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Le samedi 23 avril 2022

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Succession à la tête de la Réserve fédérale des États-Unis

L’auteur invité est Joseph Stiglitz, professeur à l’Université de Columbia, lauréat du Prix Nobel en Economie, et l’auteur de « Chute Libre : les Marchés Libres et l’Effondrement de l’Economie Globale ».

Nombre de dirigeants de banques centrales arrivent maintenant ou très prochainement au bout de leur mandat. En partie responsables de la crise économique mondiale qui a éclaté en 2008 – avant de prendre des mesures décisives pour éviter le pire – beaucoup d’entre eux quittent leur poste sur un bilan mitigé. La grande question est de savoir dans quelle mesure leur bilan va influencer leurs successeurs.

Beaucoup d’intervenants sur les marchés financiers leurs sont reconnaissants du laxisme dont ils ont fait preuve en matière de régulation, ce qui leur a permis d’accumuler d’énormes profits avant la crise, et des généreux plans de sauvetage qui ont facilité leur recapitalisation et souvent leur départ avec de méga-bonus – alors qu’ils avaient poussé l’économie mondiale au bord de la ruine. Il est vrai que cet argent facile a facilité la restauration de la Bourse, mais il aurait pu tout aussi bien créer de nouvelles bulles des actifs.

Dans un grand nombre de pays européens le PIB reste nettement inférieur à son niveau d’avant-crise. Aux USA, malgré la croissance du PIB, le niveau de vie de la plupart des citoyens est inférieur à ce qu’il était avant la crise, les hausses de revenus bénéficiant presque exclusivement aux plus riches.

Autrement dit, beaucoup de dirigeants de banques centrales en place lors des années insensées qui ont précédé la crise ont à répondre de nombre de leurs actes. Accordant une croyance excessive à la liberté totale des marchés, ils ont fermé les yeux sur des abus évidents (notamment les crédits à taux abusifs) et ont nié l’existence évidente d’une bulle. Ils se sont intéressés exclusivement à la stabilité des prix, bien que le coût d’un léger dérapage de l’inflation eut été ridicule, comparé aux dégâts engendrés par les excès financiers qu’ils ont toléré, si ce n’est encouragé. Le monde a payé un prix élevé pour leur manque de compréhension des risques de la titrisation, et plus largement pour leur inattention l’égard de l’endettement et des pratiques des banques de l’ombre.

Tous les responsables des banques centrales ne sont pas en cause. Ce n’est pas un hasard si l’Australie, le Brésil, le Canada, l’Inde et la Turquie ont échappé à la crise financière. Les dirigeants de leur banque centrale avaient retenu la leçon de leur propre expérience ou de celle des autres : les marchés entièrement déréglementés ne sont pas toujours efficaces et ne se régulent pas toujours d’eux-mêmes.

Ainsi quand le gouverneur de la banque centrale de Malaisie a défendu l’idée d’un contrôle des capitaux lors de la crise de l’Asie de l’Est en 1997-1998, on a fini par lui donner raison, alors qu’il avait été vivement critiqué dans un premier temps. La crise en Malaisie a été plus courte que chez ses voisins et elle s’en est sortie avec un endettement moindre. Même le FMI reconnaît maintenant que le contrôle des capitaux peut s’avérer utile, notamment en cas de crise.

Ces leçons s’appliquent de toute évidence à la question de la succession de Ben Bernanke à la tête de la Réserve fédérale américaine, l’autorité monétaire la plus puissante de la planète.
La Fed a deux principales responsabilités : d’une part la régulation au niveau global destinée à assurer le plein emploi, la croissance, la stabilité des prix et la stabilité financière, d’autre part la régulation au niveau micro destinée aux marchés financiers. Les deux sont intimement liées : la seconde affectant le volume du crédit et son allocation – un déterminant crucial de l’activité macroéconomique. L’échec de la Fed à assumer sa responsabilité en ce qui concerne la régulation au niveau micro est en rapport avec son échec à atteindre ses objectifs au niveau global.

Le futur président de la Fed doit comprendre l’importance d’une bonne régulation et la nécessité pour le systéme bancaire américain de se recentrer sur le crédit, notamment au bénéfice des particuliers et des PME (autrement dit les entités qui ne peuvent obtenir un financement sur les marchés financiers).

Le futur président de la Fed devra évaluer les risques des différentes politiques possibles et celui de déstabiliser les marchés financiers, il doit donc avoir une bonne capacité de jugement en matière économique et faire preuve de discrétion. Ceci dit, il ne faut pas qu’il soit trop favorable au secteur financier et ne veuille pas le réguler.

Compte tenu des divergences entre responsables au sujet de l’importance relative de l’inflation et du chômage, il devra être capable de travailler avec des personnes ayant des points de vue variés. Quoi qu’il en soit, il devra veiller à ce que le taux de chômage diminue et tombe en dessous de son niveau actuel qui est inacceptable. Il ne faut pas considérer qu’un taux de chômage de 7% – ou même de 6% – est inévitable.

Selon certains, il faudrait qu’il ait déjà l’expérience directe des crises. Mais il ne suffit pas simplement « d’être là » durant une crise, car il faut avoir les capacités de jugement nécessaires pour la gérer.

Transformant les ralentissements en récessions et les récessions en dépressions, les responsables du Trésor américain qui ont géré la crise de l’Asie de l’Est ont échoué. De même, on ne peut créditer d’une reprise forte et inclusive les dirigeants qui ont géré la crise de 2008. Ils n’ont pas réussi à restructurer les prêts immobiliers et à restaurer le crédit au profit des PME. Leur mauvaise gestion des plans de sauvetage et leurs grossières erreurs de prévision en matière de production et de chômage lorsque l’économie est tombée en chute libre sont bien documentées.

Le responsable d’une banque centrale doit surtout être capable en cas de crise de prendre les mesures voulues pour éviter qu’elle ne se répète. A l’opposé, le laissez-faire rendrait une nouvelle crise presque inévitable.

Janet Yellen, la vice-présidente du conseil d’administration de la Fed, l’une de mes meilleures étudiantes quand j’enseignais à Yale, fait partie des grands favoris pour succéder à Bernanke. C’est une économiste d’une grande intelligence, qui sait forger un consensus. Elle a montré ce dont elle était capable en tant que conseillère économique en chef à la Maison Blanche, présidente de la Réserve fédérale de San Fransisco, et dans sa position actuelle.

Elle comprend non seulement les marchés financiers et la politique monétaire, mais aussi le marché du travail – ce qui est essentiel dans une période où le chômage et la stagnation des salaires constituent une préoccupation essentielle. J’inscris toujours un article classique dont elle est co-auteur sur la liste des lectures obligatoires pour mes étudiants en thèse.

Etant donné le fragile redémarrage de l’économie, le prochain dirigeant de la Fed devra faire preuve de continuité dans l’application d’une politique, inspirer la confiance dans un leadership ferme et impulser une coopération mondiale basée sur la compréhension mutuelle et le respect. C’est précisément ce que Yellen peut apporter. Le président Obama doit nommer les hauts fonctionnaires sur « le conseil et avec le consentement » du Sénat. Prés d’un tiers des sénateurs auraient écrit à Obama en faveur de Yellen. Il devrait tenir compte de leur conseil.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Copyright: Project Syndicate, 2012.
www.project-syndicate.org

Pour lire le texte original, on va sur le site de Project Syndicate.

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