L’auteur invité est Gabriel Ste-Marie, professeur au cegep de Joliette, chargé de projet à l’IREC.
Les paradis fiscaux posent un problème de justice fiscale et sociale. Les entreprises et les particuliers les plus fortunés y détournent leurs avoirs pour éviter de payer leur juste part d’impôts.
L’OCDE déplore le manque de données pour bien évaluer l’ampleur du phénomène. Mais le Tax Justice Network estime qu’il y aurait, au niveau mondial, entre 21 et 32 billions $ dans les paradis fiscaux, ce qui représenterait un manque de rentrées fiscales d’environ 200 à 300 milliards $ par année.
La richesse est extrêmement concentrée. L’organisme estime que le 0,001% le plus riche de la planète, soit les 91 186 individus qui détiennent plus de 30 millions $, possèdent à eux seuls presque le tiers des actifs mondiaux et la moitié des avoirs dans les paradis fiscaux.
Les 9 millions de personnes qui détiennent plus d’un million de dollars, soit le 0,14% le plus riche, posséderaient 81,3% des actifs mondiaux et 95% des sommes détournées dans les paradis fiscaux.
La plupart des banques possèdent des filiales dans ces territoires et permettent à leurs clients d’y transférer des revenus et de les y faire fructifier, tout ça à l’abri du fisc.
Les paradis fiscaux préférés des entreprises et individus établis au Canada sont la Barbade et les Îles Caïmans. Ils se classent, tout juste après les États-Unis et la Grande-Bretagne, pour les investissements directs réalisés par les Canadiens à l’étranger.
Un paradis fiscal est un territoire avec un taux d’imposition nul ou très faible, qui pratique une forme de secret bancaire, et où les poursuites judiciaires sont souvent inexistantes. Plusieurs pays sont considérés comme des paradis fiscaux. En plus de nombreuses îles des Caraïbes, on trouve dans cette catégorie plusieurs pays européens, comme la Suisse, ou encore la plupart des pays de l’Europe de l’Est. Singapour et Hong Kong sont les principaux exemples asiatiques.
Le phénomène se développe et se complexifie à partir des années 1980. Avec le développement du néolibéralisme, le nombre de très hauts revenus s’accroît, tout comme le recours aux paradis fiscaux.
Dans un récent document intitulé Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, l’OCDE s’intéresse aux mécanismes utilisés par les entreprises, surtout multinationales, pour déclarer leurs bénéfices dans ces territoires.
L’organisme quantifie le phénomène en mesurant l’investissement direct étranger (IDE) effectué dans ces pays. Par exemple, en 2010, la Barbade, les Bermudes et les Îles Vierges britanniques ont reçu 5,11% de l’IDE mondial, alors que la part de l’Allemagne s’élevait à 4,77% et celle du Japon à 3,76%.
Les investissements ne font qu’y transiter, de façon à pouvoir y déclarer les revenus futurs. Il en résulte le phénomène suivant. Les Îles Vierges britanniques investissent plus en Chine que les États-Unis!!! Elles arrivent au deuxième rang (14%), après Hong-Kong (45%), un autre paradis fiscal, et devant les États-Unis (4%).
De la même façon, l’Île Maurice se trouve à être le principal investisseur en Inde (24%). En Russie, les quatre premiers investisseurs sont Chypre (28%), les Îles Vierges britanniques (12%), les Bermudes (7%), et les Bahamas (6%).
Selon l’OCDE, ces investissements passent par des entités à vocation spéciale (EVS). Il s’agit d’entreprises-relais, souvent sans employés ou même de bureaux, qui servent à transférer des actifs entre les pays, en les faisant transiter par des paradis fiscaux.
Le phénomène est très répandu et souvent spectaculaire. Par exemple, plus de 80% des investissements effectués aux Pays-Bas proviennent de ces entreprises-relais. Pour l’investissement sortant du pays, c’est 75%. Au Luxembourg, c’est plus de 90%, tant pour l’investissement entrant que sortant.
Dans l’objectif de s’attaquer au problème des paradis fiscaux, l’OCDE tient ce mois-ci un Forum sur l’administration de l’impôt qui réunit les directeurs des administrations fiscales de tous les pays de l’OCDE et du G20.
Au Canada, le ministre des Finances Jim Flaherty affirme vouloir récupérer 6,7 milliards $ des fraudeurs fiscaux. Le problème, c’est que la plupart des gouvernements et organisations internationales tiennent un discours dénonçant le problème, sans toutefois poser d’actions substantielles pour s’y attaquer.
ATTAC-Québec évalue entre 7 et 12 milliards $ par année les impôts non versés au Canada en raison des paradis fiscaux. L’association propose différentes mesures pour corriger la situation, à commencer par l’augmentation du nombre de vérificateurs au ministère du Revenu spécialisés dans les transferts de revenus.
L’organisme propose aussi de réviser ou même d’éliminer les accords fiscaux négociés par le Canada avec les paradis fiscaux. Ces accords permettent notamment aux entreprises qui font des affaires au Canada d’y transférer leurs revenus.
ATTAC-Québec demande aussi d’interdire aux banques canadiennes de posséder des filiales dans les paradis fiscaux et de rendre obligatoire l’échange automatique de renseignements bancaires entre pays, ce qui commence à se faire aux États-Unis.
Dernièrement, un consortium de journalistes d’investigation américains (ICIJ), qui travaille avec une quarantaine d’organes de presse à travers le monde, affirmait avoir mis la main sur un disque dur contenant des renseignements concernant 122 000 sociétés offshores. Nous attendons leurs analyses avec grand intérêt.
Pour lire le texte original, on va sur le site de L’aut’journal.
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