L’auteur invité est Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement de l’Inra (France). Propos recueillis par Sophie Fabrégat, de Actu-Environnement.
Au lendemain du Salon de l’agriculture, le directeur scientifique Environnement de l’Inra nous donne sa vision de l’agro-écologie et présente les travaux que mène l’institut « au carrefour de l’agronomie et de l’écologie ».
Actu-Environnement : Le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a présenté fin 2012 son projet agro-écologique pour la France. L’Inra a elle-même inscrit en 2010 l’agro-écologie comme priorité de recherche. Que recouvre ce terme ?
Jean-François Soussana : L’agro-écologie recouvre plusieurs sens. Ce terme est apparu dans les années trente, pour définir une nouvelle discipline scientifique, au carrefour entre l’agronomie et l’écologie. Quelques décennies plus tard, dans les années soixante, en réaction à la révolution verte, à l’intensification, à la spécialisation et à l’industrialisation de l’agriculture, l’agro-écologie a été redéfinie, notamment en Amérique latine, comme un mouvement social, une révolution nécessaire des pratiques.
Aujourd’hui, l’agro-écologie est un domaine de recherche important, en pleine croissance. Ce terme est peu utilisé dans les travaux scientifiques mais nous avons décompté au moins 33.000 publications qui abordent cette science. Depuis 2010, nous l’avons placé comme priorité de recherche dans notre document d’orientation. Nous avions beaucoup d’équipes qui travaillaient de manière dispersée sur ces problématiques, nous avions besoin d’un programme fédérateur. Il s’agit de renforcer la convergence entre sciences agronomiques et sciences de l’écologie et de la biodiversité.
A-E : Il s’agit donc de réintégrer davantage d’agronomie dans l’agriculture actuelle ?
J-F.S. : Ce n’est pas un retour vers le passé. L’objectif est de mieux comprendre les systèmes biologiques afin d’améliorer les pratiques mais aussi de mettre à la portée des agriculteurs des technologies modernes. Ainsi, à court terme, nos travaux ont permis la mise à disposition de technologies pour diagnostiquer les maladies des plantes mais aussi pour réguler l’irrigation via des images satellites (Sentinelle 2). A moyen terme, les apports peuvent être génétiques. Nous avons déjà homologué des blés « bas intrants », des blés pour l’agriculture biologique… Enfin, à plus long terme, il s’agit d’imaginer une agriculture à l’échelle d’un paysage, qui prend en compte les services écosystémiques, qui les valorise et qui transforme peu à peu le rôle de l’agriculteur.
Les pratiques agro-écologiques existent en France mais sont limitées. Pour qu’elles se diffusent, elles doivent bénéficier de travaux scientifiques. Nous sommes dans une période intéressante, où se pose la question de la transition des systèmes. Il s’agit de réfléchir à leur reconception, en limitant les intrants, en utilisant les régulations biologiques, à l’échelle de l’exploitation mais aussi des paysages. Quelles sont les marges de manœuvre pour faire évoluer les pratiques vers ces nouveaux modèles ? Nous expérimentons, en partenariat avec le monde agricole, ces évolutions dans une trentaine d’unités, que ce soit pour les grandes cultures, les vignes, l’élevage ou encore la maraichage. A Dijon, par exemple, au domaine d’Eppoisses, nous pratiquons depuis une dizaine d’années des essais de systèmes de cultures utilisant très peu de pesticides, avec rotations de cultures, bordures aménagées…
A-E : Le changement de pratiques nécessite un travail de longue haleine ?
J-F.S. : Nous avons récemment remis aux ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie une étude sur la diversification des cultures. La monoculture et l’hyperspécialisation exacerbent en effet les problèmes de ravageurs, les maladies… Il faut réintroduire les rotations, la diversité des espèces, y compris dans une même parcelle ou dans un même élevage… Cependant, cette diversification des cultures doit être accompagnée. Il faut construire les filières, ouvrir les marchés, assurer des débouchés rémunérateurs aux producteurs. La culture du pois a par exemple fortement régressé en France, alors que nous importons beaucoup de soja. Il est également utile pour fixer l’azote. Mais il existe peu d’infrastructures de stockage, situation liée à un manque de coordination des acteurs de la filière. A l’inverse, pour le lin, tout une filière a été créée, avec notamment un label pour la nutrition Bleu-Blanc-Cœur. Mais le développement de l’utilisation du lin dépasse aujourd’hui les capacités de production française.
On ne peut pas imaginer que les agriculteurs changent leurs pratiques de manière indépendante, sans une construction des filières, une gestion collective à l’échelle des territoires, des paysages. L’agro-écologie met en œuvre des relations entre systèmes agricoles, des pratiques et des acteurs, c’est tout ce système qui doit évoluer. C’est la coordination des aspects techniques, économiques, réglementaires qui pourra permettre une évolution importante.
A-E : Quelles priorités de recherche avez-vous fixé dans ces perspectives ?
J-F.S. : La première priorité de recherche porte sur les interactions biotiques, notamment sur l’étude du cortège d’espèces qui évoluent autour d’une culture : agresseurs, parasites mais aussi auxiliaires, pollinisateurs… Il s’agit de comprendre les interactions négatives afin de pouvoir les réguler avec un minimum de pesticides et d’optimiser les synergies positives.
Nous travaillons également sur l’agro-écologie des paysages. Il y a en effet beaucoup de leviers d’actions au-delà de la parcelle, dans les bordures des champs ou dans les infrastructures écologiques. Elles peuvent être utilisées pour épurer l’eau, réduire les émissions de gaz à effet de serre, lutter contre les parasites… En Bretagne par exemple, l’Inra travaille sur le rôle d’un paysage culturel, le bocage, qui marque les fonctions écologiques comme les pratiques agricoles.
Cela rejoint notre troisième axe de recherche qui porte sur l’optimisation des services écosystémiques au-delà de leur apport pour la production agricole. Il s’agit de comprendre, pour pouvoir les valoriser ensuite, les services rendus par les écosystèmes qui sont gérés par les agriculteurs.
Pour lire le texte original, avec les hyperliens, on va sur le site Actu-Environnement.
Discussion
Pas de commentaire pour “Les agriculteurs ne peuvent pas changer leurs pratiques de manière indépendante”