L’auteur invité, Guillaume Duval, est rédacteur en chef d’Alternatives Economiques (extraits).
On a assisté ces dernières années à une explosion des revenus des dirigeants d’entreprise. Aboutissant à des niveaux d’inégalités incompatibles avec une quelconque « responsabilité sociale ». Même si les salaires des patrons ont un peu baissé l’an dernier avec la crise, la question est loin d’être réglée.
Si l’Américain à haut revenu vers 1905 était par essence un baron de l’industrie qui possédait des usines, son homologue cent ans plus tard est un cadre supérieur immensément récompensé de ses efforts par des primes et des stock-options », rappelle Paul Krugman, le prix « Nobel » d’économie 2008, dans L’Amérique que nous voulons. Même si les niveaux atteints en France restent inférieurs à ceux des États-Unis, la même dérive s’observe de ce côté-ci de l’Atlantique. Rien d’étonnant puisqu’à travers la mondialisation, les normes sociales et les modes de rémunération inventés aux États-Unis se sont progressivement répandus sur toute la planète. […]
Le jackpot des stock-options
Les États-Unis ont beaucoup de défauts, mais ils présentent au moins un avantage : ils ont une tradition ancienne d’information statistique. C’est ce qui a permis de reconstituer l’évolution des rémunérations des dirigeants des plus grandes entreprises du pays depuis 1936. Les résultats sont spectaculaires. Entre 1936 et 1939, la rémunération moyenne des 150 dirigeants les mieux payés des 50 plus grandes entreprises américaines représentait 82 fois le salaire moyen. Entre 1960 et 1969, ce ratio était tombé à 39. Mais, après l’élection de Ronald Reagan, en 1980, ce ratio est remonté en flèche, pour atteindre 187 durant la décennie 1990 et culminer à 367 au début des années 2000 ! Cette envolée est liée en particulier au développement d’un mécanisme de rémunération qui n’existait quasiment pas avant les années 1950, mais qui concerne aujourd’hui 90 % des patrons américains : les stock-options. […]
Des managers affranchis
Comment en est-on arrivé à tolérer des revenus aussi extravagants pour les dirigeants d’entreprise ? Au début du XXe siècle, les entreprises étaient dirigées généralement par des patrons propriétaires. Et leurs salariés étaient, pour l’essentiel, des « prolétaires », c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas les moyens d’épargner et étaient contraints de travailler pour survivre au jour le jour. Progressivement, les propriétaires ont confié la gestion de leurs entreprises à des managers salariés, tandis que se développaient des marchés financiers qui attiraient des petits porteurs. L’actionnariat devenait de ce fait de plus en plus éclaté. Parallèlement, suite à la crise de 1929, tous les Etats industrialisés ont développé des systèmes de protection sociale. Ils ont également reconnu aux syndicats un pouvoir de négociation important. Enfin, ils ont institué une fiscalité très progressive sur les revenus et les héritages.
Dans un tel contexte, le capitalisme est devenu managérial : les managers salariés n’avaient plus qu’un lien de dépendance très théorique à l’égard d’actionnaires nombreux et dispersés. Ils privilégiaient donc l’extension de leur empire, garant de celle de leur bureau, plutôt que l’accroissement des profits. Pour ce faire, ils passaient des compromis avec les organisations syndicales et acceptaient de partager avec les salariés les gains de productivité réalisés.
Alliance avec la finance, et tout bascule
Dans les années 1970, ce compromis est partout remis en cause. Du côté des politiques, arrivent au pouvoir, avec Ronald Reagan aux Etats-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni, des gouvernements qui abaissent brutalement la fiscalité progressive sur les revenus. Parallèlement, ils s’attaquent frontalement aux syndicats. Et favorisent l’internationalisation des firmes en libéralisant les échanges. Le paysage change également profondément du côté des marchés financiers : les actionnaires individuels sont de plus en plus remplacés par des professionnels, les « investisseurs institutionnels ». […] Les entreprises, quant à elles, restent dirigées par des managers salariés. Mais dans ce contexte transformé, ceux-ci rompent leur alliance implicite avec les syndicats. Cela d’autant plus facilement que dans des entreprises internationalisées, en réseau, les syndicats sont bien incapables de présenter un front commun. Les managers font alors alliance avec les investisseurs institutionnels, acceptant notamment, via les stock-options, de lier leur sort au cours des actions. […]
Inversion de tendance
Depuis l’éclatement de la bulle high-tech en 2001, on assiste cependant à une certaine stabilisation des revenus des PDG. Lentement, mais sûrement, la norme inégalitaire mise en place depuis une vingtaine d’années apparaît de plus en plus illégitime. La récession a accéléré cette tendance en 2008, même si certains PDG n’ont pas hésité encore à s’augmenter dans les grandes largeurs malgré la crise. Pour poursuivre et pérenniser ce recul, il faudrait un retour du balancier en matière d’impôts. La mise au pas des paradis fiscaux constitue à cet égard un enjeu central : leur existence a servi à justifier jusqu’ici que les États baissent la garde en matière de lutte contre les inégalités via la fiscalité. Les entreprises ne pourront en tout cas prétendre être devenus « socialement responsables » que lorsque les rémunérations de leurs dirigeants auront enfin cessé de mettre en cause la cohésion des sociétés…
Pour lire le texte complet, y compris les tableaux qui l’accompagnent, voir le site d’Alternatives Economiques.
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