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Le samedi 23 avril 2022

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Une jeunesse coupée en deux

L’auteur invité est Olivier Galland, directeur de recherche au CNRS (France). Entrevue réalisée par Laurent Jeanneau, Alternatives Economiques.

La jeunesse n’est en aucun cas un tout homogène. La plus forte fracture se situe entre ceux qui ont un diplôme et ceux qui n’en ont pas.

Peut-on parler de la jeunesse comme d’un tout homogène ?

Non, et de moins en moins. Quand on compare l’évolution du taux de chômage des jeunes par niveau de diplôme (voir graphique), deux groupes se dessinent : celui des jeunes non diplômés, c’est-à-dire qui ont au mieux le brevet des collèges, et tous les autres. C’est à partir des années 1980 que l’on observe cette divergence croissante dans l’évolution des taux de chômage selon le diplôme.

Bien sûr, il y a des différences entre les jeunes diplômés, en fonction du niveau de leur diplôme ou de la filière suivie. Mais la plus forte dichotomie se situe bien entre les diplômés et les non-diplômés, ces derniers étant soumis à des handicaps sociaux beaucoup plus lourds que les autres. Il y a donc un clivage assez fort entre deux jeunesses.

D’où vient cette fracture ?

D’une part, en France plus qu’ailleurs, le diplôme est une condition nécessaire – mais pas forcément suffisante – d’entrée et de stabilisation dans la vie professionnelle. Tout le système est organisé autour de la validation des compétences par le diplôme. C’est donc un facteur discriminant pour les jeunes qui ne sont pas diplômés. Et malheureusement, le taux de non-diplômés reste très élevé dans notre pays, avec près d’un jeune sur cinq qui sort du système éducatif initial sans diplôme.

D’autre part, il y a trente ou quarante ans, ces non-diplômés parvenaient malgré tout à s’insérer dans la vie active plus facilement qu’aujourd’hui. C’est lié à l’évolution de la structure des emplois, qui leur a été défavorable. Un certain nombre d’emplois non ou peu qualifiés ont été détruits dans la phase de restructuration qu’a connue l’économie, notamment dans l’industrie. La proportion d’emplois ouvriers a fortement décru depuis une vingtaine d’années, et notamment les emplois d’ouvriers non ou peu qualifiés.

Certes, les emplois de services peu qualifiés se sont développés. Mais ils requièrent tout de même un certain nombre de compétences de base. C’est le cas des emplois d’aide à la personne : quand on s’occupe d’une personne âgée, il faut pouvoir lire des prescriptions sur une ordonnance et les interpréter convenablement ; il faut avoir un certain nombre de compétences relationnelles, etc. Malheureusement, l’école peine à donner ces compétences de base, tant académiques que sociales. Les enquêtes Pisa montrent que les performances des élèves les plus faibles se sont dégradées ces dernières années pour ce qui concerne les compétences académiques de base (savoir lire et écrire correctement, savoir compter). Par ailleurs, l’école se révèle relativement incapable de transmettre aux élèves les compétences sociales non académiques (savoir se comporter avec les autres, entrer en interaction, savoir être consciencieux dans son travail, etc.). C’est un enjeu fondamental de la réforme du système éducatif et de la redéfinition du métier d’enseignant.

Quelles conséquences ont ces inégalités sur le devenir des jeunes ?

Tous les jeunes sont aujourd’hui confrontés à la précarité lorsqu’ils commencent leur vie active. Rares sont ceux qui décrochent un CDI dès qu’ils arrivent sur le marché du travail. Mais ce début de vie professionnelle instable se poursuit de manière très différente selon que les jeunes ont un diplôme ou n’en ont pas. Lorsqu’ils ont un diplôme, ces emplois précaires ne sont qu’un marchepied vers la stabilité de l’emploi. Pour les jeunes sans diplôme, c’est beaucoup plus difficile. Certains parviennent à se stabiliser dans l’emploi, avec un parcours beaucoup plus heurté, plus long, mais d’autres n’y parviennent pas et sont alors rejetés vers l’exclusion sociale. Surtout si cette précarité économique se conjugue avec un isolement social, s’ils sont en situation de rupture familiale.

Cette fracture qui traverse la jeunesse a aussi des conséquences sur les attitudes sociales et politiques. Un clivage en termes de valeurs apparaît : les diplômés sont relativement bien intégrés et ont tendance à avoir des valeurs plus traditionnelles que la jeunesse des années 1960. Les non-diplômés, en revanche, restent à la marge. Ils sont dépolitisés, participent très peu à la vie de la cité et une partie d’entre eux a tendance à se radicaliser, à remettre en cause la démocratie, comme en témoignent les émeutes de 2005 ou encore la montée du vote Front national.

Car c’est aussi une jeunesse qui n’est représentée par personne. Si l’Unef défend les intérêts des étudiants, ceux de la jeunesse non diplômée ne sont pas portés par grand monde, à part quelques structures associatives dont le poids politique est faible. C’est en effet une jeunesse qui ne vote pas ou peu et qui, donc, n’intéresse pas les hommes politiques.

Comment desserrer l’emprise du diplôme ?

D’une part, il faut reconnaître l’importance des compétences sociales à l’école. D’autre part, il y a un effort à faire au niveau des entreprises pour mettre en place des méthodes d’évaluation des compétences autres que le diplôme. Pôle emploi a fait des expérimentations qui vont dans ce sens, mais il faut que les entreprises jouent le jeu. Ce serait une révolution culturelle, en rupture avec cette culture française très hiérarchique, dans laquelle la formation valide un rang social plus que des compétences en tant que telles. Le système de formation initiale est en effet un grand instrument de tri social, de classement. Avec, comme conséquence dommageable, cette peur, prégnante chez les jeunes, d’être éliminés. C’est mauvais pour l’estime et la confiance en soi. L’objectif du système scolaire devrait être la réussite de tous, à différents niveaux. Il faut adapter la pédagogie à la diversité des talents et réfléchir à la façon dont on transmet les savoirs.

Pour lire le texte original, on va sur le site du magazine Alternatives Economiques.

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