L’auteur invité est Philippe Frémeaux, rédacteur en chef d’Alternatives Ecponomiques.
Il faudra, quoi qu’il arrive, augmenter le prix de l’énergie, que ce soit pour diminuer les risques du nucléaire ou financer la transition énergétique. Autant donc s’engager dans cette voie puisque l’enjeu numéro un est d’investir massivement pour réduire nos consommations.
Le Conseil national du débat sur la transition énergétique vient de recevoir les conclusions des derniers groupes de travail. En parallèle, une grande consultation citoyenne était organisée samedi 25 mai. Un débat utile mais qui n’a pas permis – on s’en doutait – de dégager un consensus entre les différents acteurs, industriels, ONG, collectivités, etc. De fait, si François Hollande espérait obtenir une feuille de route claire qui lui évite d’assumer ses responsabilités, il ne peut qu’être déçu. Certains pensent plus que jamais qu’il serait possible et souhaitable de sortir progressivement du nucléaire tandis que d’autres persistent à vouloir poursuivre dans cette voie prétextant de la nécessité de répondre à la demande tout en limitant le recours aux énergies fossiles.
Tout débat sur l’énergie est très complexe car il met en jeu des questions d’ordre différent et qui interfèrent entre elles. Le débat a d’abord une dimension technologique qui porte sur la meilleure façon de produire de l’énergie et de la distribuer et sur les substitutions possibles entre sources. Mais ce débat est évidemment intimement lié aux usages actuels et potentiels. Certains imaginent ainsi un monde où sept milliards d’humains rouleraient en voitures électriques. D’autres, plus réalistes, réfléchissent à un monde où 80 % de la population vivra en ville et où les mobilités douces – marche à pied, vélo, transports en commun – domineront et où chacun pourra accéder à un véhicule si le besoin s’en fait sentir. Selon les scénarios mis en œuvre, le niveau de la demande future peut donc varier considérablement. Déjà, les niveaux de demande d’électricité qui avaient justifié l’engagement dans le parc nucléaire et sa poursuite n’ont jamais été atteints. On ne peut donc réfléchir au système énergétique de demain sans partir de la demande, sachant qu’il serait possible de réduire fortement nos consommations sans vivre moins bien, si l’on s’en donne les moyens.
Au-delà, les choix réalisés sur le plan de la production d’énergie sont liés à l’organisation de sa distribution, du réseau. Le modèle électrique centralisé que nous connaissons aujourd’hui, où l’offre doit suivre la demande en permanence, a vécu. Nous disposons désormais des moyens techniques pour mettre en œuvre des réseaux intelligents, permettant à chaque ménage d’optimiser sa consommation en fonction des ressources disponibles. De quoi développer fortement une production renouvelable et décentralisée, même intermittente, surtout si les techniques de stockage progressent parallèlement.
Nous disposons donc d’alternatives technologiques qui permettraient de sortir du système actuel. Mais à quoi bon changer nous disent les partisans du nucléaire, qui insistent sur le faible coût de cette énergie. En fait, l’électricité nucléaire est aujourd’hui vendue à un prix voisin du coût marginal d’exploitation des centrales existantes, sans réelle prise en compte du coût du démantèlement et de la gestion des déchets. EDF réclame d’ailleurs de fortes augmentations de tarifs afin de pouvoir passer les provisions nécessaires sans menacer son équilibre d’exploitation. En outre, la prise en compte des surcoûts entrainés par les investissements de sécurité décidés après chaque nouvelle catastrophe viennent peser sur les coûts des exploitants.
Il va donc falloir de toutes façons augmenter le prix de l’énergie, que ce soit pour diminuer les risques du nucléaire ou financer la transition. Autant donc s’engager dans cette voie sachant que l’enjeu numéro un est d’investir massivement pour réduire nos consommations d’énergies fossiles, via l’isolation des logements et l’optimisation des transports. En effet, les énergies fossiles – pétrole, gaz et charbon – pèsent encore 71 % de notre consommation finale. Le nucléaire produit certes 75 % de l’électricité, mais celle-ci ne pèse que 22 % dans la consommation d’énergie. Autant dire que notre dépendance aux importations n’a pas été supprimée par le nucléaire sans même parler de la situation au Niger…
L’équation économique est cependant compliquée par l’essor du gaz et du pétrole de schiste aux Etats-Unis du fait de la baisse des prix qu’elle engendre. A court terme, cette baisse des prix donne un avantage compétitif à l’industrie américaine qui explique le lobbying forcené des industriels européens afin que nous exploitions nous aussi nos réserves potentielles de gaz de schiste. En fait, les prix du gaz en Europe et aux Etats-Unis devraient tendre à s’égaliser avec la mise en service de terminaux d’exportation en Louisiane. Le vrai risque est ailleurs : le retour d’une énergie fossile abondante repousse la nécessité d’économiser l’énergie et d’investir dans les renouvelables. Elle fait baisser le prix du charbon sous l’effet de la concurrence qui redevient une énergie attractive pour produire de l’électricité. De quoi pousser à la hausse les émissions de CO² et accélérer le changement climatique.
On mesure ici à quel point le débat sur la transition énergétique conduit à poser des questions fondamentales sur l’avenir de notre société. On peut regretter d’ailleurs que le débat éthique autour du nucléaire n’ait pas été plus assumé : sommes-nous prêts à assumer les risques absolus liés à cette technologie pour nous et pour les générations futures ? C’est à cette question que nos voisins allemands ont répondu négativement, suite à la catastrophe de Fukushima.
Le système énergétique actuel rend notre société particulièrement peu résiliente tant il comporte de risques majeurs sur le plan environnemental, lié aux émissions de gaz à effet de serre et aux risques du nucléaire, géostratégique, du fait de notre dépendance à l’égard de sources d’énergies fossiles extérieures, technoéconomique, du fait de la centralisation du système de production, et à la faible diversité des sources qui fait redouter une mise hors service de tous nos réacteurs nucléaires si par malheur un défaut générique imposant un arrêt rapide se révélait sur l’un d’eux. Il est urgent de décentraliser et diversifier le système énergétique et de diminuer notre dépendance aux énergies fossiles, ce qui aurait en outre des conséquences positives sur l’emploi.
Au fond, derrière le débat sur la transition énergétique, on retrouve la question des objectifs assignés à l’économie : voulons-nous continuer à consommer toujours plus au mépris des limites de la planète ou choisir d’aller vers une économie soutenable qui privilégie le bien-être de tous dans la paix ?
Pour lire le texte original, on va sur le site d’Alternatives Economiques.
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