Un projet de loi, le projet de loi 27 sur l’économie sociale a été déposé par le gouvernement du Québec en début d’année. Depuis lors toutes les organisations de ce «tiers secteur» c’est-à-dire les coopératives, les mutuelles et les associations ayant des activités marchandes, s’affairent à produire leur mémoire dans l’éventualité d’une commission parlementaire sur la question. Le gouvernement du Québec n’est pas le seul à souscrire à une telle démarche. L’Espagne et le Portugal l’ont précédé de peu et la France s’apprête à faire de même. Peu de surprises de ce côté-là puisque la notion d’«économie sociale», conçue comme un entrepreneuriat collectif à multiples familles (coopérative, associative et mutualiste), est une notion qui a émergé il y a longtemps dans les pays latins du sud de l’Europe puis relancée au début des années 80. L’économie sociale en France, ce sont les coopératives, les mutuelles et les grandes associations à vocation économique (grandes, moyennes et petites). L’«économie solidaire» à la française, indépendamment de son discours un peu «inflationiste», correspond davantage au monde associatif de nos centres de la petite enfance, de nos OBNL en habitation et de nos petites entreprises de services à domicile par exemple. L’intérêt de ce projet de loi du gouvernement du Québec est d’afficher des couleurs qui vont dans le sens européen du terme : additionner les différentes dynamiques sans en négliger aucune.
Un projet de loi sur l’économie sociale qui a du coffre
D’entrée de jeu le projet de loi mis de l’avant par le gouvernement a plu à la très grande majorité des organisations concernées. Pourquoi ? D’abord parce que le projet de loi plante le clou cent fois ressassé par les tenants de l’économie sociale : reconnaître la « biodiversité » de l’économie dans son ensemble, une économie qu’on dit plurielle plutôt que monocorde. L’économie capitaliste de marché n’occupe pas tout le champ de la «production de la richesse». Ensuite le projet de loi reconnaît la pluralité des organisations de l’économie sociale à savoir « les coopératives, les mutuelles et les organismes à but lucratif ». Le projet de loi fait davantage : il reconnaît la pluralité et le pluralisme des organisations de représentation soit en premier lieu les deux regroupements d’économie sociale que sont le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) et le Chantier de l’économie sociale. Enfin, il considère les entreprises coopératives, associatives et mutualistes comme étant plus disposées de par leurs valeurs, structures et modes de fonctionnement à développer « une forme d’économie solidaire et durable ». Le tout forme donc une position sur l’économie qui épouse les caractéristiques d’une position progressiste susceptible de rallier tous les mouvements.
Les différentes familles de l’économie sociale veulent faire bouger les lignes
Du côté des organisations, les choses se précisent peu à peu. Un premier fil conducteur a pris forme : le projet de loi sur l’économie sociale doit être plus explicitement une loi sur l’entrepreneuriat coopératif, associatif et mutualiste. Il doit également prendre en compte la dimension internationale, notamment la dimension Nord-Sud.
En effet plusieurs organisations proposent de modifier l’intitulé de la loi de la façon suivante : « Loi sur l’économie sociale soutenant l’entrepreneuriat coopératif, associatif et mutualiste ». C’est le cas, semble-t-il, de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, caisse issue de la mouvance syndicale (CSN) qui est très active à cet égard. De ce côté-là des choses, on veut marteler que, par delà les statuts, c’est l’entrepreneuriat collectif qui fonde ces statuts. Il s’agit donc d’une économie qui n’est ni capitaliste, ni publique. Elle est autre chose notamment parce qu’elle est porteuse dans sa structure même comme dans ses convictions de valeurs humanistes fondées sur la coopération plutôt que la concurrence, sur une lucrativité limitée plutôt que sur des objectifs de profit maximum, sur le service à la communauté plutôt que sur l’appât du gain. On s’éloigne donc de la pensée économique dominante en la matière. C’est en cela que projet du gouvernement en fait un projet progressiste.
Le mouvement coopératif dans son ensemble (le CQCM, sa quinzaine de fédérations sectorielles et sa dizaine de coopératives de développement régional, les CDR), est entré de plein pied dans le débat. Il y a dit-on «une obligation de clarté et de transparence». Car, avec l’institutionnalisation du Chantier de l’économie sociale en 1999 dans les suites du Sommet de 1996 sur l’économie et l’emploi du gouvernement du Québec, dans le langage courant, la notion d’«économie sociale» s’est connotée, c’est-à-dire a été est associée à un seul regroupement qui en porte le nom. Or pour les différentes composantes du mouvement coopératif, cette association entre la loi-cadre et l’appellation à une seule organisation crée une confusion. Il n’y a pas un mais deux regroupements d’économie sociale. Ce que reconnaît le projet de loi. La demande qui prend forme est à l’effet que le projet soit plus explicite encore qu’il ne le fait d’autant plus que le mouvement coopératif occupe une très large part de l’espace occupé par la dite «économie sociale». Il se considère donc de la partie comme interlocuteur direct du gouvernement pour contribuer à l’élaboration de cette loi et à sa mise en oeuvre éventuelle. Le projet de loi va dans ce sens mais, ce qui est recherché, c’est un peu plus de précision. À ce chapitre certaines CDR, notamment celle de l’Estrie, ont été les premières à aller dans cette direction : si le CQCM est reconnu dans le projet de loi comme représentant à l’échelle du Québec du mouvement coopératif, les CDR doivent l’être au plan des régions. Même préoccupation du côté du Chantier : la reconnaissance de ses pôles régionaux.
Les convergences
Tout le monde ou presque s’entend donc pour dire qu’en économie sociale, il s’agit bien d’entreprises d’un autre type que celles du secteur privé ou public. Cette position, rappelle-t-on dans différents projets de mémoire, confère à ce type d’économie une contribution au développement du Québec qui n’a pas son pareil et cela depuis longtemps. Ce type d’économie prend racine historiquement dans la collaboration avec des mouvements sociaux : des organisations syndicales qui mettent sur pied des caisses d’économie ou soutiennent des reprises d’entreprises ; des organisations communautaires qui mettent sur pied des coopératives d’habitation, des coopératives multi-activités (épicerie générale, horticulture…) ; des organisations d’agriculteurs qui organisent la commercialisation collective de leurs produits…Économie qui a également obtenu le support d’institutions depuis des lunes: hier les paroisses pour les caisses populaires Desjardins par exemple ou, aujourd’hui, les CLD comme un dispositif public d’accompagnement. Bref l’ÉS de la France tout comme celle du Québec, une fois le projet de loi passé, pourra parler d’une seule voix : l’ÉS, ce sont les coopératives, les mutuelles et les associations à vocation économique (grandes, moyennes et petites) dont le fondement est l’entrepreneuriat collectif.
Oui mais la solidarité internationale de l’ÉS québécoise sera-t-elle laissée en plan ?
C’est le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) qui a été le premier à soulever la question : l’engagement du Québec par son État et donc par cette loi, se doit de favoriser une politique de solidarité internationale de et par l’ÉS qui soit explicite dans la loi elle-même. Ce faisant, cette loi aiderait grandement ceux qui pratiquent déjà une solidarité internationale de proximité par cette porte d’entrée. C’est le cas, parmi d’autres des OCI, membres de l’AQOCI, comme Équiterre, Oxfam-Québec et d’autres pratiquant diverses formes de commerce équitable avec des communautés du Sud ; du mouvement des agriculteurs québécois, par UPA DI, soutenant depuis 20 ans de nombreuses organisations paysannes dans le Sud pour assurer la commercialisation collective de leurs produits; du mouvement coopératif, par DID et SOCODEVI, favorisant le développement de coopératives dans les pays du Sud, le premier depuis 40 ans et le second depuis plus de 25 ans; du mouvement syndical, par certaines de ses activités économiques, tant à la CSN qu’à la FTQ.
Le GESQ, de concert avec de nombreuses organisations, considère que, dans ce projet de loi, si les principales pièces du casse-tête sont bien présentes, il manque cette dimension Nord-Sud c’est-à-dire la reconnaissance et le soutien à un entrepreneuriat collectif québécois actif en matière de solidarité internationale qu’il soit de type coopératif, associatif ou mutualiste. Le GESQ propose donc un amendement en ce sens et suggère, ce que plusieurs reprennent à leur compte, notamment la CDR de l’Estrie (eh oui encore elle !) que le plan d’action qui découlera de l’adoption de ce projet étudie la faisabilité de mettre sur pied un fonds dédié au soutien à des entreprises dans le Sud. Du coup, la solidarité internationale de proximité qui, depuis des décennies, fonctionne sur le duo Dons du public/financement gouvernemental aura un complément indispensable, un outil financier propre à la solidarité internationale, un peu à l’image de ce que sont les fonds de travailleurs ou Capital coopératif et régional Desjardins. Bon ! Ce dossier vient à peine d’être ouvert à Québec…parmi tant d’autres que le gouvernement du PQ tente de mettre de l’avant. On aura d’autres occasions d’y revenir.
Et parlant du GESQ, je vous fais un petit rappel à l’effet qu’il tient son université d’été à Shawinigan les 23 et 24 mai prochain. Si vous ne pouvez y être, ne ratez pas le cahier spécial du journal Le Devoir fait en collaboration avec le GESQ mercredi le 22 mai. Thème : Agriculture et développement durable. Au Québec et dans le monde bien entendu !
Bonne synthèse du débat sur la démarche pour l’adoption d’un loi cadre favorisant l’entrepreneuriat collectif au Québec. Espérons que le plan d’action qui suivra sera à la hauteur des attentes.
Merci pour votre texte M. Favreau. Je considère positif de partager le plus possible sur les enjeux de cette future loi-cadre en économie sociale. Toutefois, je trouve malheureux que l’on entretienne ce discours des familles en économie sociale. J’y travaille et milite depuis près de 20 ans et ma principale motivation est celle de voir tous les jours des gens qui ont pris leur avenir en main,¸et ce, peu importe le statut de leur entreprise. Je crois que nous devrions davantage nous attarder aux humains qui font l’économie sociale qu’au véhicule qu’ils utilisent pour le faire.