L’auteur invité est Thierry Lefèvre, professionnel de recherche au département de chimie de l’Université Laval
La fin du programme québécois de développement des centrales hydroélectriques de 50 MW et moins telle qu’annoncée cette première semaine du mois de février 2013 n’est une bonne nouvelle pour personne. Tandis que les tenants du développement économique sont déçus, les environnementalistes se réjouissent. Mais, en fin de compte, que ces centrales ferment dans de telles conditions ou qu’elles eussent existé, le développement durable, donc la société québécoise, est (ou aurait été) perdante.
Nous devons d’abord réaliser que le développement de barrages n’est plus une option au Québec, tout au moins à court et moyen terme. Bien que produisant une énergie renouvelable, leur impact sur les écosystèmes ne peut être balayé du revers de la main. Le bien-être des populations reposant en effet sur un fonctionnement optimal des écosystèmes, chaque rivière harnachée entame un peu plus le pilier environnemental et social du développement durable.
La réduction énergétique est la seule voie durable
De plus, non seulement Hydro-Québec est en surplus, mais surtout, il est grand temps pour le Québec de réduire sa surconsommation électrique. Les réductions potentielles d’électricité pour une société comme la nôtre sont substantielles et innombrables : miser sur l’efficacité énergétique, chauffer et climatiser raisonnablement, éteindre les lumières inutiles des stationnements la nuit, les vitrines et les enseignes des magasins, les lumières à l’intérieur des édifices, les appareils électroniques et électriques inutilisés, etc. À titre indicatif, la consommation dite « en mode veille » ou en « mode attente » des appareils électroniques peut représenter des économies d’énergie significatives. Au Canada, elles sont estimées entre 5 et 10% de la consommation d’un foyer canadien. Ainsi, alors que la croissance de la demande énergétique croit plus vite que ce que peut nous fournir la planète, nous ne semblons ne pas vouloir en prendre conscience, nous l’avouer ou agir.
La consommation énergétique mondiale a en effet atteint la valeur phénoménale de 533 exajoules (533 EJ ou 533.1018 J) en 2008, soit l’équivalent de 15 térawatts (15 TW ou 15.1012 W, c’est-à-dire 15.1012 joules chaque seconde).2 En 2035, la consommation de l’humanité sera de 770 EJ pour l’année, l’équivalent de 26 TW,2 une augmentation de 40%. Tenter de satisfaire entièrement cette demande énergétique déraisonnable sans volonté de réduction se heurterait, d’une part aux limites de ce que l’ensemble des sources d’énergie pourrait fournir à l’humanité (seule l’énergie solaire pourrait éventuellement répondre quantitativement à une telle demande), d’autre part, et surtout, à l’inexorable dégradation des écosystèmes et réchauffement planétaire, à l’inquiétante pénurie de ressources (combustibles fossiles, uranium), à la gestion pour le moins risquée des déchets nucléaires, etc. Nos sociétés n’ont tout simplement plus le choix que de diminuer leur consommation.
Favoriser les activités favorisant la réduction et diminuer celles encourageant la consommation
Par suite, c’est le développement de toute forme d’énergie qui devrait être suspendu au Québec et dans les pays riches. Nous devons réaliser que la société peut continuer de se développer tout en réduisant sa consommation énergétique si nous portons enfin nos efforts sur la réduction et l’efficacité énergétique. Cette filière économique peut être une source de richesse pour la société si nous y investissons temps et argent. Qu’on le veuille ou non, c’est un secteur d’avenir. Comme le reste en matière de viabilité, plus on commence tôt, plus facile est la transition. Les activités favorisant les économies d’énergie peuvent, aussi bien que celles encourageant la consommation, être une source de développement.
Cette vision basée sur la réduction, la seule viable en l’état actuel des choses, les politiciens auraient dû la prendre en ligne de compte il y a plusieurs années déjà afin d’établir une stratégie énergétique québécoise digne de ce nom. Une telle vision prohibe de facto tout projet de source d’énergie fossile (Old Harry, Gaspésie, Île d’Anticosti, etc.), des non-sens en 2013, notamment les shales gazifières ou pétrolifères. Tous les arguments que l’on fait valoir (redevances et enrichissement du Québec, source d’énergie locale) ne résistent pas à la logique du développement durable. Le même objectif de réduction devrait d’ailleurs motiver une stratégie d’envergure visant à promouvoir le transport durable et diminuer la consommation de carburant, un autre secteur permettant de créer des activités économiques soutenables. Il est par exemple bien établi qu’investir dans le transport en commun est créateur d’emplois et de richesses.
Les régions ont besoin d’être développées
L’arrêt du développement des barrages est donc du point de vue environnemental d’une logique imparable. Cependant, il apparaît comme une catastrophe économique pour les municipalités, ce qui, là encore, attaque le pilier social du développement durable. En réalité, le problème qui nous occupe ici n’est pas celui d’avoir abandonné de programme des mini-centrales, mais de l’avoir lancé alors qu’il était tout à fait injustifié : il va tout simplement à l’encontre des principes du développement durable ! Le problème est similaire pour les combustibles fossiles du Québec. À force de faire miroiter monts et merveilles aux régions et aux Québécois à partir d’une potentielle, mais surtout inappropriée et anachronique, exploitation des ressources fossiles présentes dans le sous-sol, on risque d’engendrer des espoirs déçus.
Pour autant, il faut maintenant réparer les pots cassés. On ne peut laisser ainsi les régions avec des projets sans lendemain. Elles doivent se doter, et il faut les aider, à lancer des projets qui leur permettent d’offrir des emplois, d’attirer des résidents et de se développer. Elles ont besoin d’écoles, de services de santé, de commerces, de services administratifs, d’une vie culturelle animée (musées, théâtres, musique), etc. Pour ce faire, l’État québécois devrait promouvoir une industrie responsable du tourisme, favoriser de petites exploitations d’agriculture biologique, d’agroforesterie, de culture biologique en serre, la sylviculture, l’horticulture, l’artisanat, l’industrie du recyclage, etc.
Pour lire le texte original, on va sur le site de Gaïa Presse
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