L’auteur invité est le Laboratoire européen d’anticipation politique (LEAP).
Extrait GEAB 60 (décembre 2011) – Avenir des USA / 2012-2016 – Avec le contexte que l’on connaît chez nos voisins étatsuniens, le LEAP a eu la bonne idée de reproduire des extraits de son bulletin de décembre 2011. Nous le reproduisons ici pour l’intérêt de la réflexion qu’il porte sur les risques politiques aux États-Unis.
Dans ce GEAB N°60, notre équipe présente donc ses anticipations à propos de l’avenir des Etats-Unis pour la période 2012-2016. Nous rappelons que, depuis 2006 et les premiers GEAB, LEAP/E2020 a décrit la crise systémique globale comme un phénomène caractérisant la fin du monde tel qu’on le connaît depuis 1945, marquant l’effondrement du pilier américain sur lequel cet ordre mondial a reposé depuis près de sept décennies. Dès 2006, nous avions identifié les années 2011-2013 comme étant celles au cours desquelles le « Mur Dollar » sur lequel est assise la puissance des Etats-Unis allait se disloquer. L’été 2011, avec la dégradation de la note de crédit des USA par l’agence S&P a marqué un tournant historique et a confirmé que l’ « impossible » était bien en train de se concrétiser. Il nous paraît donc essentiel de fournir aujourd’hui à nos abonnés une vision anticipatrice claire sur ce qui attend le « pilier » du monde d’avant la crise au moment où cette crise est passée à la « vitesse supérieure » depuis l’été 2011.
Ainsi, selon LEAP/E2020, l’année électorale 2012 qui s’ouvre sur fond de dépression économique et sociale, de paralysie complète de l’appareil d’état fédéral (3), de fort rejet du bipartisme traditionnel et de questionnements croissants sur la pertinence de la Constitution, inaugure une période cruciale de l’histoire des Etats-Unis. Au cours des quatre prochaines années, le pays va être soumis à des chocs politiques, économiques, financiers et sociaux comme il n’en a pas connu depuis la fin de la Guerre de Sécession qui, hasard de l’Histoire, débuta très exactement il y a 150 ans en 1861. Au cours de cette période, les Etats-Unis vont être simultanément insolvables et ingouvernables, transformant en « bateau-ivre » ce qui fut le « navire-amiral » du monde de ces dernières décennies.
Pour rendre compréhensible la complexité des processus en cours, notre équipe a choisi d’organiser ses anticipations en la matière autour de trois grands pôles :
1. La paralysie institutionnelle US et la dislocation du bipartisme traditionnel
2. La spirale économique infernale US: récession/dépression/inflation
3. La décomposition du tissu socio-politique US
Dans cet extrait nous ne publions que la première partie du texte.
La paralysie institutionnelle US et la dislocation du bipartisme traditionnel
Notre équipe avait anticipé dès le début 2010 l’état de paralysie institutionnelle qui caractérise les Etats-Unis depuis les élections de Novembre 2010. L’année 2011 a permis à chacun de découvrir qu’en effet il était désormais devenu impossible à Washington de prendre la moindre décision d’importance, surtout dans le domaine des questions économiques et budgétaires, pourtant au cœur des difficultés du pays. Les autorités fédérales sont en effet dorénavant incapables de prendre des mesures pour réduire le déficit fédéral, pour adopter durablement le budget fédéral, pour mettre en œuvre des politiques de soutien à l’économie,… Que ce soit la Présidence, le Congrès ou la Réserve fédérale, chacune de ces trois institutions-clés se révèle impuissante à décider et/ou mettre en œuvre des politiques significatives.
L’exemple de la Fed, et de son incapacité à mettre en œuvre un Quantitative Easing 3, est révélateur du blocage interne du système politique puisque cette institution est désormais en bute à l’opposition publique du Parti républicain, du Tea Party et des Occupy Wall Street (sans même parler des oppositions extérieures de la plupart des banques centrales de la planète).
Et loin de s’améliorer, cette situation va au contraire s’aggraver en 2012 et après. En effet, l’une des causes majeures de ce blocage institutionnel est la dislocation du bipartisme traditionnel qui s’est accélérée avec les élections au Congrès de Novembre 2010. Déjà, depuis plus d’une décennie, l’un des phénomènes qui avait permis au bipartisme US de fonctionner relativement sans accroc depuis 1945 était en train de disparaître, à savoir la grande perméabilité entre les visions politiques des deux partis : l’absence de clivage idéologique fort permettait d’éviter la paralysie qui guette tout système de stricte séparation des pouvoirs adossé au bipartisme. Au cours des années 2000, cette perméabilité a complètement disparu sur fond de tensions idéologiques croissantes, notamment à l’initiative du Parti Républicain et de ses composantes ultra-religieuses, anti-imposition et dorénavant anti-gouvernement fédéral.
Or, depuis 2009, on assiste à l’émergence rapide d’une nouvelle cause de blocage institutionnel : la dislocation pure et simple du bipartisme. Ce changement profond a commencé à s’inscrire clairement dans les débats du Congrès US à partir de Novembre 2010 et surtout au cours de l’été 2011 avec l’impasse sur les discussions budgétaires et le débat surréaliste sur le plafond de l’endettement public américain. Les élus se réclamant de la mouvance Tea Party (TP) sont devenus de facto un parti dans le parti républicain, ou plutôt, selon LEAP/E2020, l’embryon d’un nouveau parti en phase de scission du parti républicain traditionnel : leurs thèses se rapprochent du discours confédéré de la Guerre de Sécession (pro-états, anti-fédéral, anti-taxe, pro-blanc, isolationniste, … et manipulé en grande partie par de puissants intérêts économiques et financiers).
A l’automne 2011, on a assisté à l’émergence du « jumeau démocrate » du Tea Party, à savoir le mouvement Occupy Wall Street (OWS). Comme la mouvance Tea Party, OWS rassemble des tendances très disparates : anti-Wall Street, anti-interventionnisme, anti-militaire, écologiste, en faveur d’un système de protection sociale,… Les deux mouvements représentent le ras-le-bol généralisé de l’opinion publique US face à la paralysie du système politique fédéral et à la corruption généralisée régnant à Washington.
Selon LEAP/E2020, TP et OWS vont être les acteurs-clés des élections au Congrès de Novembre 2012. La recherche de nouveaux acteurs hors des deux grands partis est devenue une priorité pour un nombre croissant de citoyens américains. Pour l’élection présidentielle de 2012, il est illusoire de croire qu’une troisième force sera en mesure de présenter un candidat alternatif. En effet, à moins d’un an de l’élection, il n’apparaît pas de personnalité capable d’incarner cette troisième voie ; et il n’existe pas d’organisation capable de porter une telle candidature au niveau de l’ensemble du pays. En revanche, pour les élections au Congrès (et certainement dans nombre d’élections au niveau des Etats), TP et OWS vont jouer le rôle de « briseurs » du duopole traditionnel Démocrate/Républicain.
LEAP/E2020 anticipe donc pour 2012 un Congrès encore plus fractionné que celui-ci, avec les deux mouvances fortement représentées à la Chambre des Représentants. Nous estimons qu’au total, les élus liés au TP et à OWS représenteront un tiers de la Chambre des Représentants et 15% du Sénat. Ce fractionnement accru en 4 partis/mouvances aux convictions idéologiques de plus en plus fermées à l’idée de tout compromis renforcera le caractère ingouvernable du Congrès et donc de l’Etat fédéral puisque le Président ne peut pas faire grand-chose quand le Congrès n’a pas de majorité stable et qu’au contraire il est profondément divisé sur les grandes orientations du pays (y compris sur le rôle du Président). Le système institutionnel des Etats-Unis est totalement dépourvu face à une situation de quadri-partisme, surtout quand cette évolution incarne un rejet du système en place.
LEAP/E2020 s’attend donc dès 2013 à une multiplication de mesures partielles et de courte durée (comme on le constate déjà avec ces accords budgétaires partiels et de dernière minute pour faire « tourner » l’état fédéral), à l’incapacité à programmer les grands équilibres budgétaires du pays et, au plus tard en 2014 (nouvelle année électorale), à une radicalisation des thèses en présence autour d’une redéfinition de ce que sont les Etats-Unis.
C’est à ce moment-là que s’ouvrira « la fenêtre de tir » pour l’homme providentiel destiné à « sauver le pays ». Ils pourront d’ailleurs être plusieurs candidats au « sauvetage », ce qui renforcera les divisions internes du pays. Cette homme providentiel aura en ligne de mire l’élection présidentielle de 2016, avec au menu une nécessaire aggravation de la situation intérieure et extérieure pour renforcer sa position de « sauveur ».
Notre équipe, comme d’ailleurs de nombreux observateurs de la vie politique US, a déjà identifié l’un des candidats possibles à ce rôle de « sauveur de la Nation » : le général David Petraeus. Outre son patronyme qui sonne comme celui d’un pro-consul romain, il s’est comporté comme tel lors de son passage à la tête des forces armées US en Irak et Afghanistan. Nombreux sont les militaires, diplomates, et autres bureaucrates fédéraux qui verraient bien un homme de cette « trempe » remettre de l’ordre dans le pays et un état fédéral incontestable aux commandes. Les partisans de l’ordre pour le reste adorent les uniformes.
Dans le camp opposé, pour l’instant, il n’y a personne de crédible en termes de visibilité nationale ou de charisme. L’année 2012 peut néanmoins changer cela et faire ressortir une puissante figure de leader dans la mouvance d’OWS ou de la gauche du parti démocrate. Mais notre équipe reste réservée en la matière car cette famille politique a souvent de grandes difficultés à générer des leaders charismatiques, surtout dans un pays où leur taux de mortalité est particulièrement élevé (les frères Kennedy, Martin Luther King, …).
La question des équilibres budgétaires en période de récession, du financement des déficits et donc du niveau du budget militaire va considérablement pousser le complexe militaro-industriel à agir, renforçant d’autant l’option « homme providentiel en uniforme ». En résumé, la paralysie actuelle de Washington va s’accentuer dès 2012 pour devenir une source de chaos politique généralisé dès 2013 ; et de puissants intérêts vont être tentés de jouer la politique du pire pour assurer la victoire d’un « sauveur » en 2016.
Le problème pour tous ces acteurs de la « Beltway », c’est que le pays n’affronte pas une crise « normale », voire même « grave » comme celle de 1929, mais bien une crise historique comme il n’en survient qu’une fois tous les 4 ou 5 siècles. Ainsi les Etats-Unis sont entraînés depuis 2008, avec une accélération notable en 2011, dans une spirale économique infernale : l’enchaînement récession/dépression/inflation.
Pour lire le texte original, avec les nombreuses notes de bas de page et hyperliens, on va sur le site de LEAP 2020.
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