ceci semble pourtant improbable, premièrement à cause du fossé idéologique entre les deux partis, accentué par le retour de Silvio Berlusconi ; et ensuite parce que cela serait perçu par les électeurs comme un déni du résultat du vote, qui a vu les deux grands partis perdre plus de onze millions de voix depuis l’élection de 2008.
La deuxième solution serait un gouvernement de minorité de centre-gauche, qui pourrait aller chercher les voix chez les élus de Beppe Grillo sur un programme limité en ampleur et en durée. Cela vaut donc la peine de regarder quelles seraient, dans cette hypothèse, les possibilités d’une convergence entre le mouvement Cinque Stelle (dont le programme, en italien, peut être téléchargé ici) et la coalition de Pierluigi Bersani. Il y aurait certainement un consensus sur des mesures très populaires pour faire face à la crise politique en cours (abolition des provinces, limite des mandats parlementaires, non cumul, inéligibilité, réductions des coûts de l’appareil politique, etc…), et pour corriger les anomalies les plus éclatantes des deux décennies berlusconiennes (des réformes sur le conflit d’intérêt et sur la corruption, réforme de la justice).
L’aile environnementaliste du centre-gauche pourrait aussi trouver des convergences sur des mesures d’incitation aux économies d’énergie et sur l’investissement dans les énergies renouvelables.
En économie, certaines des mesures phare de Beppe Grillo pourraient aussi être l’objet de convergences avec le centre-gauche, par exemple l’adoption d’un revenu de citoyenneté ou d’un salaire minimum, des thèmes qui, comme l’a prouvé le débat français, ne sont pas forcément populistes ou irréalistes.
La convergence entre le centre-gauche et Beppe Grillo pourrait difficilement se faire dans le cadre actuel de consolidation budgétaire ; il faudrait donc une remise en cause préalable d’une austérité désavouée par les électeurs, il convient de le répéter. Ceci ne se ferait pas sans problèmes pour le Parti démocratique qui, comme le Parti socialiste en France, a fait le choix de la rigueur. Une négociation avec le mouvement Cinque Stelle impliquerait l’abandon des politiques d’austérité sur lesquelles le Parti démocratique a toujours eu une position ambiguë. Mais, à son tour, cette solution aurait des conséquences sur l’Europe dans son ensemble. Les gouvernants européens pourraient être confrontés, dans les prochaines semaines, ou bien à une absence de gouvernement dans la troisième économie de la zone euro, ou à un gouvernement qui vraisemblablement abandonnerait les politiques d’austérité. L’Europe pourrait alors être obligée de repenser ses propres stratégies économiques, et quelques pays pratiquant la rigueur à contre cœur (comme la France ?) pourraient en profiter pour remettre en cause le modèle de la croissance par l’austérité.
Pour lire le texte original, avec les nombreux hyperliens, on va sur le blogue de l’OFCE.
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