Ça fait longtemps que je l’attends cette mesure là. Elle était probablement marquée à l’encre rouge parmi les priorités des ultralibéraux au sein du parti conservateur, comme le député de Beauce, Maxime Bernier, pendant un temps vice-président de l’Institut économique de Montréal (IEDM). Depuis 20 ans, immanquablement, année après année, comme annonciateur de cette période ingrate pendant laquelle nous devons nous soumettre à la tâche de remplir nos toujours plus complexes déclarations d’impôt, des fiscalistes de droite s’acharnent à dénoncer « les généreux crédits d’impôt consentis aux fonds d’investissements de la FTQ et de la CSN » plutôt que l’avantage fiscal des gains en capital. L’IÉDM est un habitué de cette dénonciation publique, relayée par la plupart des médias. Généralement signé de la plume d’un professeur de l’Université Laval, Jean-Marc Suret, l’argumentation développée pour appuyer l’idée d’une élimination du crédit d’impôt pour fonds de travailleurs relève davantage de l’idéologie que de la science. Enfermée dans le monde abstrait de la concurrence pure et parfaite, l’analyse avantages-coûts présentée par l’IÉDM est tellement absurde qu’il est difficile à comprendre que les médias s’en fassent les porte-paroles.
Dans une note d’intervention de l’IREC que j’ai produite l’an passé, je soulignais pourtant que le rôle des fonds de travailleurs a été reconnu par les autorités compétentes qui ne s’enferment pas dans un cadre idéologique étroit. Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce recommandait, dans un rapport daté de 2002, que le gouvernement devait expressément « tenir compte des répercussions négatives que pourrait avoir toute nouvelle mesure législative ou mesure dans le domaine de la réglementation sur les fonds de travailleurs ». C’est en raison du rôle que jouent les fonds de travailleurs au pays, en termes de stabilité de l’offre, de diversité régionale et d’offre de capital dans des créneaux négligés, que le Comité sénatorial prenait ainsi position, conscient que l’accès au capital des entreprises avait nettement reculé au cours des années. Un autre constat du rapport du Comité sénatorial recoupait les analyses qui ont été menées au Québec depuis quarante ans : le problème de l’endettement masque dans la réalité le fait que les difficultés de financement des PME découlent en grande partie d’un manque de capitaux propres. En ce sens, la popularité des fonds de travailleurs québécois dans les milieux d’affaires s’expliquent aisément : dans le contexte particulier d’un renouvellement de l’entrepreneuriat, de l’innovation qui traverse tous les secteurs d’activité et de l’enjeu du développement régional, la problématique de la capitalisation rattrape toutes les entreprises, et c’est sur cet enjeu que les fonds de travailleurs apportent des solutions innovantes.
C’est par idéologie que l’administration Harper met la hache dans cette mesure. Lorsqu’on la compare avec les déductions pour gains en capital, on constate que son coût est faible. Pour la période 2005-2010, la dépense fiscale totale pour fonds de travailleurs s’élevait à 740 millions alors que celle pour les gains en capital se montait à 23 milliards $ (30 fois supérieures), dont 4,6 milliards $ attribuables aux Québécois !!! Notez qu’en 2007, année où la spéculation financière travaillait sans relâche à gangrener l’économie réelle, la dépense pour gain en capital aura coûté dix fois plus cher au fédéral que le crédit d’impôt pour fonds de travailleur. Par ailleurs lorsqu’on compare les deux avantages du point de vue de leurs impacts, c’est l’eau et le feu ! Pour une dépense fiscale moyenne de quelques 106 millions $ pour chacun des deux niveaux de gouvernement, les deux fonds de travailleurs québécois recueillent annuellement, en moyenne au cours des six années étudiées, 710 millions $ de fonds nouveaux. Grâce à ces nouveaux actifs, ainsi qu’aux profits réalisés dans le cadre de leurs activités, les deux fonds de travailleurs ont investi (pendant la même période de six ans) une moyenne annuelle de 697 millions $ dans des projets à impacts économiques québécois. Les impacts de la déduction pour gain en capital est nulle : au mieux ces avantages fiscaux sont dépensés au Canada, au pire ils sont transférés dans les paradis fiscaux.
Parce qu’il n’y a aucun doute possible : les contribuables qui profitent de la déduction pour gains en capital sont les clientèles cibles de la fraude fiscale, alors que le crédit d’impôt pour fonds de travailleurs est d’abord et avant tout utilisé par les travailleurs à faible revenu et de la classe moyenne. On ne trouve que 679 contribuables de la tranche des 250 000 $ et plus qui utilisent le crédit pour fonds de travailleurs (avec une dépense fiscale moyenne de moins de 1 000 $ chacun), contre autour de 2 000 de la même tranche de revenu pour la déduction pour gains en capital, mais cette fois avec une dépense fiscale moyenne (pour chacun d’eux) d’environ 205 000 $. Pour comparaison, les 114 855 contribuables à faible revenu (tranche des revenus de moins de 50 000 $) profitent en moyenne d’une dépense fiscale de 290 $ alors que celle des 132 015 contribuables de la classe moyenne (50 000 – 100 000 $) s’élève à 450 $. Un calcul simple nous indique que, en ce qui concerne la déduction pour gains en capital, les 3 dernières catégories de revenu des contribuables les plus riches (avec des revenus de plus de 100 000 $), soit 1/8 de 1% des contribuables, profitent de 676 millions $ d’avantages fiscaux, équivalent à 3% de l’impôt des particuliers (21 milliards $). En comparaison, le crédit pour fonds de travailleurs profite à 6,5% des contribuables, issus des catégories de faible revenu ou de la classe moyenne, pour des avantages fiscaux équivalent à moins de ½ de 1% de l’impôt des particuliers.
Alors que les conservateurs ont accordé des milliards $ en réduction d’impôts aux entreprises qui n’investissent pas plus pour autant, alors que des milliards $ sont accordés aux plus riches qui profitent des CÉLI, alors que les banques canadiennes aident l’évasion fiscale grâce à leurs succursales dans les paradis fiscaux, ce gouvernement s’attaque à des institutions financières québécoises qui sont indispensables à notre développement, et cela pour garantir leurs votes des clientèles canadiennes de droite et anti-québécoises. Ces gens-là sont vraiment des vauriens!
Bravo
100% d’accord
Comment une analyse aussi convaincante n’atteint
pas la classe politique conservatrice d’Ottawa qui donne
des munitions au souverainistes québécois.
Bruno Jean
Excellente démonstration du choix idéologique anti-travailleurs du gouvernement conservateur. Je partage entièrement votre point de vue. Le bon sens et la logique ce n’est pas conservateur !