L’auteur invité est Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Economiques
Le gouvernement doit-il remettre en cause sa politique d’austérité ? Entre une réalité économique et sociale qui plaide en ce sens et un contexte politique européen toujours aussi peu favorable, la question est délicate. Agir maintenant serait risqué. Mais attendre le serait encore davantage.
Outre les débats sur les paradis fiscaux et la moralisation de la vie politique, la bombe Cahuzac a entraîné une remise en cause de la politique budgétaire d’austérité que celui-ci incarnait depuis mai dernier. Cela s’est traduit notamment par des prises de position en ce sens de Cécile Duflot, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Lors de son intervention publique de mercredi dernier François Hollande a cherché à clore ce débat en réaffirmant la nécessité de poursuivre cette politique budgétaire. Ne faut-il pas pourtant la remettre en cause d’urgence ? Entre une réalité économique et sociale qui plaide indéniablement en ce sens et un contexte politique européen toujours aussi peu favorable, la question est délicate.
Une politique suicidaire
Le caractère récessif et contreproductif des politiques budgétaires menées actuellement en France et en Europe ne fait – malheureusement – aucun doute. Ces politiques budgétaires restrictives partout en même temps ont fait replonger la zone euro dans la récession, bien que, par ailleurs, la spéculation se soit calmée sur les marchés financiers depuis l’été dernier. Ce qui fait exploser le chômage en France et dans la zone euro : on dénombre plus de 5 millions d’inscrits à Pôle emploi en France et le chiffre de 20 millions de chômeurs en zone euro a été atteint en février dernier. Des chiffres qui continuent à monter mois après mois. Cela ne se traduit pas simplement par une catastrophe sociale, c’est aussi une catastrophe économique : depuis quatre ans déjà, le chômage de longue durée s’enkyste de plus en plus profondément en Europe, détruisant progressivement la capacité d’emploi de celles et ceux qui le subissent. En France, ce sont désormais 1,9 millions de personnes qui sont inscrites à Pôle emploi depuis plus d’un an, deux fois plus qu’en 2008.
L’austérité empêche le désendettement
Mais le pire c’est que ces politiques budgétaires sont contreproductives vis-à-vis de l’objectif principal qu’elles affichent : elles empêchent en réalité le désendettement public qu’elles sont censées favoriser. Malgré les 100 milliards d’euros de dettes annulées l’an dernier, la dette grecque pèse toujours 175 % du PIB grec contre 107 % en 2007… Et cet effet, limité jusque-là en France a commencé à y devenir sensible : en 2012 le sévère tour de vis budgétaire lancé par Nicolas Sarkozy et renforcé par François Hollande a tellement fait chuter l’activité en fin d’année, que le déficit public s’est au final à peine réduit, passant de 5,2 % du PIB en 2011 à 4,8 % l’an dernier. Et 2013 s’annonce encore pire pour l’instant : sur janvier et février, le déficit public français est supérieur à ce qu’il était en 2012 du fait de la profonde récession où se trouve plongée l’économie hexagonale… Jusqu’ici la France avait bénéficié d’un traitement de faveur sur les marchés financiers, obtenant pour sa dette publique des taux d’intérêt historiquement faibles et presqu’aussi bas que ceux dont bénéficie la dette allemande. L’austérité excessive en place actuellement risque – paradoxalement – de se traduire par une hausse des taux d’intérêt sur la dette française en faisant basculer la France du côté des « pays à problèmes » aux côtés de l’Espagne et de l’Italie.
L’isolement français
Bref, il ne fait donc aucun doute que le plus tôt on arrêtera les frais avec ces politiques budgétaires stupides, le mieux ce sera… Pour autant, il n’existe pour l’instant guère d’alliés potentiels en Europe pour mener l’offensive contre la politique suicidaire prônée par le gouvernement d’Angela Merkel. Celle-ci est très loin en effet d’être isolée. La Commission européenne, tout d’abord, présidée par le transparent José Manuel Barroso, s’était révélée totalement incapable de prendre la moindre initiative face à la récession de 2009. Depuis lors elle appuie avec zèle les politiques d’austérité qui plombent la zone euro. Même si elle a fait preuve récemment de quelque éclairs de lucidité en acceptant que les pays en crise retardent quelque peu leur retour à l’équilibre budgétaire (mais à vrai dire elle n’avait guère le choix), elle ne prend de nouveau aucune initiative de nature à faire sortir la zone euro de la récession. Les pays scandinaves ou l’Autriche en rajoutent sur le dogmatisme austéritaire d’Angela Merkel ainsi que le Royaume Uni, le pays de John Maynard Keynes, bien que son économie soit aussi mal partie que celle de la zone euro. Quant aux pays en crise, outre que leurs gouvernements ne sont guère en position d’élever la voix en Europe, ils sont tous dirigés aujourd’hui par des gouvernements conservateurs, persuadés que c’est la baisse des salaires et des dépenses publiques qui va sortir leur pays d’affaire…
On aurait pu espérer que les élections italiennes de février dernier débouchent sur un gouvernement (un peu) plus décidé que le précédent à remettre en cause les politiques d’austérité européennes, mais pour l’instant le blocage politique est total en Italie. Le Parlement européen lui-même, même s’il est sans doute plus conscient que les chefs d’Etat et de gouvernement, de la gravité de la situation dans l’Eurozone et du caractère mortifère pour la construction européenne de la dynamique à l’œuvre actuellement, reste largement dominé par des conservateurs persuadés que moins il y a d’action publique, mieux on se porte. Bref, si François Hollande partait au combat maintenant pour remettre en cause la politique prônée par Angela Merkel (très largement soutenue par sa propre opinion publique sur ce terrain) il aurait de fortes chances de se retrouver tout seul hors de sa tranchée face à la mitraille…
Un pari risqué mais jouable
Pour autant, en tant que seconde économie européenne et trait d’union entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, le poids de la France seule reste non négligeable. Et si les gouvernements des pays en crise courbent l’échine devant les diktats de la Troïka, leurs peuples n’attendent qu’un signal pour reprendre espoir. De plus si on considère que cet affrontement est de toute façon inévitable pour sauver l’euro et au-delà la construction européenne des effets catastrophique de la politique prônée par Angela Merkel, il n’est pas certain qu’il y ait avantage à le retarder. Du point de vue allemand, et quelle que soit l’issue de ces élections, l’état d’esprit n’aura selon toute vraisemblance pas changé après les élections législatives de septembre prochain. Tandis que la situation de l’économie française se sera sans doute notablement aggravée, affaiblissant d’autant la parole de ses dirigeants.
Hausser le ton aujourd’hui, c’est certes prendre un risque non négligeable dans un contexte a priori défavorable, mais ne pas le faire c’est risquer de ne plus pouvoir le faire plus tard et continuer à laisser l’euro et la construction européenne se diriger vers l’iceberg à toute vapeur au risque d’atteindre le point de non retour. Un choix pas facile.
Pour lire le texte original, on va sur le site du magazine Alternatives Economiques.
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