Comme je le disais dans mon billet du 10 septembre, les lobbys du pétrole présentent les projets de nouveaux pipelines pour le transport des sables bitumineux comme la seule alternative alors que la situation actuelle (pipeline de Portland transportant du pétrole léger) ne pose aucun problème depuis 50 ans et qu’elle demeure la solution la moins coûteuse et la plus sûr dans le court-moyen terme ! C’est pour assurer la rentabilité des raffineries québécoises, nous disent-ils. Foutaises ! C’est plutôt pour augmenter leur rentabilité. Rien d’autre ne les intéresse que d’augmenter au maximum cette rentabilité, peu en importe le prix à payer ou les impacts négatifs pour les autres.
Écoutons ce qu’en disait Michel Paradis, ex-sous-ministre associé aux milieux agricoles et naturels et à la connaissance des écosystèmes au ministère de l’Environnement du Québec, dans une lettre ouverte au Devoir intitulé Train ou pipeline – Un faux débat. « Une telle activité [le transport des produits pétroliers] ne peut souffrir la moindre faille dans la conception, la construction, l’entretien et les opérations quotidiennes. Les normes et pratiques à ces égards doivent être des plus sévères et leur application contrôlée rigoureusement et impartialement. De ce fait, elle doit relever d’une organisation gouvernementale vouée à la poursuite du bien commun et non à la recherche du profit. […] Je veux bien qu’à court terme nous ne puissions nous passer du pétrole, mais nous savons aussi que déjà, nous devons impérativement réduire notre consommation afin de nous impliquer en matière de réchauffement climatique, qu’à moyen terme nous devons mettre en place des alternatives, et surtout, que le Québec comme toutes les autres nations doit se préparer à l’inéluctable après-pétrole. Ce qui veut dire : modifier ses pratiques de transports des biens et des personnes et transformer en conséquences toutes les industries qui en dépendent (agriculture, tourisme, importations et exportations, etc.). Vivement donc un gouvernement qui n’est pas à la remorque de l’industrie pétrolière et qui produira une politique énergétique globale et mettra en oeuvre un plan pour transformer de fond en comble ce secteur si vital de l’activité économique. »
Tout indique, plutôt, que le gouvernement du Québec a choisi de suivre le lobby du pétrole, en particulier avec le projet d’Énergie Est. Initialement prévu pour 850 000 barils par jour (b/j), TransCanada a augmenté son objectif de capacité à 1,1 million b/j, soit un tiers de plus que le projet Keystone XL que la même entreprise cherche à faire avaliser par le président des États-Unis. Or, il semblerait que le projet Keystone bat de l’aile, en raison des enjeux environnementaux qu’il soulève. Le gouvernement du Québec ne semble pas partager ces mêmes préoccupations.
Avec ses 1,1 million de b/j, Énergie Est pourra alimenter les deux raffineries québécoises (400 000 b/j) et celle d’Irving Oil (300 000 b/j), laissant par ailleurs un potentiel de 400 000 b/j destiné à des marchés d’exportations. Politiquement, il n’y a pas beaucoup de gains à faire pour le Québec, sauf si la volonté du gouvernement est d’intégrer le Québec dans la stratégie conservatrice d’enfermement l’économie canadienne dans l’économie carbone la plus sale qui soit. Dans l’étude d’impact réalisée par Deloitte on prétend que… « la phase d’exploitation sur 40 ans assurera le maintien de 1 000 emplois à temps plein directement en lien avec l’exploitation de l’oléoduc à la grandeur du Canada. » Je le souligne : non pas la création, mais le maintien d’emplois ! Pour le Québec, on parle de 203 emplois directs et 162 indirects, gonflant en plus ces chiffres de 173 emplois supplémentaires ‘induits’ par la consommation de ces derniers… Deloitte manque vraiment de professionnalisme en ajoutant ces impacts ‘induits’ pour gonfler les impacts du projet du commanditaire (alors que les instituts de statistique comme l’ISQ ne recommandent pas d’intégrer ces effets). À partir de là, on peut légitimement se demander ce que vaut cette étude d’impact. Par exemple, qu’a-t-on ajouté comme activités « en lien avec l’exploitation de l’oléoduc » pour pouvoir gonfler ces chiffres ?
Pour illustrer mon scepticisme de l’étude commanditée par TransCanada, je vous suggère de lire cette partie du billet de Kiley Kroh, de Climate Progress : « TransCanada has a history of inflating jobs numbers. As the Center for American Progress notes, the company initially said the Keystone XL pipeline might create as many as 20,000 construction and manufacturing jobs. But they quickly reduced that projection, explaining that the calculation was based on a “one job-one year” measure, meaning that one person working for two consecutive years would be counted twice. Using a more accurate calculation, TransCanada estimated the project would result in approximately 6,500 jobs per year over the two year construction period. A U.S. State Department analysis found an even smaller number, estimating the project would directly create only 3,900 temporary construction jobs per year. After construction is complete, the operation of the pipeline would only support 35 permanent and 15 temporary jobs, with ‘negligible socioeconomic impacts’. » Euh…
Dans une note d’intervention de l’IRÉC qui devrait bientôt être dévoilée, je démontre que sur le seul plan du raffinage, l’importation du bitume provenant des sables de l’Alberta ferait en sorte que le bilan global des émissions québécoises de CO2 augmenterait de 5%. De plus, la combustion de la totalité du petcoke (7,8 Mt éq. CO2) qui serait potentiellement produit par le raffinage du bitume des sables bitumineux au Québec pourrait représenter, à elle seule, jusqu’à 9,5% d’émissions supplémentaires au bilan du Québec. Ces scénarios rendraient totalement illusoire les cibles du gouvernement, que ce soit celles du PQ (-25% sous le niveau de 1990) ou même celle du PLQ (-20%).
Comme le suggère Martin Lachapelle dans un billet de l’aut’journal, le PQ devrait visionner un petit vidéo de moins de 2 minutes assez troublant (voir en cliquant ici), réalisé par des opposants au projet Keystone XL, qui illustre les sombres statistiques découlant des défectuosités des pipelines aux USA, entre 1986 et 2013. On parle de 8000 incidents, 7 milliard $ de dommages et plus de 500 morts et 2300 blessés.
La seule politique sensée serait de refuser les nouveaux pipelines et de programmer dès maintenant, sur un horizon de long terme, la fermeture du pipeline de Portand qui alimente présentement la raffinerie de Montréal, parce que le Québec se serait sevré de cette matière dangereuse que représente le pétrole.
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