L’auteur invité est Jason Rivest, porte-parole Pétroliques Anonymes.
Je m’appelle Jason et je suis un pétrolique. C’est par ce terme que je fais référence à ma dépendance au pétrole. J’ai commencé jeune. Ce sont mes parents qui m’y ont habitué. Ce n’est pas vraiment leur faute, ils ne pouvaient pas savoir. C’est le monde dans lequel on vit. Il faut regarder les choses en face. Nous sommes tous dépendants du pétrole. Nous sommes tous pétroliques. Tel que vous me voyez, j’ai 30 ans et je n’ai jamais eu d’auto. Je n’ai jamais, même, appris à conduire. Mais je suis un pétrolique quand même.
Quand je vais visiter ma famille à Montréal, je me trouve un lift. Je ne peux pas me rendre sans pétrole (sauf une fois, en 2011, j’ai fait la route à pied, mais ça m’a pris 34 jours). Ce soir, je suis venu de Rivière-du-Loup, en voiture, avec des amis. Sans pétrole, je n’aurais pas pu venir vous parler de ma dépendance au pétrole.
Je suis dépendant du pétrole pour me nourrir. Le pétrole est utilisé pour le transport des aliments et pour leur production aussi. Sans compter les emballages de polystyrène et plastique qui vont direct à la poubelle après leur bref usage. Je suis dépendant du pétrole pour me vêtir, pour la production de fibres naturelles comme le coton, pour la fabrication de fibres synthétiques comme le polyester et pour leur transport bien sûr. Tous nos biens de consommation courante sont acheminés d’un endroit à un autre par camion, ou même par avion. Le plastique est bien sûr omniprésent dans ma vie comme dans celle d’à peu près tout le monde. Mon rasoir, mon ordinateur, mon téléphone, mon ventilateur, mon réveille-matin, mon balai, ma corbeille, ma lampe, ma brosse-à-dent… Je pourrais continuer longtemps comme ça.
Le pétrole, c’est un peu comme une drogue. Quand on s’en sert, ça nous donne un rush. Il nous donne de la vitesse. Il nous donne un sentiment de puissance et de liberté.
Il y a aussi des effets secondaires négatifs pour la santé, à cause de la pollution de l’air que provoque son utilisation, de la pollution de l’eau lors de déversements; à cause aussi des changements climatiques qu’il devient impossible de nier et, bien sûr, de la dépendance qu’il crée et qui nous amène, en quelque sorte, à voir ces désagréments comme un mal nécessaire. On n’aurait pas le choix.
Mais le pétrole existe en quantité limité. Qu’arrivera-t-il s’il vient à en manquer, et que nous ne sommes pas prêts? Le Québec est-il préparé à l’éventualité d’une pénurie?
Personne ne s’attend à ce que le Québec, du jour au lendemain, ou même dans l’espace de quelques années, mette un terme à sa consommation de pétrole. Ce n’est pas possible aujourd’hui, et ce ne sera pas plus possible dans vingt ans. Il faut que ça se fasse graduellement. C’est le défi d’une génération.
Je ne prétends pas avoir toutes les solutions. De meilleurs têtes que la mienne devront se pencher pour établir un plan ambitieux mais réaliste. Le Québec a un avantage marquant: notre électricité, pour la majeure partie, ne dépend pas des combustibles fossiles. Il est peut-être logique pour d’autres pays de faire transition par le nucléaire ou le gaz naturel, mais au Québec, ce n’est pas nécessaire. On peut se concentrer sur les énergies renouvelables. En région, on peut encourager l’installation de panneaux solaires et de petites éoliennes domestiques, pour enlever de la pression sur Hydro-Québec.
Généralement, on pourrait revoir les plans d’urbanisation, densifier, rapprocher les gens de leurs lieux d’activités. Favoriser le transport actif. Améliorer l’offre de service du transport en commun dans les villes et entre les villes. Le rendre plus pratique, plus confortable, et moins dispendieux, comparé à la voiture.
On peut s’inspirer des campagnes anti-tabac. De la même manière que les compagnies de cigarettes ne peuvent plus faire de publicité au Québec depuis des années, la même restriction pourrait être faite auprès des concessionnaires automobiles. Les seuls véhicules annonçables seraient les véhicules hybrides ou électriques. Les autres véhicules seraient quand même disponibles chez le concessionnaire, mais on cesserait d’en vanter les mérites à la télévision.
On peut encourager et faciliter l’agriculture locale, les jardins communautaires et les jardins des particuliers (tellement plus beaux et plus utiles que le gazon!), de même que les marchés publics. Combien de temps une ville peut-elle fonctionner sans livraison de nourriture?
Il serait très difficile de concevoir que la transition puisse passer par de nouvelles infrastructures d’exploitation et de transport du pétrole québécois. Il ne faut pas se laisser aveugler par l’appât du gain ou les solutions faciles à court terme. Si j’étais dépendant de l’héroïne, on me proposerait une cure de désintoxication, pas de produire ma propre héroïne pour sauver des sous, et même en revendre! Déjà junkie, le Québec deviendra-t-il pusher?
Je ne peux pas faire une cure de désintoxication par moi-même. Le pétrole prend trop de place, il faudrait que je me coupe entièrement de la société. Et même cela ne me protégerait pas des effets secondaires qui existent à l’échelle globale.
Le problème est collectif, et la solution ne peut être que collective. Je ne peux me libérer de ma dépendance au pétrole que si le Québec au complet fait une cure de désintoxication. On a besoin d’un plan à 12 étapes. La première, c’est de reconnaître qu’on a un problème.
Je m’appelle Jason, je suis un pétrolique. Je n’arriverai pas à m’en sortir tout seul. J’ai besoin de votre aide. S’il-vous-plaît, aidez-moi.
Pour lire le texte original, on va sur le site du Journal Ensemble.
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