Récemment, le gouvernement du Québec a ajouté une autre pièce dans sa politique de lutte contre les pratiques fiscales irresponsables. Il vient de mettre en place une série de mesures pour empêcher l’évitement fiscal. Contrairement à l’évasion ou à la fraude fiscale, l’évitement fiscal, aussi appelé « planifications fiscales agressives » (PFA), ne contrevient pas directement à la loi, mais utilise des stratégies fiscales complexes, en faisant appel à des spécialistes, pour éviter de payer ce qui serait juste et légitime dans le cadre fiscal en vigueur. Ce faisant, on ne viole pas spécifiquement la loi, mais l’esprit de la loi, ou le contrat social, qui consiste à contribuer à l’impôt selon ses capacités de payer.
Selon le ministre des Finances, le gouvernement espère augmenter ses revenus fiscaux de 50 millions de dollars par année avec ces mesures. Le Québec imite certains pays qui, comme l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont déjà mis en place de telles mesures, ce que n’auraient pas encore fait le gouvernement fédéral et les autres provinces canadiennes. Donc, comme l’annonce la Fédération des Chambres de Commerce du Québec (FCCQ), il est probable qu’on assistera bientôt à une vague de déménagement de résidences principales des délinquants fiscaux vers les provinces voisines.
Au Québec, le cas le plus connu d’évitement fiscal est celui mis au jour en mai 2006, appelé « Truffles », qui consistait à créer une fiducie à l’extérieur du Québec et d’éviter le paiement d’un demi-milliard de dollars d’impôts provinciaux, dont la moitié était due au Québec. Parmi ces délinquants, mentionnons Reitmans, Van Houtte, Saputo, Alimentation Couche-Tard et Transcontinental. À partir d’aujourd’hui, les opérations à haut risque d’évitement fiscal, c’est-à-dire « les stratagèmes fiscaux vendus confidentiellement par des promoteurs et payés en fonction du succès », devront faire l’objet d’une divulgation obligatoire. Une opération non divulguée à Revenu Québec pourra dorénavant entraîner une amende variant entre 10 000 $ et 100 000 $. Jusqu’à maintenant, les contribuables coupables d’évitement fiscal devaient repayer les impôts exigés et les intérêts qui s’appliquent, mais n’avaient pas de pénalité. Dorénavant, il y aura une pénalité égale à 25 % de l’impôt éludé. Le promoteur de l’opération (les fiscalistes) est également passible d’une pénalité de 12,5 % des honoraires reçus lors de l’opération.
On le comprend aisément, le PDG de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), Maurice Mongrain, critique cette nouvelle réglementation. Selon lui, « les entreprises feront leurs opérations à partir de Toronto, tout simplement. On m’a informé que c’est déjà commencé », dit-il. La FCCQ, quant à elle, dénonce la bureaucratie qu’entraînera la divulgation obligatoire. Mais si les riches, et les institutions qui les servent, n’essayaient pas constamment de frauder l’État, il n’y aurait aucun besoin de cette « bureaucratie ». La FCCQ fait elle-même une « veille » sur les meilleurs moyens d’éviter le fisc avec ses fiches juridiques à ses membres (Voir sur son site Internet).
Mais selon l’analyse qu’en font les fiscalistes, on peut légitimement se demander si cette réglementation va avoir un réel effet. Lors de la consultation sur la modification réglementaire qui avait eu lieu au printemps, des spécialistes du cabinet Blakes affirmaient que la réglementation aurait des conséquences relativement limitées compte tenu de la portée limitée de la divulgation obligatoire (elle ne s’applique qu’aux produits fiscaux commercialisés et arrangements d’honoraires conditionnels). Selon les auteurs de cette note juridique, « l’ordre de grandeur de la pénalité, soit 100 000 $ CA tout au plus, laisse croire que les cibles réelles de cette mesure sont les produits fiscaux commercialisés auprès de particuliers et de sociétés privées plutôt que les opérations financières plus complexes, et autres, comportant des économies d’impôt considérables. »
Il y a tout lieu de s’interroger sur la portée réelle de cette modification et de la volonté du gouvernement actuel de créer les conditions pour une justice fiscale véritable au Québec. Il faut admettre que, dans le cadre fiscal canadien actuel, un système fiscal québécois plus progressiste est continuellement mis au défi par les provinces conservatrices.
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