L’auteur invité est Serge Guérin, sociologue, docteur en sciences de la communication. Professeur à l’ESG Management School, France et collaborateur à Alternatives Economiques.
Le Vice-Premier ministre du nouveau gouvernement japonais, Taro Aso a proposé à ses concitoyens en fin de vie de ne pas encombrer les services de gériatrie s’ils ne sont plus capables de s’alimenter seuls. Celui qui est aussi ministre des Finances, a affirmé qu’il « ne pourrais pas (se) réveiller le matin en sachant que c’est l’État qui paie tout ça pour lui ». Pour lui la seule solution serait de “laisser ces patients se dépêcher de mourir”…
Dans un pays qui a vu passer la proportion de plus de 65 ans de moins de 5% à plus de 30 % en seulement un demi-siècle, l’appel à un hara-kiri générationnel de Taro Aso ressemble à la première étape pour préparer les esprits à une sorte d’euthanasie d’État. Rappelons aussi que ce pays se distingue par la faiblesse de son taux de fécondité par femme (à Tokyo il est même inférieur à 1). D’un côté il faudrait supprimer les vieux, de l’autre, il n’y presque plus d’enfants. A ce rythme, et comme le rapport à l’immigration est assez tendue, le Japon finira par être une ile déserte….
Au-delà de l’aspect immonde de sa déclaration, le vice-premier ministre japonais dit tout haut ce que trop de monde pense tout bas. Il y a toujours eu cette idée selon laquelle le faible coûte de l’argent. Ces idées simplistes qui banalisent le mal en expliquant par exemple que ce sont les dernières années de vie qui coûtent le plus cher. Sous-entendu : si on supprimait les une ou deux dernières années de vie, le déficit de la Sécu ne serait pas aussi important… Poussons plus loin encore ce raisonnement grotesque : il faudrait aussi enlever la 1ère année de vie car c’est celle qui coûte le plus cher. Donc si on supprime la 1ère année de vie et les deux dernières, on atteint l’équilibre de la sécu. Et il n’y aura plus personne pour profiter d’une sécurité sociale bénéficiaire !
Les vieux vivent le développement durable ! Le vieillissement des personnes exprime bien la réalité d’une société durable car justement ils vivent longtemps. Mais notre société de consommation prise le renouvellement, le jetable, le court-terme… Bref, de ce point de vue, l’allongement de la vie est l’inverse de l’idéologie de la société d’obsolescence et de gâchis d’aujourd’hui. Pour le système, ce serait beaucoup plus profitable si les gens mouraient plus rapidement parce qu’on pourrait les remplacer plus vite, comme des produits de consommation. A chaque fois cette nouvelle génération repartirait pour un cycle de consommation et d’achat de nouveaux produits. Alors que là, les anciens ont tendance à garder une grande partie de leurs biens sans songer à les renouveler… Les vieux ne sont pas des bons citoyens-consommateurs. Dans le monde de la publicité et de la consommation, les gens qui vivent longtemps ne sont pas mis en valeur. Ce n’est pas pour rien si la publicité a inventé en 1953 le concept de «ménagère de moins de 50 ans». Ce public constituait une cible intéressante car elle était réputer consommer beaucoup pour entretenir l’agrandissement de la famille et du pouvoir d’achat. Il y a donc une contradiction frappante entre la valorisation du développement durable symbolisé par l’allongement de la vie humaine et le discours consumériste et jeuniste qui reste l’alpha et omega de ceux qui ne peuvent penser autrement que par le biais du mot croissance.
Ce ne sont d’ailleurs pas tant les jeunes qui sont aimés que la jeunesse. C’est un peu différent. La jeunesse est synonyme de modernité, et modernité veut dire acheter des nouveaux produits. Ce sont les produits qui durent qui sont mal vus sous le règne de l’obsolescence programmée. L’être humain, en se mettant à vivre de plus en plus longtemps, s’est en quelque sorte élevé contre l’obsolescence programmée.
Le vieillissement est un processus assez complexe. Vieillir, cela ne veut pas dire être vieux, et les personnes âgées ne sont pas des personnes malades. Ce sont des êtres humains qui continuent à avoir de multiples activités, qu’elles soient formelles ou informelles, qui produisent de l’utilité sociale. On parle toujours des retraités et des inactifs, mais il y a beaucoup d’inactifs qui sont bien plus actifs que certains actifs.
Il y a tous ceux qui travaillent dans les associations, et sans les retraités le secteur associatif serait en mauvaise posture. Il y a les maires de nos communes – en particulier les petites communes – qui pour la plupart sont des retraités. Il y a aussi 4 millions d’aidants qui accompagnent au quotidien d’autres personnes, soit fragilisées par l’âge, soit qui souffrent de maladies chroniques. Et c’est sans compter l’aide informelle, le vieux monsieur du 3ème qui donne un coup de main en maths au gamin du 5ème, la vieille voisine a qui n’a pas son pareil pour rédiger les lettres administratives pour tout le quartier… Tout cela n’apparaît dans aucune statistique mais cela compte en termes de vivre ensemble, d’amélioration du quotidien, de liens sociaux bienveillants.
Il y a une réalité sociale nouvelle qui fait qu’aujourd’hui une grande part de l’activité, quelle soit de production de biens ou de service, ne passe pas par le travail au sens traditionnel, mais se traduit sous d’autres formes : auto-fabrication, bricolage, troc, prêts, recyclage, co-utilisation de biens ou services…. Cette nouvelle économie de l’échange et de la non croissance, ce sont souvent les seniors et les retraités qui en sont les premiers vecteurs. Ils y contribuent largement parce qu’ils ont du temps libéré, de l’expérience et un pouvoir d’achat souvent de plus en plus restreint. Ils utilisent ce temps pour faire eux-mêmes, pour chiner, pour aller vers les autres. Ces vieux inventent une société durable plus fondée sur la coopération, le don et l’échange que sur la compétition, l’enrichissement et la consommation effrénée.
Pour lire le texte original, on va sur le blogue de l’auteur.
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