L’auteur invité, Claude Vaillancourt, est secrétaire d’ATTAC Québec (extraits)
Personne n’a souhaité la crise économique qui nous frappe durement. Mais tant qu’à en subir les lourdes conséquences, encore faut-il espérer en tirer des leçons. Plusieurs ont vu dans cette crise l’occasion rêvée de remettre en question certaines des bases du système économique mis en place depuis les trente dernières années : la déréglementation, la financiarisation de l’économie, la croissance exponentielle, la fiscalité avantageuse pour les puissants. Avec un soupçon d’impression de relance de l’économie, tout semble déjà oublié. Business as usual. Et tant pis pour ceux qui rêvaient de refonder le capitalisme.
Il faut voir à quel point les grands médias se raccrochent à des nouvelles qui relancent l’optimisme. Ainsi, certains se réjouissent d’une croissance économique de 0.1% au Canada en juin 2009. La France et l’Allemagne sont vues comme des prodiges parce que leur PIB a augmenté de 0.3%, alors qu’on avait prévu que ces deux pays s’enfonceraient dans la récession. Les commentateurs financiers suivent attentivement les hoquets de la Bourse, signalant avec enthousiasme la moindre hausse. Bref, on semble avoir fabriqué une humeur nettement meilleure en ce début d’année et plusieurs se demandent si le mauvais rêve n’est tout simplement pas terminé.
Rarement dans les discours des chefs d’États avons-nous entendu, depuis le début de la crise, des critiques aussi sévères du système économique. Des principes jusque-là inébranlables ont été remis en question : la déréglementation, les salaires élevés et les bonus des banquiers, le secret bancaire, voire même le libre-échange. Aucun mot n’était trop fort : il fallait éradiquer les paradis fiscaux, nationaliser les banques, interdire les fonds spéculatifs à risque.
Tout récemment, la bonne vieille taxe Tobin sur les transactions financières a même trouvé des défenseurs imprévus. Le ministre des finances de l’Allemagne, Peer Steinbrück, et son collègue ministres des affaires étrangères, Frank Steinmeier, se sont prononcés en faveur cette taxe. Aider Turner, chef de l’autorité britannique des marchés financiers, a prétendu quant à lui que cette taxe serait efficace pour dompter les excès de la finance mondiale. Dans le tollé qu’il a soulevé, il a tout de même reçu un appui net dans le très conservateur Financial Time, de la part de l’ex-banquier Avisnash Persaud.
Chez les altermondialistes, la crise devenait la preuve de la justesse de leurs analyses. Ce qui présageait l’efficacité de leurs propositions alternatives. Au dernier Forum social mondial, tenu à Belém en janvier, les discours étaient désolés à cause des méfaits de la crise, mais teintés d’espoir : serait-il possible enfin d’envisager les changements radicaux souhaités depuis des années ? Ainsi, les discours étaient emportés par une sorte de jubilation. Ce n’était plus au néolibéralisme qu’il fallait s’attaquer, mais au capitalisme qui venait de faire la preuve de son inefficacité. L’argent devait être considéré comme un bien public et cesser d’obéir aux intérêts des banquiers. Il fallait redonner aux choses leur véritable valeur, et non celle du marché.
La rencontre du G20 en avril dernier a hélas révélé ce que tous craignaient : les chefs d’États avaient préféré lancer des rodomontades et confrontés à prendre de véritables décisions — dans un sommet illégitime et excluant les pays les plus pauvres —, ils ont évité ce qui aurait mené à un véritable changement. Parmi les diverses décisions décevantes, l’une semblait particulièrement importante. Sous la pression très forte des États anglo-saxons, il a été décidé que l’on favoriserait à nouveau les mesures de relance, avec la valse des milliards transmis aux banques que cela implique, plutôt que de mettre en place une solide réglementation dans l’intérêt public.
Tout laisse entendre que l’histoire se répétera lors de la prochaine rencontre du G20 les 24 et 25 septembre à Pittsburgh. La louable volonté des Européens d’imposer des mesures concrètes et efficaces pour encadrer la finance se heurtera sans doute à l’inertie des Anglo-saxons qui trouveront dans une éventuelle reprise de la croissance de nouvelles raisons pour ne rien changer. Il faut espérer que les représentants des mouvements sociaux présents sur les lieux, ou qui suivront attentivement le sommet. puissent se faire entendre et démontrer qu’il est possible d’agir efficacement.
L’anniversaire de la chute de Lehman Brothers a réveillé quelques fantômes et permis au président Barack Obama de blâmer une fois de plus le secteur financier. De grandes déclarations, de spectaculaires confessions et des petites mesures et réglementations donnent l’impression à certains que de grands changements sont en cours. Et quelques ajustements mineurs illusionnent sur les progrès accomplis. […] Ces décisions ont un dénominateur commun : on s’attaque aux symptômes (bien que timidement), mais pas au mal. Avec un extraordinaire sans gêne, mais aussi un refus frondeur de s’adapter, les banquiers sont retombés immédiatement dans leurs vices, se sont accordé des primes et des bonus faramineux, comme si rien ne s’était passé. Ceci est le signe le plus évident d’une volonté ferme de ne pas se questionner sur les aspects les plus graves révélés par la crise : l’augmentation du chômage, les écarts toujours croissants entre riches et pauvres, la soumission du pouvoir politique à celui de la finance et des grandes entreprises. Comme le disait l’économiste Paul Krugman dans l’une de ses chroniques du New York Times : « Le plus incroyable dans la scène politique actuelle est à quel point rien n’a changé. » La crise aura montré une fois de plus, comme si c’était nécessaire, qui sont les véritables détenteurs du pouvoir. La question demeure alors lancinante : jusqu’où faudra-t-il s’enfoncer dans la misère, le cynisme et les crises à répétition avant d’entreprendre les changements majeurs et salutaires que nous attendons tous ?
On peut lire le texte complet en allant sur le site Internet Le Journal des Alternatives
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