L’auteure invitée est Josée Boileau, rédactrice en chef du Devoir.
Même si certains obnubilés du présent voudraient qu’on oublie les « vieilles chicanes », l’histoire a toujours des choses à nous apprendre, et des leçons magistrales à nous donner. Entre dans cette catégorie le fait que l’indépendance du Québec n’a finalement jamais fait peur au reste du monde. Une autre tromperie démasquée !
Plus le temps passe, plus on constate que les Québécois se sont vraiment fait rouler dans la farine pour qu’ils restent dans la fédération canadienne. On connaissait déjà les fausses promesses de renouvellement du fédéralisme de Pierre Elliott Trudeau, la mascarade du « love-in » de 1995, l’acceptation massive de nouveaux citoyens canadiens aux moments référendaires, le scandale des commandites…
S’ajoute maintenant l’incroyable interventionnisme politique du juge en chef de la Cour suprême lors du rapatriement de la Constitution en 1982, geste suffisamment grave pour que le plus haut tribunal du pays n’y voie pas, lui, qu’une « vieille » histoire, mais ait déclaré mardi qu’il étudiait l’affaire.
Ces magouilles de coulisses ne doivent pas faire oublier les arguments de fond que les fédéralistes ont aussi servis aux Québécois pour les convaincre de leur petitesse, rhétorique de peur qui à son tour prend l’eau cette semaine grâce à l’ouvrage La bataille de Londres de Frédéric Bastien et à des notes diplomatiques dévoilées par WikiLeaks.
Que ne nous a-t-on pas dit durant les campagnes référendaires de 1980 et 1995: un Québec indépendant ne serait pas économiquement viable et n’aurait que la France pour allié sur la scène du monde. Jacques Parizeau avait beau avoir élaboré son « Grand Jeu », soit que les États-Unis reconnaîtraient le nouveau statut du Québec si la France entendait le faire elle-même rapidement, les stratégies de Monsieur, une fois rendues publiques, furent considérées, pour ne pas dire moquées, comme de la théorie.
Et pourtant, c’est lui qui avait raison. Les grandes puissances ne se laissent pas dicter par leurs émotions mais par leurs intérêts, et elles ont le sens de l’histoire. C’est la réalité qui compte pour elles, pas les élucubrations.
Il y a vingt ans, l’ouvrage Dans l’oeil de l’aigle de Jean-François Lisée avait démontré que les Américains, même si le statu quo leur semblait préférable, ne feraient pas un drame de la séparation du Québec. Cette thèse est maintenant confirmée. Les États-Unis se sont ajustés à la montée du nationalisme québécois, ont même vu les avantages qu’ils pouvaient en tirer si jamais l’indépendance devait advenir.
Tout aussi pragmatiques, les Britanniques étaient pour leur part bien conscients de la santé de l’économie québécoise, équivalente à celle des pays scandinaves, et avaient compris que les échanges commerciaux se poursuivraient avec un Québec souverain. À notre époque tout économique, tout était dès lors dit. De toute manière, comme l’écrivait en 1980 le haut-commissaire britannique à Ottawa, « la balkanisation croissante du Canada est un fait que les hommes d’affaires britanniques doivent prendre en compte dans leurs transactions avec ce pays ». Trente ans plus tard, la balkanisation n’a pas faibli…
Ce n’est pas la première fois qu’une menace du camp fédéraliste est mise en déroute. Il y a trois ans, dans son avis sur le Kosovo, la Cour internationale de justice avait ainsi validé l’accession unilatérale d’un État à la souveraineté quand des négociations de séparation sont dans l’impasse. Maintenant, c’est la crainte de ce que diront les autres qui ne tient plus la route. Et quand la peur disparaît, ne restent que les faits.
Ceux-ci sont éloquents : ce pays bancal a besoin d’être redressé, et pas, n’en déplaise à François Legault, sur le plan économique, mais sur celui de son histoire, dont il est dépossédé.
Pour consulter le texte original, on va sur le site du Devoir.
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