L’auteur invité, Gustave Massiah, est président du CRID (Centre de recherche et d’informations pour le développement), qui regroupe 55 ONG, et membre du conseil de gouvernance d’Alternatives Internationales.
Le mouvement altermondialiste est confronté à la crise de la mondialisation capitaliste néo-libérale. Le système dominant est confronté à une triple crise : la crise écologique mondiale qui est devenue patente ; la crise du néolibéralisme et la crise géopolitique avec la fin de l’hégémonie des Etats-Unis. Il s’agit d’une crise structurelle : économique et sociale ; écologique ; géopolitique ; politique et idéologique.
Pour « sortir » de cette crise, ce système blessé s’expose et nous expose à de nouveaux dangers. De façon très évidente, le premier danger concerne les guerres car les risques de guerre sont des issues classiques des grandes crises. N’oublions pas que le monde est déjà en guerre et que près d’un milliard de personnes vivent dans des régions en guerre. Les conflits sont permanents et la déstabilisation systématique. Les formes de guerre ont changé avec la militarisation des sociétés, l’apartheid global, la guerre des forts contre les faibles…
Plus près de nous, le second danger concerne la pauvreté et les libertés. La sortie de crise recherchée consiste à faire payer la crise aux pauvres, et aux discriminés. Il s’agit aussi de raboter les couches moyennes. Et même, si ça ne suffit pas, de faire payer certaines catégories de riches ; ce qui laisse préfigurer de fortes contradictions. Pour faire passer de telles politiques, il faudra beaucoup de répression, de criminalisation des mouvements sociaux, de pénalisation de la solidarité, d’instrumentalisation de la lutte au terrorisme, d’idéologie sécuritaire, d’agitation raciste, islamophobe, d’exploitation des boucs émissaires et des migrants notamment.
Pour lutter contre ces dangers il faudra renforcer les résistances et élargir les alliances et les coalitions pour les libertés, la démocratie et la paix.
Des « opportunités » dans la crise
Les dangers sont connus, les opportunités le sont moins. D’abord, la défaite idéologique du néolibéralisme favorise la montée en puissance de la régulation publique. La redistribution des richesses et le retour du marché intérieur redonnent une possibilité de stabilisation, d’une garantie des revenus et de protection sociale, de redéploiement des services publics. De même, l’urgence écologique impose une mutation du mode de développement. Dans le même sens, la crise du modèle politique de représentation renforce la nécessité de la démocratie participative et d’une réflexion renouvelée sur les pouvoirs. De plus, le rééquilibrage ente le Nord et le Sud peut ouvrir une phase de la décolonisation et une nouvelle géopolitique du monde. Il s’accompagne d’une nouvelle urbanisation et des migrations qui sont les formes modernes du peuplement de la planète. Enfin un système de régulation mondiale permettant de penser et de réguler la transformation sociale à l’échelle de la planète et ouvrant la perspective d’une citoyenneté mondiale. Le mouvement altermondialiste est porteur de ces opportunités.
Aucune de ces opportunités ne s’imposera d’elle même ; elles ne pourront déboucher vers des situations meilleures que si les résistances s’amplifient et si les luttes sociales, écologiques, pour les libertés, contre les guerres s’intensifient. D’autant plus que la crise ouvre aussi des opportunités pour les élites dirigeantes qui se partageront entre celles qui pencheront vers des formes d’oppression renouvelées et celles qui basculeront vers une refonte du capitalisme. Cette refonte n’est pas inéluctable, mais elle n’est pas impossible. Elle ne sera crédible que quand toutes les voies permettant aux élites de conserver les formes actuelles du pouvoir se révéleront insuffisantes.
Le mouvement altermondialiste ne néglige pas les améliorations possibles et n’hésite pas à s’engager pour éviter les situations insupportables. Il est aussi, pour sa plus grande part, concerné par une transformation radicale et prend très au sérieux les possibilités, ouvertes par la crise, d’un dépassement du capitalisme. Ce dépassement s’inscrit dans le temps long et n’est pas prédéterminé. Il existe déjà, dans la société actuelle, des rapports sociaux qui le préfigurent, comme des rapports sociaux capitalistes ont émergé dans les sociétés féodales. Il ne s’agit pas de rapports nouveaux achevés ; il s’agit de tentatives de dépassement qui émergent dans les pratiques sociales mais qui ne se dégagent pas complètement des rapports dominants. Le nouveau monde né dans l’ancien se construit progressivement ; il part des contradictions vécues et en construit des nouvelles. Le mouvement altermondialiste est porteur de ces nouveaux rapports à travers les résistances et les pratiques sociales innovantes. Les forums sociaux en sont les espaces d’expérimentation et de visibilité. Ils facilitent aussi le travail intellectuel critique qui permet de différencier ce qui peut consolider la reproduction des rapports capitalistes de ce qui annonce de nouvelles perspectives.
En mettant en évidence le potentiel porté par les résistances, les pratiques actuelles et les exigences intellectuelles l’altermondialisme donne une perspective à la sortie de la crise globale. Il permet de renforcer, en alimentant les résistances contre les conservatismes autoritaires et répressifs et les revendications pour la modernisation sociale, les libertés et la démocratie. Il permet de lutter contre la constitution d’un nouveau bloc hégémonique formé par une alliance entre les néolibéraux et les néokeynésiens et de pousser un éventuel Green New-Deal mondial à dépasser ses limites. Il permet d’esquisser les alternatives qui caractériseront un autre monde possible. Un nouveau projet d’émancipation collective est à l’ordre du jour. Le capitalisme n’est pas éternel, la question de son dépassement est d’actualité. Et nous devons commencer dès maintenant à revendiquer et à construire un autre monde possible.
Ce texte est tiré du site Internet Le Journal des Alternatives
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