L’auteur invité est Emmanuel Druon, entrepreneur (la firme Pocheco). Ce texte est le préambule de son plus récent ouvrage « Ecolonomies : Entreprendre et produire autrement », publié par Pearson, Collection Village Mondial, ISBN 978 2 7440 6518 7. L’auteur sera de passage à Montréal jeudi le 4 avril à la maison du développement durable.
On oppose souvent écologie et réalisme, dans le monde occidental qui voue à l’économie de marché un quasi-culte. Est-il réaliste d’être écologiste lorsque l’on se place du point de vue de l’entreprise et l’entrepreneur ?
De mon point de vue, ce débat est dépassé. Je comprends pourtant ce discours tenu par nombre d’entrepreneurs. L’économique prime sur l’ensemble de leurs préoccupations, souvent à juste titre : les clients veulent des prix. C’est-à-dire des prix bas, plus bas, toujours plus bas.
Légitimement, cette préoccupation est centrale puisque personne ne peut se permettre de perdre un client.
D’ailleurs, la question de la croissance est toujours centrale. Sans beaucoup de discussion.
Questionner ce sujet qu’est notre rapport à l’économie, ou notre rapport à la croissance, revient à demander si le modèle dominant de l’économie de marché peut être remis en question ou pas. Je pense qu’il doit l’être. Cela fait-il de moi un révolutionnaire ?
J’appartiens à cette génération née vingt ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui n’a connu, depuis son entrée sur le marché du travail, que la crise. Je peux donc émettre quelques doutes et poser quelques questions à propos de la validité du système que l’on nous propose.
La présentation apocalyptique de la situation environnementale est une source de découragement qui, selon notre sensibilité, nous porte parfois collectivement jusqu’à la panique froide. Nous nous sentons responsables et coupables, au moins partiellement, en tant que citoyens d’un pays occidental riche. L’affaire est beaucoup trop sérieuse et ne supporte pas la désinformation, le « lobbying », la paresse intellectuelle ou le manque d’intégrité. Nous devons, nous citoyens, salariés ou chômeurs, entrepreneurs, fonctionnaires, artisans, agriculteurs, nous réapproprier les outils de la connaissance.
C’est d’ailleurs l’un des objectifs que j’ai assigné à cet ouvrage : démonter certaines idées reçues. Nous ne pouvons pas nous contenter d’informations déformées et polémiques, souvent nourries d’ignorance ou de désinformation (intentionnelle ou pas).
Idéalement, c’est-à-dire au plan de notre idéal, nous ne pouvons pas accepter cette situation. Nous rêvons d’autre chose, pas uniquement pour les générations futures mais pour nous-mêmes. En réaction, nous sommes parfois animés de désirs irrationnels, par exemple celui d’arrêter la fonte des glaciers, là, comme par enchantement ! On ressent confusément que face à la gravité de la situation, il nous faudrait une force magique pour inverser le cours des choses. Une sorte de toute-puissance dont nous sommes dénués. Rationnellement, nous le savons.
Nous sentons aussi qu’il n’est plus temps de s’en remettre aux seules incantations. Le trop répandu « Y a qu’à, faut qu’on », n’est pas une solution. Enfin, ce ne sont pas « les autres » auxquels nous pourrions confortablement nous référer pour régler l’affaire. Au fait, qui ? Quels autres ? Les « politiques » ? Notre voisin de palier ?
Alors comment faire pour agir utilement ? Dans le meilleur des cas, on donne une contribution financière aux associations de terrain. Puis plus rien. Pas de continuité, une catastrophe en chasse une autre, sans répit. Un effet d’usure s’installe qui nous conduit à un certain découragement.
Notre responsabilité individuelle doit être engagée dans chacun de nos actes. À chaque instant. Je ne vois d’ailleurs pas d’autre moyen que de micro-agir. Nous ne possédons pas les clés d’une action à grande échelle, mais nous disposons de notre libre arbitre. Et c’est, tous les jours, tous nos actes qui comptent. En refermant ce livre, vous tenterez l’expérience.
Chez Pocheco, PMI du nord de la France, nous avons décidé d’agir. À notre échelle. Nous sommes convenus de micro-agir, c’est-à-dire d’intervenir de manière suivie, comme on gère une opération en entreprise. L’entreprise n’est pas un lieu de militantisme mais, pour celles et ceux de la population active qui bénéficient d’un emploi, elle est un lieu où réfléchir à nos actes. Et les amender, tous les jours, en fonction de l’information que l’on trouve, prend tout son sens. Nous considérons que nous ne perdons pas notre citoyenneté en franchissant les portes de l’entreprise.
Chez Pocheco, chaque investissement doit répondre à trois critères que nous avons définis et qui sont devenus sine qua non. L’investissement doit produire une réduction mesurable de notre impact sur l’environnement, une réduction mesurable de la pénibilité et/ou de la dangerosité des postes et il doit permettre de gagner de la productivité de façon mesurable.
Chaque investissement revient ainsi à réaliser des « écolonomies ».
C’est une idée très installée dans nos esprits que produire ou construire en respectant l’environnement coûte en moyenne 20 % plus cher que selon les méthodes dites traditionnelles. Nous démontrons que cette notion est dépassée. Il est moins cher de produire propre !
Cet essai établit la validité du concept « d’écolonomie » appliqué à l’entreprise classée dans la catégorie PMI. J’y présente une série de livres et de documents qui compléteront votre information.
Une autre partie du problème repose sur le choix des techniques. Tout ce qui est présenté ici et concerne notre site de production est-il transposable dans votre entreprise ou chez un particulier ? À l’échelle près, la réponse est positive. Nous nous inspirons même souvent de ce que certains d’entre nous ont expérimenté chez eux, pour le reproduire à l’échelle du site industriel.
Et ne croyez pas que je m’exonère de ce que je décris ! Je dois encore évoluer, changer beaucoup de mes mauvaises habitudes. Mais si nous sommes plus nombreux jour après jour, sans faire grand bruit d’ailleurs, à corriger nos actes en fonction des informations que nous partageons, alors, il n’est peut-être pas trop tard pour vivre mieux. Car il n’y a pas de bonne raison de ne pas changer.
Si nous réussissions à produire en réduisant à tel point notre impact sur l’environnement que notre activité industrielle, en plus de servir un produit utile à des clients satisfaits, participait à son échelle à l’amélioration de la situation climatique, alors nous pourrions envisager nos vies de travail avec moins d’anxiété et, faut-il le dire, avec moins de culpabilité. Plus sereins.
Chères Lectrices, Chers Lecteurs, attachez vos ceintures ! Nous entrons dans une zone de turbulence et cela va secouer ! Vous accepterez, ou pas, le ton dont je vais user parfois… Mon objectif est clairement de faire tomber quelques idées reçues, et mon but de m’en prendre directement, sans détour, sans finesse, aux faux obstacles. Ceux que l’on nous oppose. Ceux que nous opposons parfois nous-mêmes, par manque de temps, de courage ou d’information.
Mon propos est engagé et se structure sur un vocabulaire quasi guerrier. Je l’assume car je crois, en effet, que nous sommes entrés en résistance. Le temps de résister est venu à nouveau.
Pour lire le texte original, on va sur le site de l’auteur.
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