L’auteur invité est Cédric Leterme, pour Metis, correspondances européennes du travail
Alors que l’ampleur des dettes publiques sert de justification à toute une série de régressions sociales en Europe, de plus en plus de mouvements sociaux cherchent à se réapproprier ce débat en prenant exemple sur des expériences menées en Amérique Latine ou en Afrique. Leur point de ralliement : la création de « comités d’audit citoyen » chargés de faire la lumière sur l’origine de ce surendettement et au besoin, d’en appeler à la répudiation pure et simple de sa portion « illégitime ».
Du 15 au 18 février dernier, Thessalonique a accueilli la troisième rencontre du Réseau international pour un audit citoyen de la dette (ICAN). Cette plate-forme regroupe différentes initiatives nationales d’Europe et d’Afrique du Nord, dont le point commun est de chercher à se réapproprier le débat sur la dette par la création de « comités d’audit citoyen ». « L’idée est avant tout de repolitiser un enjeu qui nous a été confisqué par les « experts » en tout genre », confie ainsi Émilie du Cadtm (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-monde), une ONG active depuis longtemps sur la question de la dette des pays du Sud et qui s’est récemment recentrée sur l’Europe à la faveur de la crise de l’euro.
Son fondateur, Éric Toussaint, a notamment participé à l’audit gouvernemental réalisé en Équateur en 2006 à la demande du nouveau président Rafael Correa, qui a permis de déclarer illégitime près de 80 % de la dette du pays. La réussite de cette expérience, tout comme les démarches similaires réalisées cette fois sur une base citoyenne au Brésil ou au Mali, a inspiré bon nombre de mouvements sociaux en Europe, fatigués des discours fatalistes tenus sur la dette et l’austérité.
« On ne doit rien, on ne paye rien ! »
Sans grande surprise, les premiers à s’être saisis de la question sont les Grecs, en mars 2011. Le mouvement des indignés de la place Syntagma a servi de puissant catalyseur et il existe désormais deux groupes qui traitent spécifiquement de la question en Grèce, l’ELE (Campagne pour un audit de la dette grecque), basé à Athènes, et le NDNE (No Debt, No Euro) à Thessalonique.
Ils ont été rapidement rejoints par d’autres pays du Sud de l’Europe en proie à un surendettement insoutenable comme le Portugal, l’Irlande, l’Italie ou encore l’Espagne. Mais aussi par des pays en apparence moins affectés par la problématique comme l’Angleterre, la France et même l’Allemagne. L’angle d’attaque est à chaque fois différent. Ici on interroge le poids du sauvetage bancaire sur les finances publiques (Anglo en Irlande ou Bankia en Espagne). Là on dénonce les prêts toxiques accordés aux collectivités locales (comme en France et en Belgique avec l’affaire Dexia). Les mouvements féministes sont également très présents dans la campagne, certains réclamant la réalisation d’audits féministes de la dette.
Un équilibre à trouver
Les moyens d’action peuvent également varier d’un pays à l’autre. « L’initiative recouvre essentiellement deux volets complémentaires, nous explique Émilie. Un volet de sensibilisation et de vulgarisation des enjeux liés à la dette et un volet plus technique, qui vise à décortiquer les mécanismes du surendettement pour en repérer les aspects illégitimes. Selon les pays, chaque volet peut prendre plus ou moins d’importance« . Selon elle, il n’est pas toujours facile de trouver le juste équilibre entre ces deux dimensions. « L’IAC (Iniciativa de Auditoria Cidadã à Divida Pública, Portugal) vient par exemple d’achever la rédaction d’un rapport très fouillé. L’enjeu pour eux va être maintenant de rendre ces données accessibles et compréhensibles par un public large. Dans d’autres pays, le travail d’éducation populaire est très important, mais il faut que le travail d’analyse suive pour que la dynamique ne s’essoufle pas« .
Une autre difficulté tient à la grande variété d’acteurs (mouvements sociaux, partis politiques, syndicats) représentés au sein des différentes coalitions nationales, dont les objectifs à court ou à long terme ne sont pas toujours les mêmes. Pour Émilie, « cette diversité est à la fois une force et une faiblesse. La capacité d’aller au-delà des divergences va ensuite dépendre des conditions propres à chaque pays« .
Une collaboration d’abord axée sur l’échange de pratiques
Dans ce contexte, quel est l’objectif derrière la création du Réseau international pour un audit citoyen de la dette (ICAN) ? « Pour l’instant, il s’agit avant tout d’échanger sur nos pratiques, nos problèmes communs, nos réussites, etc. La plupart des initiatives sont récentes et il faut leur laisser le temps de mûrir. On ne vise pas un travail de lobbying, mais bien une réappropriation citoyenne de la question de la dette. Si à terme ça peut mener à une coordination pan-européenne qui prenne la forme d’actions concrètes, pourquoi pas ! Mais ce n’est pas le but immédiat ».
Pour lire le texte original, on va sur le site de Metis, correspondances européennes du travail.
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