La semaine passée nous avons illustré les divers impacts de la maladie ‘canadienne’ du pétrole. Cette semaine, dans le dernier billet de cette série, on va dans un premier temps poursuivre cette illustration en détaillant les impacts sur l’économie québécoise, parce qu’ils sont pire qu’ailleurs. Ensuite, nous allons reprendre les uns après les autres les ‘plaies’ de l’industrie du pétrole et du gaz que nous avons dénoncées dans les deux premiers billets de la série, de manière à faire un constat global sur les risques que représente cette industrie pour les Québécois.
Les impacts de la maladie ‘canadienne’ du pétrole sur le Québec
Le développement accéléré des sables bitumineux de l’Ouest a pour effet de doper le dollar canadien avec les conséquences que l’on connaît sur l’industrie manufacturière dans l’Est. Lorsque le dollar avoisinait les 65 ou 70 cents US, il y a quelques années, ça permettait, entre autres choses, de contrer les avantages fiscaux que pouvaient offrir certains États des États-Unis. Avec un dollar à parité ce n’est plus le cas, avec comme résultats directs le déménagement d’Électrolux de l’Assomption vers Memphis (perte de 1300 emplois) et de Mabe de Montréal à (perte de 700 emplois).
La surévaluation du dollar canadien, conséquence de l’exportation du pétrole de l’Ouest, ne reflète pas l’état de l’économie du Québec, qui traverse plutôt une situation particulièrement difficile. Les secteurs manufacturiers québécois sont triplement pénalisés : par une perte de compétitivité de nos produits à l’intérieur du marché canadien, dans la mesure où les riches provinces de l’Ouest peuvent se donner un environnement fiscal très concurrentiel; par la perte de compétitivité de nos produits vis-à-vis ceux des États-Unis, notre principal marché d’exportation; enfin, comme nous allons le voir plus loin, par la détérioration de l’empreinte écologique des produits québécois vis-à-vis ceux de l’Union européenne, notre deuxième grand partenaire commercial. Et le problème ne peut qu’empirer dans les années qui viennent, à mesure que l’économie mondiale reprendra sa vitesse de croisière et que le Canada doublera ou triplera la production des sables bitumineux. Et nous n’avons encore rien vu !
Le développement des sables bitumineux va inexorablement enfermer l’économie québécoise dans un modèle économique dépassé, fondée sur l’énergie carbone – et par-dessus le marché la plus sale en carbone. Alors que nous avons construit une économie fondée à 40% sur une énergie propre, comme quasiment aucune autre économie du monde n’a pu le faire jusqu’à maintenant, nous risquons de perdre cet avantage si nous laissons faire l’industrie du pétrole et du gaz, car le germe de la maladie canadienne va contaminer l’empreinte écologique de l’économie québécoise de manière irréparable. D’ores et déjà, du fait que nos produits sont « Made in Canada », du point de vue de l’importateur étranger, leur empreinte écologique se détériore. Mais ce sera encore pire si nous alimentons les raffineries québécoises avec le pétrole des sables bitumineux. On parle alors, au bas mot, d’une augmentation de 38% de leur empreinte : une part de 23% d’augmentation d’émission de GES due à l’exploitation des sables bitumineux, ainsi qu’une part supplémentaire de 15% (minimale) due au raffinage – du fait de la production de sous-produits à haut contenu de carbone, le ‘petcoke’. Dans ce contexte, en acceptant le chantage des deux grands raffineurs installés au Québec, chantage relayé par les chambres de commerce, nous fragilisons la compétitivité ‘écologique’ de l’économie québécoise.
Bien sûr, il y a aussi les risques de fuite des pipelines. Mais l’industrie s’en fout royalement. Lors d’une rencontre d’information tenue à Montréal en lien avec le projet de l’entreprise Enbridge d’inverser le pipeline Sarnia-Montréal, le porte-parole de l’Office national de l’énergie (ONE) a soutenu qu’une fuite de pétrole d’un pipeline ne constitue pas en soit une « catastrophe » environnementale ! « Une fuite de pipeline, ce n’est pas nécessairement une catastrophe », réplique-t-il à la question d’un citoyen. Cet office, qui est chargé par le gouvernement fédéral de recommander ou non l’acceptation du projet, est un cas flagrant de collusion avec l’industrie. Signalons que l’organisme fédéral ne mène pas lui-même les inspections des réseaux de pipeline en activité. C’est le promoteur qui doit fournir l’information et l’Office fait l’analyse ! En 2010, un pipeline opéré par Enbridge a laissé fuir plus de 20 000 barils de pétrole dans une rivière du Michigan. Le nettoyage n’est même pas encore complété.
S’il n’y avait pas ces pratiques de collusion entre les décideurs et l’industrie, la population québécoise rejetterait sans équivoque cette possibilité de transporter ici cette énergie sale, comme l’ont fait les décideurs de la ville de Burlington, dans l’État du Vermont, qui ont adopté une résolution rejetant le transport de pétrole provenant des sables bitumineux sur leur territoire – en réponse au projet d’inverser l’oléoduc Portand-Montréal.
Le pouvoir de nuisance de l’industrie du pétrole et du gaz au Québec
Malgré l’échec lamentable de la tentative de l’industrie d’exploiter les gaz de schiste au Québec, il ne faut pas mésestimer leur pouvoir de nuisance. L’industrie a tout fait pour arriver à ses fins : l’appel à des personnalités importantes (qui ont dues leur coûter un bras…), la collusion avec les Libéraux et les ministères impliqués, voire la corruption possible avec l’ancienne vice-première ministre du Québec, qui a préféré quitter subitement le gouvernement. Sentait-elle la soupe chaude ou a-t-elle tout simplement obtenu une confortable compensation pour ses services ?
Car il ne faut pas oublier que dans un autre dossier, celui de l’île d’Anticosti, c’est Mme Normandeau, alors ministre des Ressources naturelles et de la Faune, qui a levé « la soustraction au jalonnement, à la désignation sur carte, à la recherche minière ou à l’exploitation minière » de la majeure partie du territoire de cette grande île. L’arrêté ministériel en question a d’ailleurs été signé par Mme Normandeau en août 2009, quelques mois à peine après que Québec eut délivré des permis d’exploration à Corridor Resources et Pétrolia, respectivement le 1er janvier 2009 et le 28 avril 2009. Cette levée de restriction à l’exploration pétrolière et gazière sur l’île d’Anticosti permettait à des entreprises privées de mener leurs travaux librement. Comme nous le rappelle le journaliste du Devoir Alexandre Shields.
« Cette décision, prise en 2009, tranchait nettement avec la volonté de protection de la plus grande partie du territoire respectée par Québec depuis qu’il avait acquis l’île dans les années 70. L’objectif des libéraux était alors de « rouvrir certains terrains à l’activité minière », selon ce qu’on peut lire dans un arrêté ministériel publié dans la Gazette officielle du 2 septembre 2009 et dont Le Devoir a pris connaissance. Mais Québec n’a pas ouvert le territoire à toute forme d’exploration et d’exploitation minière. En fait, l’arrêté précise que « seuls le sable, le gravier, les roches utilisées comme pierre concassée, le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains peuvent faire l’objet de recherche et d’exploitation minière ».
Récemment, devant les actionnaires de l’entreprise réunis en assemblée à Montréal le 1er mars, M. André Proulx, président de Pétrolia, a déclaré que son entreprise n’abandonnera jamais les projets Haldimand et Bourque en Gaspésie, ajoutant qu’il est prêt à faire tout ce qu’il faut pour aller de l’avant. Concernant Anticosti, il déclare : « Si jamais j’ai négocié trop fort avec Hydro-Québec, que je leur ai arraché ce qui leur appartenait, j’en suis bien content comme actionnaire de Pétrolia, comme gestionnaire. Qu’Hydro-Québec s’arrange avec ses problèmes ».
Le message est clair. M. Proulx n’est pas encore assez riche pour se payer des conseillers et des firmes de relations publiques qui pourraient parler en son nom. Il a un discours brut, pour ne pas dire brutal, qui montre que si nous ne prenons pas garde, nous aurons bientôt au Québec, dans l’entourage des décideurs publics, ce même pouvoir de nuisance qui, à Régina et à Ottawa, conduit ce pays à la catastrophe. Il faudrait au plus vite nationaliser cette industrie.
[...] le Canada… Compenser les émissions supplémentaires découlant de leur raffinage au Québec (on parle d’une part supplémentaire de 15% due au raffinage – du fait de la production de sous-produits à haut contenu de carbone, le ‘petcoke’.) ? Ça [...]